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Etudier le design, dépasser les malentendus

A l’école de Saint-Etienne, les étudiants ont parfois du mal à faire comprendre les spécificités de leur formation. Une situation qui témoigne de la difficulté, en France, de reconnaître et valoriser cette discipline.

Par  (envoyée spéciale à Saint-Etienne)

Publié le 28 janvier 2020 à 07h00, modifié le 28 janvier 2020 à 10h31

Temps de Lecture 5 min.

Devant sa maquette faite de carton et de fil métallique, Constance, étudiante à l’Ecole supérieure d’art et de design de Saint-Etienne (Esadse), fronce les sourcils. L’inspiration ne lui vient pas. Pour un projet en partenariat avec une chaudronnerie, cette Grenobloise a imaginé un concept de verrière en métal, afin de valoriser le patrimoine industriel local. Il faut penser aux matériaux, à la structure, qui doit être légère mais solide.

Est-ce vraiment du design ? Constance balaie d’un revers d’éventuels malentendus. « Le design, ce n’est pas que des fauteuils à 3 000 euros, la preuve… », ironise-t-elle, en triturant sa maquette. Le design, ce n’est pas non plus dessiner « des affiches ou des logos », comme le font les graphistes, relève-t-elle, la voix étouffée par le bruit des meuleuses. A 21 ans, la silhouette noyée dans une large blouse de travail bleue, Constance a toujours aimé dessiner. Avec un bac ES et un BTS de design céramique, elle a intégré cet établissement de référence pour l’enseignement de cette discipline, adossé à la Cité du design.

Le design s’applique à tout : création d’objets ou d’espaces, communication, processus industriels, services ou politiques publiques…

En France, le flou demeure autour de ces études, et de la définition du mot « design ». Il n’est pas rare d’entendre que telle lampe ou tel canapé est « design » – le terme serait synonyme de « sophistiqué », « moderne », ou « branché ». « Les marques de mobilier abusent de ce terme, qui signifie tout et rien à la fois… », s’amuse Constance. Reste que la discipline ne se laisse pas appréhender facilement. L’Alliance française des designers avance une définition : le design est une méthodologie de résolution de problèmes. « Un processus intellectuel créatif et pluridisciplinaire, dont le but est d’apporter des solutions aux problématiques de tous les jours ». Celui-ci s’applique à tout : création d’objets ou d’espaces, communication, processus industriels, services ou politiques publiques… Le tout « afin de leur donner un sens, une émotion et une identité, d’en améliorer l’accessibilité ou l’expérience ». Bref, de les adapter à des usages.

Mais alors, qu’apprend-t-on en école de design ? Au-delà de la production d’objets et de la réalisation de projets, ce qu’on étudie, c’est surtout « une façon d’envisager le monde, de penser », tente Juliette Fontaine, formatrice à l’école de Saint-Etienne. En cette matinée d’un froid glacial, le site de l’ancienne manufacture d’armes où s’est installée l’école est désert. « Les étudiants sont assez libres dans la gestion de leur emploi du temps », justifie Jean-Philippe Jullien, technicien formateur à l’Esadse. L’école favorise « le travail en autonomie, car c’est à travers les projets que les élèves acquièrent de la technique », ajoute la directrice de cette école publique de 380 étudiants, devenue très sélective – seulement 10 % des candidats sont admis en première année post-bac.

Quatre ateliers

L’Esadse dispose de quatre ateliers dédiés au bois, au métal ou à la céramique. A l’étage, l’atelier numérique est plus silencieux : des imprimantes 3D et des découpes laser trônent dans de vastes salles au style industriel. Les premières années, la semaine est ponctuée de cours théoriques : histoire de l’art, anthropologie du design, sciences humaines pour comprendre la société et ses évolutions… En master, la semaine est rythmée par le mémoire et les projets personnels ou en lien avec des entreprises.

Pour Sarah, fille de musiciens, le design était « une évidence ». Etudiante en dernière année de master design d’espace, elle s’intéresse à l’isolement des personnes dans les grandes villes surpeuplées. « Le design est partout, dans le renouvellement de la gare du Nord, dans le rythme des sonneries de téléphone, dans le marketing pour pousser à acheter. D’où la nécessité d’avoir de l’éthique », considère cette Parisienne de 23 ans. « Pour moi, le design, c’est de l’art utile. De l’art qu’on met en pratique. Nous créons des objets, et ces derniers produisent des comportements. Le designer a donc un fort pouvoir d’influence », ponctue-t-elle d’un ton assuré. Reste que, malgré son milieu familial d’artistes, Sarah a aussi du mal à expliquer ce qu’elle fait à l’extérieur. « Comme une astrophysicienne, je dois vulgariser mon propos au maximum. Mais c’est compliqué. A cause de la spécificité de notre discipline, on ne nous estime pas aussi qualifiés, par exemple, que des ingénieurs… », déplore-t-elle.

Explosion du nombre d’étudiants

Même sentiment pour Lola, étudiante en master de design d’espace. Cette Marseillaise, fille de professeurs des Beaux-Arts, découpe des panneaux en bois pour son mémoire. « Au quotidien, je touche à tout : je fais de la robinetterie, du verre, je rencontre des artisans, je fabrique des chaussures à partir de déchets recyclés de Marseille », explique-t-elle en fixant ses panneaux. Passionnée par « le concept du cheval de Troie » et par les « entorses aux dispositifs de sécurité », elle est considérée par ses amis qui étudient les sciences politiques comme « l’artiste incomprise » de la bande. « On me demande souvent à quoi servent mes études, et si je vais trouver un emploi », poursuit-elle. Une vraie préoccupation. En dernière année de master, Lola a préféré redoubler, de peur de « l’après-diplôme ». « J’aimerais travailler à mon compte ou dans des collectifs et studios indépendants ». Elle se dit prête à prendre un job « alimentaire » pour pouvoir, à côté, être libre dans son travail.

