Entre 2014 et 2018, un collectif de 17 chercheurs piloté par Bernard Lahire, professeur de sociologie à l’Ecole normale supérieure de Lyon, a mené une enquête sur la reproduction des inégalités, en dressant le portrait de 35 enfants de 5 ans. Si Enfances de Classe (Seuil, 2019), un travail sociologique d’une ampleur inédite, éclaire les déterminants de la réussite scolaire, il permet aussi de comprendre les inégalités d’accès et de réussite dans l’enseignement supérieur, comme l’explique Bernard Lahire.
Oser des choix d’études ambitieux, ne pas « s’autocensurer », avoir confiance dans ses possibilités : en quoi ces capacités individuelles sont-elles influencées par les origines sociales ?
Bernard Lahire : Le système français est très hiérarchisé. Il existe d’importantes différences de réputation et de « valeur » entre les filières de bac, entre les mentions obtenues, entre les lycées d’origine… L’espace de l’enseignement supérieur l’est aussi : des filières les plus « populaires » que sont les BTS jusqu’aux classes préparatoires à l’autre bout du spectre, avec au milieu l’université et les IUT. Tout cela est inégalement « noble ». Quelqu’un qui a un bac général sait qu’il « vaut mieux » qu’un bac techno et pro. Il sait aussi que s’il est en S, il est plus « légitime » que quelqu’un qui est en ES ou en L.
« Les étudiants qui entrent dans le supérieur ont intégré les hiérarchies scolaires »
Ainsi, les étudiants qui entrent dans le supérieur sont déjà remplis de ces différences, ils ont intégré ces hiérarchies, et cela a des effets sur la perception qu’ils peuvent avoir d’eux-mêmes, de leur avenir, de leurs possibilités. Ils n’arrivent pas avec la même énergie scolaire, la même assurance… Pour certains, il est évident qu’ils vont aller jusqu’à bac + 5, pour d’autres, l’horizon, c’est péniblement deux ou trois années d’études.
Quand vous vous sentez dans une position dominante dans la société, rien ne vous semble impossible en matière d’orientation. Et plus vous avez d’assurance, moins vous doutez de vos capacités d’aller dans des filières d’études les plus prestigieuses. Récemment j’ai mené un entretien avec un fils de gynécologue qui me disait : « Je faisais le pitre, j’étais un élève moyen au collège puis assez catastrophique au lycée, j’avais 6 de moyenne dans des grosses matières. Mais j’étais pourtant certain de réussir médecine. » Il avait la confiance que lui donnait son statut social. Et dans les faits, il a eu le bac avec une mention assez bien, et médecine du deuxième coup. On ne retire pas à un enfant de la bourgeoisie la certitude qu’il a en lui.
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