Discrimination au travail : ces histoires de salariés licenciés à cause de leur handicap

par Sibylle LAURENT
Publié le 11 février 2020 à 10h49
Prud'hommes de Paris.
Prud'hommes de Paris. - Source : AFP

HANDICAP - Alors que Emmanuel Macron préside ce mardi à l'Elysée une "conférence nationale du handicap", la discrimination sur ce motif reste trop fréquente en entreprise. Pour mieux saisir la problématique, LCI s'est plongé dans les histoires de salariés passés devant les tribunaux après en avoir été victimes.

Les chiffres témoignent d’une terrible réalité. En France, le taux de chômage est deux fois plus élevé chez les personnes handicapées que chez les valides. Et si une loi oblige les entreprises à embaucher au moins 6% de leur personnel handicapé, la réalité est bien en deçà : d'après les dernières données, le taux d'emploi direct des personnes handicapées atteint 3,5% dans le secteur privé en 2017, et 5,6% dans le public. 

Les personnes handicapées et l’emploi, c’est l’un des enjeux du Conseil national du handicap qui se tient ce mardi à l’Elysée. Et il y a beaucoup de travail en la matière. "Le visage de la discrimination vis-à-vis du handicap est multiforme", souligne auprès de LCI Me Eric Rocheblave, avocat spécialisé en droit du travail. "C’est non seulement l’accès au travail des personnes handicapées, donc éventuellement leur discrimination à l’embauche. Mais c’est aussi la discrimination de salariés déjà en place et soit déjà handicapés, soit qui le deviennent. Le contentieux sur le sujet est très important : discriminations liées aux évolutions de carrière, aux ruptures de contrat de travail, ou encore parce que votre employeur manque à son obligation d’adapter votre poste…" 

Les plaignants se heurtent souvent à une difficulté de preuve
Me Eric Rocheblave

Sauf que prouver la discrimination est compliqué. "Il appartient au salarié d’apporter des éléments qui permettent de faire présumer l’existence d’une discrimination", poursuit l'avocat. "Puis l’employeur doit apporter la preuve que les mesures qu’il a adoptées sont étrangères à toute discrimination. Le juge apprécie le tout. Mais, comme pour toutes les formes de discrimination, les plaignants se heurtent souvent à une difficulté de preuve et c’est ce qui fait que, très souvent, le juge considère qu’il n’y a pas discrimination. Et la réparation aux prud’hommes n’est pas mirobolante."

Pour mieux comprendre, LCI s'est plongé dans les histoires de salariés handicapés passés devant les tribunaux. 

Licenciée à cause de sa surdité

Kahina, atteinte d’une déficience auditive, est embauchée fin 2013 par Elior first maintenance company (EFMC), comme d’hôtesse d’accueil. Elle est affectée au musée du quai Branly à Paris, où elle a pour mission d’orienter les visiteurs, tenir le vestiaire et aiguiller les appels téléphoniques, rapporte le site Droit  du travail France. Elle demande alors des outils de travail adaptés à son handicap, notamment un appareil téléphonique pour personnes malentendantes. Sur le principe, son employeur accepte, mais sa requête reste sans réponse. Il apparaît alors qu’au bout de quelques mois, l’état de santé de la salarié se dégrade. La salariée a fait l’objet de plusieurs arrêts de travail puis d’un mi-temps thérapeutique. En parallèle, sa mission change : elle est affectée au vestiaire, situé au sous-sol. 

La jeune femme a fini par être licenciée par la filiale d’Elior. Mais elle a attaqué son ex-employeur aux prud'hommes, qui ont annulé, le 5 juillet 2018, ce licenciement. La Société EFMC devait réintégrer la victime si celle-ci le demandait et lui verser des dommages et intérêts d’un peu plus de 60.000 euros.

Poussée à démissionner car elle voulait pouvoir s’occuper de son enfant handicapé

L’histoire a été jugée devant les prud’hommes de Paris. Laëtitia, salariée d'une agence bancaire, demande un aménagement d'horaires pour s'occuper de son enfant handicapé, raconte L’Express, qui a assisté à l’audience. Son employeur refusant, elle indique avoir été poussée à démissionner. "Ma cliente a été engagée comme chargée de compte dans une agence bancaire d'une ville du Val d'Oise", explique à l’audience son avocat. "Elle vit maritalement et a un enfant handicapé. Mais elle souhaite avoir du temps pour sortir son enfant d'un établissement où ça se passe mal pour lui. Elle demande une mobilité pour emmener son enfant à l'école et le récupérer. Elle demande un aménagement d'horaires : il lui est refusé. Elle a donc démissionné pour un motif impératif. Elle impute cette démission à son employeur." D'après l’avocat, la supérieure de la salariée lui aurait dit : "'Si tu veux t'occuper de ton enfant handicapé, tu démissionnes', elle n'a pas le choix. Le 25 juin 2013, elle rédige donc sa lettre de démission."

 En face, l’employeur argue avoir fait des gestes, comme de proposer un 80% et d'étudier des mobilités au sein du groupe, ce qu'a refusé la salarié. Elle veut simplement des horaires décalés le matin et le soir. Dans le verdict, rendu le 10 février 2017, le conseil des prud'hommes déboute Laëtitia sur le fait que l'acte de rupture de son contrat de travail ne peut être considéré comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse. La banque est néanmoins condamnée à lui payer 25.000 euros au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail, puisque aucune solution n'a été trouvée pour lui permettre de concilier les contraintes de sa vie personnelle liée à un enfant souffrant de handicap avec celles de sa vie professionnelle. 