Car dans ce domaine, l’insertion des diplômés n’a rien d’automatique. Le nombre d’étudiants en design a explosé ces dernières années – on estime le nombre de diplômés à 3 000 par an, contre quelques centaines il y a vingt ans. Le volume d’emplois dans le secteur, également en hausse à mesure que ces fonctions se développent dans les organisations et dans le numérique, n’a pas augmenté en proportion.

Difficultés d’insertion

« Il existe un malentendu sur le design. La filière est peu connue des industriels, des collectivités », estime Claire Peillod, la directrice de l’école. Selon elle, les besoins existent, en particulier dans le design de services ou d’expériences, ou pour inventer des modes de production plus respectueux de l’environnement. Mais les organisations n’ont pas toujours conscience de l’apport des designers. Les écoles aussi « doivent s’efforcer de former les étudiants pour répondre à de nouvelles attentes », poursuit la directrice, qui va lancer un master en design appliqué aux politiques publiques.

Consciente des difficultés rencontrées par les étudiants pour s’insérer, l’Esadse offre la possibilité de prolonger ses études d’un an, pour utiliser les ateliers, faire des stages. Martin, survêtement violet et cheveux roux en désordre, profite de cette « chance ». Après un bac pro et un CAP en signalétique, il a bénéficié du dispositif « culture et diversité », qui permet l’accès à l’art aux jeunes issus de milieux modestes. Si, pour lui, le design est « un moyen d’expression personnel », il admet que « pour trouver un travail, cest chaud ! » s’exclame-t-il. Depuis qu’il est diplômé, ses journées se résument à envoyer des mails, recontacter des anciens maîtres de stages et peaufiner son portfolio. « L’école fait tout pour qu’on ait un beau mémoire, mais ils ne pensent pas assez à notre employabilité. Ce qui est compliqué, c’est que c’est un métier de réseaux », avoue-t-il. De son côté, la directrice, Claire Peillod précise que « 80 % des diplômés de l’Esadse trouvent un travail dans l’année qui suit ».

« Le Monde » vous donne rendez-vous le 4 février à Saint-Etienne pour l’événement O21

Lycéens, étudiants, professeurs, parents… Le Monde organise, le mardi 4 février, à la Comédie de Saint-Etienne, l’événement « O21, s’orienter au XXIe siècle » : des conférences et des rencontres pour permettre à chacun de trouver sa voie. Une vingtaine d’acteurs locaux témoigneront de leur parcours et de leurs choix professionnels. D’autres événements « O21 » seront organisés, en 2020, à Marseille, Paris, Toulouse, Nancy, Rennes et Lille.

9 heures - 10 h 30 Apprendre à se connaître et à se faire confiance

Rapsa, rappeur et chargé d’affaires dans une société de services en informatique ; Houda Abada, avocate au barreau de Saint-Etienne ; Aurore Denizot, fondatrice de l’association Kairos Orientation ; Christian Laurenson, proviseur du lycée Etienne-Mimard ; Mélanie Montagne, volontaire en service civique pour ­l’Association de la fondation étudiante pour la ville (AFEV) ; et Tabara Soumare, étudiante en classe prépa.

11 h 30 - 12 h 30 Bien s’orienter dans un monde qui se transforme

Vincent Augusto, professeur d’ingénierie industrielle à l’Ecole des mines et coconcepteur d’un hôpital virtuel au CHU de Saint-Etienne ; Thibault Ceccato, fabmanager à la Fabrique de l’innovation à Saint-Etienne ; Sophie Guichard, professeure de mathématiques ; et Claire Peillod, directrice de l’Ecole supérieure d’art et de design de Saint-Etienne.

14 heures - 14 h 45 S’orienter, est-ce renoncer ?

Dialoguez avec la marraine, Cécile Coulon, auteure d’Une bête au paradis (L’Iconoclaste, 2019), et assistez à un match (amical) d’éloquence qui opposera deux membres de l’équipe Eloquentia.

15 h 30 - 17 heures Trouver une voie qui a du sens pour soi

Cécile Coulon, écrivaine ; Diane Dupré la Tour, cofondatrice des Petites Cantines ; Igor Navarro, directeur de la Maison familiale rurale de Saint-Etienne ; Mathilde Nicollet, coordinatrice de programmes pour étudiants et lycéens chez Enactus France Auvergne-Rhône-Alpes ; Eric Pétrotto, « slasheur », musicien, cofondateur de La Fabuleuse Cantine et de 1D Lab, professeur associé à l’université Lumière Lyon 2 ; et Pierre-Alain Prévost, salarié de l’association De la ferme au quartier.

Toute la journée, des ateliers de découverte et d’aide à la connaissance de soi sont proposés par Eloquentia, Fly Away, Humanroads et EM Lyon. Plus de détails et inscriptions sur le site de l’événement.

Placé sous le haut patronage du ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse, O21 est soutenu, au niveau national, par Orange, Global Industrie, l’Institut supérieur des arts appliqués (Lisaa), Agefiph. A Saint-Etienne, l’événement est également porté par la Comédie et l’EM Lyon Business School.

Autres organismes partenaires : AFEV, APM, Article 1, Ashoka, Eloquentia, Enactus, Femmes ingénieurs, Fly Away, France digitale, Initiative France, l’Institut de l’engagement, Les Entretiens de l’excellence, Pépite France et Ticket for Change.

Entrée libre sur inscription. Pour les groupes, écrire à education-o21@lemonde.fr

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