Partager
Education

Démissions en série, errements stratégiques... Le fiasco de l'emlyon

Ambitieuse, l’emlyon s’est développée à marche forcée pour ouvrir son capital à des fonds d’investissement. Les démissions s’enchaînent et la stratégie est remise en question. Une crise inédite.

1 réaction
Le campus de l’emlyon, à Ecully. L’école, quatrième au palmarès des écoles de commerce de Challenges, a grandi très vite : en quatre ans, le nombre d’étudiants a doublé, mais pas celui des professeurs.

Le campus de l’emlyon, à Ecully. L’école, quatrième au palmarès des écoles de commerce de Challenges, a grandi très vite : en quatre ans, le nombre d’étudiants a doublé, mais pas celui des professeurs.

Photos : SDP

Il règne une ambiance électrique sur le campus de l’emlyon. Le 2 mars, les auditeurs de la Commission d’évaluation des formations et diplômes de gestion (CEFDG), qui octroie le droit de délivrer le grade de master, débarquent à Ecully. Ils viennent contrôler la stratégie et les moyens alloués. Or, la business school lyonnaise traverse une crise sans précédent. Son directeur général, Tawhid Chtioui, a démissionné début décembre, comme la responsable du programme grande école, Nathalie Hector, mi-février, dont il voulait la tête. « Ça a été un feu d’artifice incroyable », raconte un consultant. L’illustre établissement, quatrième ex aequo avec l’Edhec au palmarès des écoles de commerce de Challenges, est décapité. Et la chambre de commerce et d’industrie (CCI) de Lyon, majoritaire au capital, est empêtrée dans cette affaire dont tout le monde parle en ville.

Privatisation pionnière

L’an dernier, son président, Emmanuel Imberton, également démissionnaire, a troqué le statut associatif de l’emlyon pour celui de société anonyme, afin d’ouvrir le capital à des fonds d’investissement. Cette privatisation constitue une première pour les grandes écoles en France, dont l’objet est généralement à but non lucratif. Pour faire ce saut périlleux, la direction a accéléré très fort. En quatre ans, le nombre d’étudiants a doublé, mais pas celui des professeurs. « Je suis scandalisée, tonne Alice Guilhon, la directrice de Skema, qui préside le chapitre des écoles de management à la Conférence des grandes écoles. Notre mission d’éducation est incompatible avec la rentabilité exigée par les fonds. » Elle lie très directement la mutation de l’emlyon à ce grand fiasco : « Le choix d’avoir ouvert le capital est irresponsable. » Car, derrière une routine apparente, la gouvernance de l’école collectionne les crises depuis des mois. En décembre, le directeur général Tawhid Chtioui a donc quitté le navire, neuf mois seulement après son entrée en fonction. Partis aussi, la directrice des ressources humaines et le directeur financier, puis Nathalie Hector. Avant Noël, celle qui ne parlait plus avec Tawhid Chtioui avait découvert que 400 étudiants n’avaient pas de cours assurés pour la rentrée de janvier ! Même le directeur académique, Philippe Monin, est donné partant.

Bateau ivre

Dans l’urgence, un président du directoire par intérim a été nommé. « Je mène une mission de stabilisation », pose Tugrul Atamer, professeur de stratégie depuis trois décennies à l’école. Pour trouver son successeur, un mandat a été confié au cabinet HRM, celui qui a placé Eric Labaye, l’ancien directeur de McKinsey, à la tête de Polytechnique (lire page 23). Mais quel « gestionnaire à la fois visionnaire et international », dixit la fiche de poste, acceptera de prendre la barre de ce bateau ivre ? Car, cet automne, Bernard Belletante, le vice-président du conseil de surveillance, et directeur de l’emlyon de 2014 à 2019, a lui aussi claqué la porte, suivi de peu par le président du directoire, Bruno Bonnell, serial entrepreneur lyonnais et député LREM. Ces deux piliers de l’école sont à l’origine du projet de transformation de l’institution, devenue Early Makers Group, afin d’accueillir des fonds d’investissement.

