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En ce moment, toutes les soirées de Kléa Kaciu se ressemblent : elle rentre de sa journée de cours passée au lycée Nicolas-Appert à Orvault (44), dîne vers 18 h 30, puis rejoint sa chambre pour réviser. “Lundi, par exemple, je me suis plongée dans le thème 1 : l’Europe face aux révolutions. Puis, j’ai enchaîné sur mes devoirs de spécialité. En langues, littérature et cultures étrangères, il s’agissait de rédiger un texte descriptif autour du travail de la photographe Dina Goldstein. En géopolitique, d’étudier la démocratie athénienne. Je me suis couchée vers minuit”. Un rythme qu’elle devrait encore tenir une quinzaine de jours. 

Trois mini-bacs à organiser

Dans son établissement, qui a mis en place des séances de sophrologie, la première vague d’E3C (épreuves communes de contrôle continu) sera organisée du 5 au 7 février. Avec l’entrée en vigueur de la réforme du baccalauréat à la rentrée dernière, tous les élèves de premières générales et technologiques s’apprêtent à passer, jusqu’à la mi-mars, leurs premières épreuves du bac : histoire-géographie, langues vivantes A et B, pour tous, et mathématiques pour les premières technologiques. Une deuxième session d’épreuves aura lieu au printemps, et une dernière, au troisième trimestre de terminale. 

Il vaudrait toutefois mieux parler d’épreuves en cours de formation. Car ces examens ponctuels n’ont de contrôle continu que le nom”, soutient Bruno Bobkiewicz, proviseur de la cité scolaire Hector-Berlioz, à Vincennes (94), et secrétaire national du SNPDEN, syndicat national des personnels de direction qui a “largement soutenu une réforme à condition d’une vraie simplification”. “Ici, on reste au milieu du gué”, confirme Florence Delannoy, proviseure du lycée Charlotte-Perriand, à Genech (59), et secrétaire générale adjointe du syndicat. 

Les proviseurs interrogés, unanimes, dénoncent un alourdissement de la charge de travail. “On nous demande d’organiser des mini-bacs. A chaque fois, il faut envoyer des convocations, choisir des sujets, mobiliser des surveillants, trouver des salles, du temps de correction…”, poursuit Bruno Bobkiewicz qui demande 40 % “de vrai contrôle continu”. Début décembre, une réunion d’information s’est tenue dans son établissement pour informer les 350 élèves de première, et leurs parents, qui passeront simultanément leurs E3C début février. Idem du côté de Genech, où Florence Delannoy a désormais tous les sujets en main. 

“De la méthode, pas du bachotage”

Maxime (le prénom a été changé) élève au lycée des Chartreux, à Lyon (69), et en veille permanente sur la réforme et ses ajustements, ne cache pas son inquiétude. “En histoire-géographie, je sens que ça va être compliqué. On ne s’est entraîné que deux fois depuis le début de l’année. J’ai l’impression d’être un cobaye. On nous dit qu’il n’y aura plus de bachotage, mais c’est tout le contraire.” 

François Da Rocha Carneiro, vice-président de l’association des professeurs d’histoire-géographie (APHG), et enseignant au lycée polyvalent Jean-Moulin de Roubaix (59), dépeint la réforme comme “un ramassis de précipitation”, doublé d’une “opacité permanente”. Lundi, ses élèves de premières technologiques plancheront sur leurs E3C, après s’être appuyés sur des résumés de cours, ces derniers jours, pour réviser. “On est dans un établissement sensible. Mes élèves ont des difficultés sociales, culturelles… Certains ne s’étaient même pas rendus compte qu’on parlait du bac, du vrai ! La clarté n’a pas été le propre de cette réforme qui risque de creuser les inégalités”, s’inquiète l’enseignant. 

“Les élèves vont recommencer à apprendre des choses par coeur, alors que c’est de méthode dont ils ont besoin”, s’alarme Anne Leclercq, enseignante à Perpignan. Elle dénonce un programme ambitieux mais un volume horaire dérisoire. “J’ai des classes de 35 jeunes et aucun dédoublement. Difficile de préparer un examen dans ces conditions ! Je dois traiter la deuxième République et le Second Empire en trois heures. Je survole les contenus, je ne suis plus dans l’explicatif, mais dans le descriptif !, poursuit celle qui vient d’écrire à l’Inspection académique pour demander l’annulation ou le décalage de ces épreuves. Certains de mes élèves ne savent même pas faire une introduction ! Comment vont-ils mener à bien une question problématisée ? Le nombre d’exercices faits en classe jusqu’alors n’est pas suffisant pour les préparer correctement !” 

Les coefficients pour rassurer

Au lycée Anna-de-Noailles, à Evian (74), Clara Sant’Agostino, élève de première, dit s’être munie de tous les outils pédagogiques à disposition pour réussir ses examens, notamment les “sujets zéro” mis en ligne sur le site Eduscol. Et, comme au lycée Nelson-Mandela, à Nantes (44), proviseur et adjoint tentent de la rassurer par les chiffres. 

“L’histoire-géographie en E3C va représenter 1,66% des résultats du bac total. Il faut relativiser au regard de la situation finale ! L’anxiété est palpable du côté de nos élèves de première, mais lorsque nous leur expliquons que c’est peu coefficienté, ils relativisent la pression. La vraie question est celle de l’inconnu. Et il est logique que les enseignants, les élèves et les correcteurs s’interrogent”, garantit Gwénaël Surel, chef de l’établissement nantais, et secrétaire national du SNPDEN.

Les quatre-vingts élèves de première du lycée Saint-Jeanne-Elizabeth, dans le 7e arrondissement de Paris, ont été parmi les premiers à passer leurs E3C. Au programme de l’examen d’anglais : les nouvelles technologies et les réseaux sociaux. “Ils n’ont pas eu plus de travail en amont mais devaient avoir une bonne organisation. Les élèves qui avaient révisé régulièrement sont sortis de l’épreuve tout sourire. Leur seule inquiétude était d’avoir correctement orthographié le prénom du témoin entendu !”, raconte Catherine Gravil, enseignante de langue, qui assure que dans quelques années les E3C seront bien installés.

Le post-bac dans le viseur

François Da Rocha et Anne Leclercq ne boycotteront pas les épreuves, « pour ne pas pénaliser leurs élèves ». Mais ils attendent des ajustements de la part du ministère. Au SNPDEN, les regards vont progressivement se tourner vers l’enseignement supérieur. “Il faut décentrer l’examen au bénéfice d’une préparation au post-bac. L’objectif prioritaire est d’avoir le bac, certes, mais le taux de réussite montre que c’est acquis pour beaucoup d’élèves. On en oublie l’essentiel : les préparer aux études supérieures. C’est en ce sens qu’il faut modifier les modalités d’examen”, estime Bruno Bobkiewicz. La préparation à Parcoursup, François Da Rocha Carneiro n’y croit pas trop. “Après la deuxième vague d’E3C, prévue entre avril et mai, les gosses ne viendront plus. La prochaine n’évaluera que le programme de terminale…”