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AESH, les invisibles de l’Éducation nationale

Dans la #manifvirtuelle initiée sur Twitter par des professionnels de l’éducation, des enseignants expriment leur engagement dans leur métier et le manque de reconnaissance. Dans ce mouvement où le sentiment de défiance l’emporte sur le discours officiel de l’école de la confiance, d’autres professions se manifestent, et parmi elles, les AESH (accompagnants d’élèves en situation de handicap). Jade exerce ce métier qu’elle aime. Elle raconte les raisons de sa colère, cette façon de faire de l’école inclusive un slogan plus qu’une réalité tangible et équitable.


Elle eu de la chance, dit-elle, de commencer ce métier dans un collège où la principale prenait au sérieux la question de l’inclusion, donnait les moyens. Elle y est arrivée après un parcours de vie qui a laissé entre parenthèses sa vie professionnelle pendant onze ans. Travailler était devenu une nécessité lorsqu’elle a dû élever seule ses trois enfants. Elle est recrutée en contrat aidé, apprend sur le tas, ravive les connaissances acquises en bac Sciences et techniques médicosociales, lit beaucoup sur le handicap. Aucune formation n’est à l’époque proposée pour les auxiliaires de vie scolaire (AVS), devenus depuis AESH.

Lorsque sa principale est mutée dans un autre collège, elle la suit et intègre un dispositif ULIS (unités localisées pour l’inclusion scolaire). Elle a un contrat d’un an renouvelé deux fois puis, cette un année un CDD de trois ans. Trois ans encore et elle pourra espérer obtenir un CDI. « Dans le privé, les contrats à durée déterminée ne peuvent pas excéder 18 mois, là, l’État fait comme il veut. Pourquoi mettre en CDD un métier important pour l’école inclusive ? », interroge-t-elle.

Des progrès chaque jour

L’importance de l’école inclusive, elle la constate chaque jour, dans les progrès que font les élèves qu’elle accompagne, dans leurs pas modestes puis assurés vers une scolarisation ordinaire. Elle voit aussi dans les échanges avec d’autres AESH les différences de situations, d’accompagnement, d’intégration aussi dans l’équipe pédagogique. « D’une école à l’autre, d’un collège ou d’un lycée à un autre, c’est différent, selon le directeur, l’équipe pédagogique, la place laissée ou non à l’AESH et aux élèves en situation de handicap. »

Elle répète encore qu’elle a de la chance, que ce qu’elle vit ne reflète pas toutes les réalités. Elle se sent pleinement faire partie de l’équipe. Elle bénéficie d’un temps plein sur un seul établissement alors que bon nombre de ses collègues sont à temps partiel, parfois sur plusieurs collèges ou lycées, doivent compléter leur salaire faible par un travail complémentaire. L’absence de statut sonne comme un manque de reconnaissance en tant qu’acteur à part entière de l’Éducation nationale. La formation initiale de soixante heures désormais instituée est insuffisante pour embrasser toute la complexité de l’accompagnement d’élèves en situation de handicap.

Décalage

Et puis, il y a les textes régissant l’école inclusive, en décalage avec les réalités. Depuis la rentrée, sont instaurés les PIAL (pôles inclusifs d’accompagnement localisés), un système qui, sur le papier, devrait permettre à tout élève dont le besoin à été reconnu d’être accompagné, y compris lorsque son AESH est absent. Avec ces pôles, le nombre d’enfants accompagnés par personne passe de deux à quatre. Dans certaines circonscriptions denses, c’est un véritable casse-tête, avec des accompagnants qui courent d’une école à l’autre, arrivent dans des contextes ou auprès de jeunes qu’ils ne connaissent pas. Jade appuie la coordonnatrice du PIAL dans son établissement où la situation semble plus simple avec quatre AESH.

Les faits, pourtant, traduisent une réelle difficulté d’application. « Il est arrivé qu’il y ait quatre élèves en situation de handicap dans la même classe. Si, par exemple, j’accompagne deux collégiens ULIS dans une classe où deux autres sont présents avec leur propre AESH. Dans une classe de trente élèves, cela fait trois adultes avec le prof et du brouhaha supplémentaire lorsque nous lisons les consignes. Les salles ne sont pas toujours adaptées pour que nous nous installions et accompagnions sans perturber. » Les emplois du temps sont conçus pour éviter cela, mais « c’est souvent au détriment des enfants ».

Elle espérait beaucoup lorsque Sophie Cluzel a été nommée secrétaire d’État chargée des personnes handicapées, car elle l’avait écoutée lors d’une formation, avait perçu sa connaissance de la question. Et puis, rien n’a changé, les textes officiels sont toujours en décalage par rapport à la réalité. Le manque de moyens perdure aussi.

Un manque de moyens qui fait mal

« Ce qui me fait vraiment mal, c’est de voir que les moyens ne sont pas mis en œuvre, que des économies sont réalisées sur les Instituts médicoéducatifs et dans la prise en charge de l’éducation adaptée. » L’école inclusive devrait être un système qui permet la scolarisation de tous les enfants, y compris ceux qui en sont à priori écartés, avec une entrée progressive dans l’école ordinaire si besoin. « C’est important l’école inclusive, cela permet des progrès, c’est positif pour les enfants. Mais il faut des moyens et une équipe pédagogique qui soit partie prenante.»