En septembre, Qualium et Bpifrance son entrés au capital lors d’une première augmentation de capital de 40 millions d’euros. Ils doivent verser 60 millions de plus à la chambre de commerce de Lyon pour conforter leur participation. « Aujourd’hui, l’emlyon est comme un A 330 qui a perdu ses deux réacteurs », constate, dépité, un administrateur qui a soutenu cette transition. Dans le petit monde des business schools, chaque rebondissement est suivi comme le nouvel épisode d’une série ahurissante.

Démesure mondiale

Rien ne s’est passé comme prévu. En 2014, l’école présente un programme ambitieux en vue de sa privatisation. Il comprend des innovations pédagogiques, mais aussi l’ouverture de campus et la création de diplômes, comme un bachelor et des masters spécialisés. Tout cela s’accompagne d’une forte augmentation des effectifs et des frais de scolarité, désormais à 44 000 euros pour le programme grande école. La conviction de Bernard Belletante, alors patron de l’établissement, est claire. « Il n’y aura, dans dix ans, que trois ou quatre écoles de management françaises de dimension mondiale. Nous voulons en être, à côté d’HEC et de l’Insead. » Or, les chambres de commerce, qui contrôlent la plupart des business schools de premier rang en France, n’ont plus le sou, en raison d’une baisse massive de leurs ressources décidée par l’Etat. Ainsi, les dotations de Lyon Métropole ont été ramenées à zéro cette année.

Comme ses concurrentes, l’emlyon doit repenser son modèle économique et trouver des investisseurs. Un statut d’établissement d’enseignement supérieur consulaire est même créé à cet effet par la loi Mandon de 2014. Mais cette cote mal taillée ne prévoit pas le versement de dividendes. Et les CCI restent majoritaires. Difficile dans ces conditions d’attirer de gros poissons. L’agitateur Bernard Belletante a un autre schéma en tête : celui de passer en société anonyme. En 2017, avec Bruno Bonnell, il commence à prospecter le marché en vue de faire entrer des fonds.

Une quinzaine de candidats, y compris étrangers, se mettent sur les rangs. Même Galileo Global Education (Paris School of Business, Web School Factory, Penninghen, Cours Florent…) et son nouvel actionnaire Téthys, le holding de la famille Bettencourt-Meyers, regarde le dossier. Le document de présentation de Natixis Partners, banque conseil de la CCI, a de quoi les allécher. Le projet Lumières prévoit un triplement du chiffre d’affaires, à 330 millions d’euros, et le quintuplement du résultat courant en seulement cinq ans. Ce sera la mission de Tawhid Chtioui. En seulement trois ans, le jeune directeur du nouveau campus de l’emlyon à Casablanca, au Maroc, a recruté un millier d’étudiants. A l’avenir, la business school lyonnaise doit devenir une « business university », hybride et transdisciplinaire, avec une école de droit, de design et d’ingénieurs.

Dans la short list finale, Eurazeo a la faveur de Bruno Bonnell. Virginie Morgon, sa patronne, a quelques atouts à faire valoir. Fille de médecins lyonnais, elle connaît bien le patronat local. Quelques mois plus tôt, son fonds a acquis deux écoles hôtelières suisses, Les Roches et l’Institut Glion, pour 350 millions d’euros. Mais elle veut la majorité tout de suite. Les élus consulaires lui préfèrent Qualium, qui joue de sa proximité avec la Caisse des dépôts, bientôt rejoint par Bpifrance. Pourtant, ses équipes ne connaissent rien à l’éducation.

Déficit de confiance

La passation de pouvoir entre les deux directeurs, Belletante et Chtioui, a lieu le 1er avril 2019. Aussitôt, le fils spirituel rompt avec son mentor. Il laisse entendre que le business plan est suicidaire. Son premier budget affiche une perte, au lieu des 5 millions d’euros de bénéfices prévus. Une soixantaine d’embauches sont programmées pour rassurer des salariés inquiets. Chtioui réclame aussi la tête de Nathalie Hector et de Philippe Monin. Ce docteur en science de gestion, diplômé de Harvard, complexe et narcissique, inquiète les actionnaires, qui le poussent à démissionner le 13 décembre. « Certaines de ses initiatives ne correspondaient pas au business plan », euphémise Boris Podevin, directeur général délégué de Qualium et administrateur de l’emlyon. Depuis, l’argent du fonds reste bloqué sur un compte en banque.

