"Vous intégrez la cassonade dans votre beurre pommade, puis vous déposez le craquelin…" Les 14 apprentis suivent attentivement le geste assuré de Bénédicte Van der Motte. Voilà un an que cette ancienne cheffe de restaurants prestigieux enseigne à Ferrandi, l’école de référence de la gastronomie française. Au cœur de la capitale, celle-ci forme 1.600 élèves titulaires d’un CAP mais aussi, pour certains, d’un Bac + 5. Ce matin-là, autour du marbre, tous les élèves sont d’ailleurs des adultes en reconversion, comme Natacha Aubertin, "lasse de ne plus trouver de sens à son travail après quinze ans de management dans les assurances", ou Alexandre Timar, jeune ingénieur du son qui rêve d’ouvrir un restaurant en Touraine. Ces nouveaux aspirants à une carrière en cuisine se montrent disciplinés, mais exigeants. "Ce ne sont pas des élèves comme les autres, confie Philippe Leconte, qui officie sur le marbre voisin. Ce sont aussi des clients."

De fait, à plus de 8.000 euros la formation, les attentes sont fortes. Le chef ne ménage pas ses étudiants pour autant. Le monde de la restauration peut être brutal et, estime-t-il, "il faut y préparer les gens". Les apprentis apprennent très vite à ne pas s’embarrasser de "s’il vous plaît" ou de "merci" ! Après cinq ans d’exercice, trois diplômés sur douze seulement continueront dans le secteur… Dans le labo situé de l’autre côté de la grande cour intérieure, le chef Arnaud Savina tresse délicatement trois brins de pâte à brioche devant des apprentis en toque, âgés de 15 à 17 ans. Pour ces adolescents, la scolarité est gratuite et dure deux ans. Pauline partage ainsi son temps entre l’école et le rayon boulangerie d’un centre commercial. Elle veut se se spécialiser en pâtisserie, mais les demandes sont en forte hausse et seule une candidature "pâtisserie" sur dix sera retenue.

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Malgré les difficultés du métier, l’école, fondée il y a cent ans par la Chambre de commerce et d’industrie de Paris, attire toujours autant. Au fil des années, elle a en effet su maintenir un niveau technique élevé et un encadrement haut de gamme. Ici, on apprend avec certains des meilleurs ouvriers de France et des chefs passés par des palaces et des restaurants étoilés, quand ce ne sont pas les cuisines de l’Elysée. Mais le prestige de Ferrandi tient aussi aux liens étroits qu’elle entretient avec les acteurs du secteur, y compris à étranger. "Nous avons, par exemple, des partenariats avec l’ESCP ou l’école des Gobelins autour des projets de création d’entreprise de nos étudiants", indique Marie Verlé, responsable des programmes supérieurs. Un réseau unique, de surcroît étoffé par le carnet d’adresses des professeurs. "Nos jeunes ne sont pas des numéros, on peut les placer", insiste Olivier Penant, tout en gardant un œil sur ses élèves affairés à dresser nappes et couverts.

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Service à la française ou à la russe, maîtrise des produits, codes et postures, gestes techniques, amabilité… Ici on apprend aussi tout cela, car le service en salle fait partie du métier. Pour se faire la main, les élèves disposent de deux restaurants d’application, ouverts au public. Déjà les clients s’attablent et Brice, étudiant en deuxième année, cafouille un peu sur ses commandes en cuisine. Emmanuel Henry, son professeur, le bouscule gentiment, mais d’un ton ferme. Dans le labo voisin, l’ambiance est beaucoup plus sereine : on met la dernière main aux desserts sous la houlette de Régis Ferey, ancien chef pâtissier de l’Elysée. Tout en remuant énergiquement une compote de coing, celui-ci évoque son expérience péruvienne : il a ramené d'Amérique latine des variétés de fruits qu’il intègre aujourd’hui à des desserts sans gluten.

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S’adapter aux évolutions de la consommation fait partie du travail des enseignants, même si cela ne simplifie pas la vie des acheteurs de l'école : "Ce n’est pas évident de dénicher huit grammes d’hysope sans savoir ce que c’est !" avoue en souriant Antoine, le chef adjoint de l’économat. Cette plante aromatique, comme tous les ingrédients qui se préparent, s’épluchent, se cuisinent, est pourtant bien arrivée sur place, plus tôt dans la matinée. Chaque jour, on livre ici l’équivalent d’un supermarché de 4.000 mètres carrés de denrées alimentaires ! Installé au rez-de-chaussée du bâtiment, l’économat emploie cinq personnes qui, dès 6 heures du matin, toutes en blouse blanche, déballent et vérifient les palettes.

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Pour le frais, Antoine est méticuleux. Thermomètre en main, il contrôle la température des caisses de poissons, puis, d‘un coup d’œil expert, vérifie que les poulets fermiers ne sont pas "tapés", c'est-à-dire qu’ils ne portent pas de marques ou de veines saillantes. La validation est rapide, le jeune homme, qui a travaillé à la Tour d’Argent et à la cantine du Sénat, a de l’expérience. Il lui a quand même fallu acquérir la maitrise logistique et informatique des stocks et des commandes. Joël Laubignat, responsable de l’économat, se souvient encore d’avoir trouvé, à son arrivée en 2010, un système de feuilles volantes et de papiers de couleur ! Aujourd'hui, en liaison avec le service achats, il s’emploie à développer les circuits courts. Privilégier les fruits et légumes de saison, le bio et la pêche durable ne pas forcément de soi, même avec de grands chefs, "Ils sont conciliants, raconte-t-il, mais pas forcément prêts à modifier la composition d’un menu parce qu’un produit n’est pas disponible !"

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L’autre contrainte est bien sûr budgétaire. Avec un portefeuille annuel de 29 millions d’euros et des aides publiques en baisse, "nous devons diversifier nos activités si nous voulons maintenir des formations gratuites et assurer l’entretien et le fonctionnement de l’école", explique Bruno de Monte, le directeur général. Qui a choisi d’innover : programmes anglophones pour les étudiants étrangers vendus au prix fort (23.000 euros), organisation de master class avec de grands noms de la gastronomie, location des locaux pour des événements... Ferrandi accueille une trentaine de concours culinaires et publie d’imposants volumes de cuisine, véritables concentrés de conseils techniques et pédagogiques, élaborés avec l’aide des chefs. Le but reste toujours le même : maintenir l’excellence !

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