« Aujourd’hui, je vais vous raconter l’histoire d’un jeune homme qui voulait devenir président de la République », commence Michaël, 16 ans, face à la classe. Les bras du lycéen s’agitent, ses yeux cherchent les sourires de ses camarades. On l’alerte : il faut prendre garde à bien articuler, et ne pas perdre le fil du récit. Au lycée Galilée de Gennevilliers (Hauts-de-Seine), pour les élèves de 1re spécialité « humanités, littérature et philosophie », le vendredi matin, il faut donner de la voix.
En six séances, l’association Graine d’orateur 93 apprend à ces jeunes à manier le discours oral. Au fil d’exercices ludiques, le formateur Nelson Kamen distille ses conseils : « utilise les silences pour mieux contrôler ton propos », « ne baisse pas le regard, garde-nous avec toi ». Charismatique, ce professeur d’anglais en collège capte l’attention des lycéens, qui n’hésitent pas à se jeter à l’eau. Les plus introvertis finissent eux aussi par se prêter au jeu.
Ce jour-là, ils apprennent à intégrer le « storytelling » dans leurs discours. Raconter des histoires, vraiment ? « Ça permet de faire s’identifier la personne qui écoute », tente une lycéenne en sweat rose. « Excellent ! L’identification permet de raccrocher l’essence du discours au vécu de chacun et, ainsi, de capter l’attention de tout l’auditoire », rebondit le formateur. En entretien d’embauche, lors d’une discussion avec un ami ou pour se sortir du pétrin… Le storytelling peut servir en toutes circonstances, rappelle Nelson Kamen. « C’est surtout un point essentiel pour des oraux de concours, qui demandent une mise en scène de sa personnalité et de son parcours », ajoute-t-il.
Individualiser la sélection
Anciens élèves de Sciences Po Paris, les fondateurs de Graine d’orateur 93 se sont engagés sur le front de l’éloquence en 2015, bien conscients de l’enjeu de l’oral dans l’enseignement supérieur, et particulièrement dans leur ancienne école. Cette dernière a annoncé en 2019 la suppression des épreuves écrites de son concours d’entrée : à partir de 2021, elle choisira ses étudiants sur la base de leur dossier et d’un oral qui, s’il a toujours existé dans le processus de sélection, est réinvesti. Comme dans l’institution parisienne, privilégier l’oral sur l’écrit – jusque-là plébiscité dans les concours à la française – est devenu une tendance de fond pour les grandes écoles. Ces dernières années, Sciences Po a ainsi supprimé ses épreuves écrites pour l’admission directe en master – tout comme HEC et l’ESCP. Le Centre de formation des journalistes depuis 2018 et certaines écoles de commerce post-bac, comme l’Istec, ont fait de même.
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