Interview

Chômage à 8,1 % : «Un résultat inespéré pour le gouvernement»

L’économiste Mathieu Plane analyse le nombre de demandeurs d’emploi, au plus bas depuis 2008 selon l’Insee. En cause notamment, les effets de politiques passées et la démographie.
par Christophe Alix
publié le 13 février 2020 à 21h06
(mis à jour le 14 février 2020 à 12h06)

Mathieu Plane est directeur adjoint du département analyse et prévision de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), le centre de conjoncture économique de Sciences-Po. Il estime qu’avec un taux de chômage en recul à 8,1 % fin 2019, au plus bas depuis 2008, la France pourrait finir par refermer une longue période de chômage de masse commencée dans les années 70. La fin d’un particularisme, par rapport à ses voisins européens, qui ne doit pas masquer le fait que le chômage n’est plus le seul indicateur à prendre en compte quand on mesure l’activité d’un pays.

Etes-vous étonné par l’ampleur de cette baisse ?

Franchement oui. On n’est pas surpris par une baisse mais par son ampleur dans un contexte de baisse de la croissance. C’est un résultat inespéré pour le gouvernement alors que la croissance, qui avait atteint 2,4 % en 2017, a renoué avec sa mollesse habituelle en France, à peine au-dessus de 1 %. Normalement, une telle performance permet juste de stabiliser le chômage, pas de le faire reculer de 0,7 point sur un an.

Il y a donc une énigme à cette baisse ?

On peut lister toute une série d’explications à ce recul. Il y a d’abord les effets retardés des politiques passées de baisse du coût du travail, avec le CICE, mis en place sous François Hollande, et surtout le bonus du double versement de 2019 avec sa transformation en baisses de cotisations. On peut aussi évoquer le ralentissement de la croissance de la population active résultant de celle de la démographie avec un nombre d’entrants sur le marché du travail qui diminue. Pour la première fois depuis 2001, le solde de créations d’emplois dans l’industrie est également redevenu positif en 2018 - 7 900 créations nettes de postes en 2019 - et il semble donc que le pic de la désindustrialisation soit désormais derrière nous. Le secteur du BTP a également retrouvé des couleurs, mais pris séparément, aucun de ces facteurs n’a eu à lui seul un effet déterminant.

Le gouvernement y voit les résultats de ses réformes dans la formation, la libéralisation du marché du travail et la reprise de l’investissement…

Tout cela peut jouer même si la reprise de l’investissement remonte à 2015 et que la loi travail n’influe guère sur le volume des emplois mais plutôt sur leur nature. Le sous-emploi pour les personnes travaillant dans un temps partiel subi diminue un peu et il y a une inflexion sur les créations d’emplois en CDI et un recul de l’intérim. Mais sans pour autant remettre en cause la part écrasante des CDD dans les nouveaux contrats de travail.

Il y a quand même deux points noirs : le chômage des jeunes et la montée de ce que l’on appelle le «halo du chômage». Comment les analysez-vous ?

Les premiers ont peut-être pâti de la forte réduction des contrats aidés depuis deux ans. Quant au «halo» du chômage, qui désigne les personnes souhaitant travailler mais n’apparaissant pas dans les statistiques, soit 1,7 million de personnes, son augmentation est contre-intuitive. Normalement, lorsque le marché du travail est dynamique avec un fort retour de l’activité comme actuellement, ce halo devrait baisser.

Or ce n’est pas le cas. Soit c’est structurel et ce serait le plus embêtant puisque cela supposerait que l’éloignement du travail est définitif pour les plus précarisés. Soit, et cela me paraît plus probable, les 90 000 personnes de plus incluses dans le halo du chômage en 2019 risquent de finir par se retrouver dans les statistiques d’ici un an. L’objectif d’arriver à 7 % de taux de chômage en 2022, qui n’a jamais paru aussi atteignable malgré le ralentissement de la conjoncture, pourrait alors s’en trouver compromis.

Faut-il s’inquiéter que l’on parvienne à créer autant d’emplois avec des gains de productivité quasi-nuls ? Là aussi, c’est contre-intuitif…

A long terme, le recul de la croissance potentielle et des gains de productivité est évidemment problématique pour la création d’emplois durables et de qualité. C’est d’ailleurs également une préoccupation pour l’avenir des retraites : dans ses projections, le Conseil d’orientation des retraites table sur des gains de productivité moyens de 1,3 % par an. Or on est actuellement proche de zéro ! Il y a un paradoxe français : on multiplie les réformes structurelles et fiscales avec un niveau d’investissements élevé et pourtant on gagne très peu de parts de marché. Si les résultats de court terme sont indéniablement meilleurs, la trajectoire de long terme reste soumise à de nombreux aléas.

Peut-on imaginer l’inimaginable, c’est-à-dire la fin d’un chômage de masse en France ?

L’exception française en la matière est en train de disparaître et en l’absence de récession majeure causée par une nouvelle crise financière dans les prochaines années, oui, cela semble possible. La France risque alors de se retrouver dans la situation qui est déjà celle de nombreux pays industrialisés marqués par le vieillissement accéléré de leur population. Le principal problème n’y est plus de trouver un emploi, mais de trouver la main-d’œuvre rapidement mobilisable. Pour autant, les salaires n’y augmentent que modérément et il reste une part de précarité et de pauvreté qui n’est pas absorbée par ce besoin cruel de main-d’œuvre. Dans des sociétés où les parcours de vie sont beaucoup moins uniformes et bien plus éclatés, le taux de chômage continue certes d’être un indicateur clé de l’activité et de la santé économique d’un pays. Mais il n’est plus le seul, loin de là, et doit être complété par de nouvelles approches comme celle de ce halo du chômage qui n’aurait jamais existé au moment des Trente Glorieuses.

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