Sur le podium des « sujets sensibles » en matière d’éducation, la laïcité – sa compréhension, son application – brigue les toutes premières places. La récente passe d’armes entre le ministre de l’éducation, Jean-Michel Blanquer, et la fédération de parents FCPE, qui a choisi de faire figurer sur une affiche de campagne, à l’automne 2019, une mère voilée, en a fourni l’illustration la plus récente, créant la polémique jusqu’à l’Assemblée nationale.
Si le gouvernement a pu apparaître désuni sur la question, la communauté éducative – élèves en tête – ne l’est pas, ou peu : c’est en tout cas ce qui ressort de l’enquête sur la « laïcité et la religion au sein de l’école et dans la société » rendue publique, mercredi 29 janvier, par le Centre national d’étude des systèmes scolaires (Cnesco). Une enquête qui doit permettre d’« ancrer cette question vive dans une analyse robuste des attitudes des élèves et des personnels », fait valoir la sociologue Nathalie Mons, titulaire de la chaire « évaluation des politiques publiques d’éducation » créée au sein du Conservatoire national des arts et métiers – l’instance à laquelle est désormais rattaché le Cnesco.
Un tableau apaisé
A rebours des discours entendus sur les contestations d’enseignements et d’activités pédagogiques, cette enquête menée, en 2018, auprès de 16 000 élèves (de 3e et de terminale), de 500 enseignants et de 350 chefs d’établissement, dresse du paysage scolaire un tableau apaisé : 90 % des collégiens interrogés – et même 91 % des lycéens – considèrent qu’il est important, voire très important, qu’ils soient tolérants entre eux, même s’ils n’ont pas les mêmes croyances. Moins nombreux, bien que majoritaires, plus des trois quarts des sondés (76 % des élèves de 3e et 80 % des terminales) se déclarent attachés à l’expression de leurs croyances (ou de leur absence de croyances) en classe, tant qu’ils respectent l’opinion d’autrui. La très grande majorité adhère à la neutralité religieuse des enseignants.
Ces attitudes civiques – ou en tout cas ce que les élèves en disent – sont réaffirmées au-delà de l’enceinte scolaire : les quatre cinquièmes soutiennent la séparation des Eglises et de l’Etat. Les trois quarts se disent opposés à ce que les règles de vie prescrites par la religion soient plus importantes que les lois de la République. Autant considèrent que la neutralité et l’indépendance de l’Etat vis-à-vis des religions favorisent la démocratie.
En creux, reste un quart d’adolescents soutenant que la religion peut ou doit primer. Les auteurs de l’enquête tempèrent : « Au regard des études internationales dont nous disposons, les jeunes Français nous apparaissent comme plus attachés à la neutralité religieuse de l’Etat que les jeunes Anglais, ou que leurs camarades suédois ou néerlandais, assure Nathalie Mons ; un peu comme s’ils faisaient figure de champions de la laïcité. »
Place concrète et quotidienne
Si l’adhésion au principe de la laïcité semble partagée, la place concrète et quotidienne accordée à la religion au sein des établissements est plus clivante. Ainsi, 64 % des élèves de 3e et 62 % de ceux de terminale déclarent qu’il est plutôt important (ou très important) de pouvoir s’absenter un jour de fête religieuse. En revanche, les élèves sondés, et plus encore leurs enseignants, se disent majoritairement attachés au fait que la religion ne soit pas visible dans l’espace scolaire – dans la lignée de la loi de 2004 sur les signes religieux à l’école publique. « Ces réponses mettent en évidence la réussite de l’école à se constituer en quasi-sanctuaire de la laïcité », avance Barbara Fouquet-Chauprade, chercheuse à l’université de Genève qui a pris part à l’enquête.
Une lecture positive qui ne manquera pas de faire réagir, au sein du monde éducatif, tous ceux qui ont en tête d’autres chiffres : l’éducation nationale, qui tient le décompte des « atteintes à la laïcité » en milieu scolaire, en a recensé jusqu’à un millier certains trimestres. Ou ces enseignants – les travaux du Cnesco se sont limités à ceux prenant en charge l’enseignement moral et civique – qui font état de difficultés d’une autre ampleur, citant des problèmes à la cantine, en cours, à la piscine ou encore lors de sorties scolaires.
« Notre enquête n’est pas en contradiction avec ces chiffres officiels, explique Mme Mons. Les réponses que nous ont faites enseignants et chefs d’établissement montrent que les cas problématiques, enkystés dans 200 à 300 établissements relevant souvent de l’enseignement professionnel ou de l’éducation prioritaire, peuvent trouver, localement et dans le dialogue, une solution dans la majorité des situations. » Pour le Cnesco, seuls 2 % des principaux de collège et 1 % des proviseurs de lycée déclarent avoir rencontré des problèmes importants pour des motifs religieux.
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