Dans son établissement, où la principale est volontaire et l’équipe impliquée, l’inclusion est possible. Mais elle croise souvent des collègues isolées dans leur école ou démunies face à des situations de handicap variées qui nécessitent chacune un accompagnement adapté. « C’est à nous de chercher les billes pour que tout aille bien et parfois, c’est au détriment de l’élève. C’est du bricolage. C’est à nous de nous investir, l’État ne nous donne pas réellement les moyens. »

Les élèves qu’elle accompagne ont des troubles du spectre autistique, des troubles cognitifs ou du comportement. Elle ne sait pas tout de leurs caractéristiques, l’important c’est de comprendre l’objectif que le jeune doit atteindre et de l’aider à y arriver. Son travail se fait en concertation avec le coordonnateur de l’ULIS, une fonction pour laquelle le certificat d’aptitude professionnelle aux pratiques de l’éducation inclusive est requis. Mais là encore, ce n’est pas toujours le cas. Des enseignants sont nommés alors que leur formation n’est pas achevée.

Des intervenants extérieurs viennent régulièrement. Psychomotricien, ergothérapeute, éducateur spécialisé, orthophoniste, ils font partie de l’équipe de suivi scolaire, mesurent les progrès, conseillent, rencontrent les jeunes, et apportent à Jade des connaissances qui enrichissent sa pratique.

L’accompagnement des élèves

Les élèves en ULIS sont intégrés progressivement en classe ordinaire, d’abord dans quelques matières puis, petit à petit, dans d’autres cours. « Être inclus dans une classe de trente élèves, ça leur fait peur en 6e. Puis, ils progressent, se socialisent de plus en plus. » Les douze élèves concernés ont des temps dédiés pendant lesquels les cours sont approfondis, les notions non comprises revues. Des projets pédagogiques et des sorties sont organisés. Elle les voit évoluer, devenir plus autonomes avec l’envie grandissante d’être un collégien comme un autre et d’être perçu comme tel. Son accompagnement se fait alors plus léger.

L’évolution est observée avec le coordonnateur de l’ULIS et les intervenants extérieurs. Elle travaille avec l’équipe pédagogique, soigne sa discrétion pour ne pas perturber la classe, prend garde à rester à sa place, à ne pas empiéter sur le rôle de l’enseignant en s’intégrant du mieux possible dans sa façon de faire cours. Elle se dit agréablement surprise par les élèves en scolarité ordinaire, de leur souhait d’aider et d’accueillir, de leur participation de fait au processus d’inclusion. Les parents sont également associés avec une intensité diverse de la collaboration selon leur propre acceptation du handicap de leur enfant. Pour l’équipe pédagogique comme pour les familles, elle partage sur un site Internet des capsules expliquant les différentes situations de handicap et les outils utilisés.

Colère

Elle peut faire tout cela dans le contexte d’un ULIS, dans celui de son établissement. Elle le fait parce qu’elle apprend sans cesse, se forme et engrange des connaissances qu’elle prend soin de partager. Son exemple est loin d’être une généralité. Le constat qu’elle pose en regardant la situations de nombreux AESH nourrit une colère traduite dans ses tweets. « Je suis remontée contre les gens qui font des textes dans leurs bureaux sans se rendre compte que l’école inclusive ce n’est pas ce qu’ils ont écrits. »
Elle raconte les conseils reçus lors d’une formation académique sur la mise en place du PIAL : « On nous a dit que l’on pouvait s’occuper d’un élève pendant dix minutes, le mettre sur les rails puis repartir voir un autre élève dans une autre classe. Si on le fait, on dérange un cours, on fait du bruit pour s’installer, on repart, on dérange un deuxième cours qui a commencé en entrant, on s’installe… Le tout pour des cours qui durent cinquante minutes. »

Elle est révoltée pour les enfants, contre l’affirmation que l’école inclusive existe alors que cela dépend de beaucoup de paramètres, de la façon dont l’établissement s’en empare et la concrétise, du profil de l’AESH et de l’intérêt qu’elle ou il porte à son métier. Ce dernier critère passe par un recrutement où compétences et motivation sont requises. Or, ce n’est pas toujours le cas du fait de la pénurie d’accompagnants. « Quand on veut l’école inclusive, on met des gens qui sont formés et pas pour faire de la garderie d’enfants en situation de handicap. Nous sommes là pour faire en sorte que ces enfants aient toute leur place dans l’école. Il faudrait un vrai diplôme avec des compétences bien définies, une formation plus étoffée. On met les gens en situation et on les lâche avec à la clé des difficultés pour les accompagnants et les élèves.  »

Elle explique qu’elle reste positive dans son quotidien professionnel, qu’elle aime son métier, voir les progrès que réalisent ses élèves. Qu’elle ait rejoint la #manifvirtuelle n’a rien d’étonnant, alors. Elle partage avec les enseignants ce mélange d’enthousiasme pour ce qu’elle fait et le manque de reconnaissance ressenti. Elle voit là, dans ce partage, un autre point positif, celui d’un soutien affiché de nombre d’enseignants pour un véritable statut des AESH, qui les départira de leur impression d’être des invisibles.

Monique Royer


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