Chez les étudiants aussi, la colère monte, même si l’omerta prévaut. En première année, les élèves sortis de prépa découvrent un emploi du temps ultra light, avec seulement 9 heures de cours par semaine. Il n’y a quasiment pas d’anglais. Et la comptabilité s’apprend en ligne. Pour choisir leurs cours électifs, le logiciel maison fonctionne selon le principe du shotgun (carabine) : premier arrivé, premier servi. « Cela a créé de la frustration, admet Akira Bourgeois, responsable de la corpo étudiante. Mais ce sera terminé cette année. » Sur Facebook, des groupes fustigent les décisions de l’administration, comme cet examen à repasser sur Internet, après une suspicion de fraude. « On a toujours pensé qu’ils avaient perdu nos copies, rigole une étudiante. Et on s’est tous entraidés. »

Avertissement pédagogique

Un événement vient cristalliser ce sentiment de fuite en avant. En juin dernier, une centaine d’étudiants qui candidataient par admission parallèle sont intégrés sans avoir à passer l’oral. Ce sont ceux qui avaient les meilleurs dossiers. Les concurrents crient au scandale. Bernard Belletante et Tawhid Chtioui se renvoient la balle. L’emlyon écope finalement d’un avertissement de la Conférence des grandes écoles. Les actionnaires, eux, comptent les points, jusqu’à ce que Jean Eichenlaub, patron de Qualium, prenne lui-même la présidence du conseil de surveillance.

« Le saut a été fait très rapidement, reconnaît Emmanuel Imberton, ex-président de la CCI de Lyon et administrateur de l’école. On défriche un peu. Il faut trouver l’équilibre. » Pour éviter l’accident industriel, Qualium et Bpifrance devraient revoir leurs objectifs initiaux de rentabilité à 15 % et d’une valorisation doublée dans cinq ans. Le profil du futur directeur général confirmera sans doute cette inflexion. « Quand vous descendez une route de montagne glacée par temps de brouillard, et que derrière, un concurrent comme l’Edhec, mieux équipé, vous rattrape, c’est compliqué », décrit le directeur d’une école parisienne. Early Makers Group se réveille avec la gueule de bois.

 

EMMANUEL MÉTAIS, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L’EDHEC «Nous voulons une croissance au service de la société »

Le 12 mars, Emmanuel Métais, le patron de l’Edhec, concurrent direct de l’emlyon, présentera son plan stratégique Ambitions 2025. L’occasion de se démarquer un peu plus de sa rivale.

Challenges. L’évolution capitalistique de l’emlyon vous inspire-t-elle ?

Emmanuel Métais. Nos modèles sont radicalement opposés. Comment partager le pouvoir avec des gens dont l’horizon de temps est de cinq ans et l’objectif est de quintupler les profits ? Vous pouvez toujours virer des professeurs et diminuer les cours en classe. Nous voulons une croissance soutenable, au service de l’économie et de la société toute entière.

Pour ce qui vous concerne, d’où viendra la croissance ?

L’Edhec a atteint une taille critique, avec environ 10 000 étudiants. La question aujourd’hui est donc celle du niveau de gamme et de l’excellence académique que nous souhaitons atteindre.

Quelles seront vos sources de financement ?

La cession en janvier de la start-up Scientific Beta à la Bourse de Singapour montre la voie. Cette jeune pousse issue de notre recherche est valorisée 200 millions d’euros. Il pourrait y en avoir d’autres.

1 réaction 1 réaction

Centre de préférence
de vos alertes infos

Vos préférences ont bien été enregistrées.

Si vous souhaitez modifier vos centres d'intérêt, vous pouvez à tout moment cliquer sur le lien Notifications, présent en pied de toutes les pages du site.

Vous vous êtes inscrit pour recevoir l’actualité en direct, qu’est-ce qui vous intéresse?

Je souhaite TOUT savoir de l’actualité et je veux recevoir chaque alerte

Je souhaite recevoir uniquement les alertes infos parmi les thématiques suivantes :

Entreprise
Politique
Économie
Automobile
Monde
Je ne souhaite plus recevoir de notifications