Un pied amputé, et un poste de travail qui n'est pas aménagé

L'histoire est rapportée par le Dauphiné, et se déroule en Ardèche. C’est une salariée qui, à 5 ans, à la suite d’un accident, a été amputée du pied droit. Elle a, à l’âge adulte, été embauchée en CDI, dans une agence postale de la Poste, en 2005. Elle y a notamment été retenue dans le cadre du "recrutement de personne travailleur handicapé". Mais en octobre 2012, elle saisit les Prud'hommes car son poste de travail n’est pas aménagé. Elle invoque d’ailleurs "la méconnaissance, par son employeur, des dispositions des articles du code du travail, en lien avec le refus d’aménager son poste de travail pour qu’elle ne reste pas fréquemment en position debout, source d’inconfort, de fatigue et de douleur". 

En mai 2014, le tribunal donne raison à la salariée : il considère que "le refus de prendre les mesures appropriées peut être constitutif d’une discrimination", et condamne La Poste à 50.000 euros de dommages et intérêts pour discrimination et non-respect des dispositions, ainsi qu'à 15.000 euros pour manquement à son obligation de sécurité.

Mise à la retraite contre son gré après un accident de trottinette

Autre cas rapporté par L'Express : celui de Patricia, cadre dirigeante qui réclamait un million d’euros à son employeur en estimant avoir été poussée à prendre sa retraite depuis qu’elle avait eu, en 2012, un grave accident de trottinette l'ayant laissée handicapée. Patricia était en effet embauchée depuis 30 ans dans un établissement public, y était cadre dirigeante, puis directrice des grandes comptes. Son travail était econnu et apprécié.  

"Elle fait une chute malencontreuse qui la conduira à être immobilisée pendant deux ans. Elle a des séquelles à vie, elle a le statut de travailleur handicapé", rapporte son avocat à l’audience qui s’est tenu le 30 août 2017 au Prud’hommes de Paris, à laquelle assistait l'hebdomadaire. "La moindre des choses, quand on revient de maladie est de retrouver un poste équivalent. Or, son employeur va profiter de son handicap pour la placardiser et l'évincer. Son poste est repris par quelqu'un d'autre." L’employeur argue lui que la plaignante a exprimé très clairement, dès 2014, vouloir partir à la retraite, et que "c’est pourquoi toute l’organisation du travail a été mise en place à sa demande." Patricia a finalement été déboutée. 

Licencié après un accident de ski

C’est un dossier dont s’était saisi le Défenseur des droits, alors qu'il était jugé par les prud’hommes de Rennes en 2017. Un salarié, embauché en janvier 2012 comme ingénieur commercial, est victime d’un grave accident de ski trois ans plus tard. Il est placé en arrêt maladie pendant plusieurs mois, mais informe son employeur de l’évolution positive de son état de santé, et évoque avec lui les conditions de la reprise de son travail. Entre temps, il a été reconnu comme travailleur handicapé. Sauf que son employeur le licencie pour "absence prolongée perturbant gravement le fonctionnement de l’entreprise nécessitant son remplacement définitif". 

Le Défenseur des droits a considéré que le salarié avait fait l’objet d’un licenciement qui "n’est pas justifié par la situation objective de l’entreprise dont la désorganisation a nécessité son remplacement définitif, mais par son état de santé et son handicap". Son licenciement est donc "discriminatoire et encourt la nullité". 

Le conseil des Prud’hommes a suivi les observations du Défenseur des droits, et rappelé qu'aucun salarié ne peut être licencié en raison de son état de santé ou de son handicap, sauf si l’employeur peut justifier d’une perturbation importante de l’entreprise liée aux absences du salarié, et de la nécessité de procéder au remplacement définitif de celui-ci. La société a été condamnée à verser 10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice subi ainsi que 30.000 euros pour licenciement nul.

Focus sur ces entreprises qui recrutent des personnes handicapéesSource : JT 13h WE

L'employeur mauvais payeur

Parfois, il arrive que le salarié gagne en justice… mais que l’histoire ne soit pas bouclée pour autant. C’est ce qui est arrivé à cet employé chez Ikéa près de Nantes, chargé de la réception et de l’envoi des marchandises. L’homme avait été licencié en décembre 2016 pour "insuffisance professionnelle", alors qu'il s’apprêtait à recevoir sa reconnaissance de travailleur handicapé. Il avait donc saisi les Prud’hommes, et gagné. Les juges avaient annulé son licenciement et condamné Ikea à verser un peu plus de 50.000 euros, notamment de dommages et intérêts, rapporte le journal Ouest-France. 

Sauf qu’Ikéa a ensuite tardé à verser les sommes : la société avait en effet choisi de se pourvoir en appel, et a craignait de ne pas revoir son argent si elle gagnait la procédure. Sauf que, saisie sur le sujet, la cour d’appel de Rennes a refusé, en estimant que cette situation financière n’était pas de nature à entraîner des conséquences excessives pour la société. L’ordonnance rendue n’a pas non plus suffi. D’après l’avocate du plaignant, interrogée par le journal régional, il a finalement fallu faire appel à un huissier, et procéder à une saisie conservatoire pour bloquer la somme. 


Sibylle LAURENT

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