Comme l’Italie, la Grèce, la Pologne, la République tchèque, l’Ukraine et le Danemark, la France fermera donc ses crèches, écoles, collèges, lycées et universités, à compter de lundi 16 mars. Mais à la différence de bon nombre de ces pays, elle le fait pour une durée indéterminée. « Pour notre intérêt collectif », a souligné Emmanuel Macron, lors de son discours aux Français, jeudi 12 mars à 20 heures, et « jusqu’à nouvel ordre ». Pendant « au moins quinze jours », a précisé le 13 au matin son ministre de la santé, Olivier Véran. « On parle forcément de semaines qui peuvent devenir des mois », a fait savoir le ministre de l’éducation, Jean-Michel Blanquer.
Ce sont ainsi plus de 12 millions d’élèves et 2,6 millions d’étudiants qui vont marquer une pause. Pas leurs enseignants : un grand nombre d’entre eux sont appelés à se mettre en ordre de bataille pour assurer la « continuité pédagogique », selon l’expression consacrée.
Une décision bien accueillie par la communauté éducative, après des semaines d’ordres et de contre-ordres face à la propagation du coronavirus, mais qui l’a prise de court. Elle, et tout ce que l’école compte d’observateurs. Toute la journée de jeudi, encore, Jean-Michel Blanquer n’a cessé de défendre la stratégie du « ciblage » et des fermetures « au cas par cas », plutôt que celle de la mise à l’arrêt générale. Il l’a martelée sur Franceinfo au petit matin, et répétée dans l’après-midi à Poitiers, à l’occasion d’un déplacement au CNED, l’opérateur sur lequel l’« école à distance » devra s’adosser.
Un geste moins clivant
Volte-face à l’issue du discours présidentiel : devant la presse réunie en urgence au ministère de l’éducation, peu après 21 heures, M. Blanquer a reconnu l’entrée dans une « nouvelle étape de la lutte contre le coronavirus ». « Chacune des étapes a été inspirée par les scientifiques. C’est en suivant leurs recommandations que nous avançons », a-t-il défendu.
« Jusqu’à aujourd’hui, nous avions envisagé que cela se passe par étapes et, donc, que ce soit des territoires qui soient ciblés ». Des territoires comme l’Oise, le Haut-Rhin, la Corse, une partie du Morbihan et des communes de Montpellier, successivement désignés depuis la fin du mois de février comme des foyers de l’épidémie et dont les écoles ont fermé une à une. Pour expliquer la « bascule », un argument et un seul est avancé : c’est sous l’impulsion du conseil scientifique installé par le ministre de la santé que l’option s’est imposée.
Face à la crise sanitaire, il fallait un geste fort de l’exécutif, et il n’avait que deux options, souffle-t-on dans les couloirs ministériels : un report des élections municipales ou une mise à l’arrêt des écoles. La première piste, dont la rumeur a enflé toute la journée de jeudi, a finalement été écartée. « On aurait pu reprocher à ce gouvernement de se défiler dans l’arène politique », disent les analystes. Fermer l’école constitue un geste moins clivant. Une décision inédite, de mémoire d’historien, même si chacun a en tête le précédent de Mai 1968, quand écoles et universités avaient été emportées dans le mouvement. « Même pendant les guerres, l’éducation nationale a toujours voulu fonctionner, idem pendant les grandes épidémies de grippe », rappelle l’historien Claude Lelièvre.
La décision a aussi un avantage technique, selon les directeurs d’école : fermer au cas par cas perturbe le calendrier national. Tout fermer simultanément permet aussi plus facilement de tout rouvrir en même temps.
Le ministre de l’éducation a reconnu l’entrée dans une « nouvelle étape de la lutte contre le coronavirus »
Ce geste « protecteur », bon nombre d’enseignants et de parents le réclamaient. En quarante-huit heures, la pression est montée d’un cran sur le terrain de l’école, noyée sous un flot de questions. Pourquoi fermer ici une classe, là tout un établissement ? Pourquoi tester tel enfant et pas tel autre ? Qu’est-ce qui est « cluster » (foyer), qu’est ce qui ne l’est pas ? Comment croire que les « gestes barrières » sont intégrés à 5 ans ? Où trouver gel et savon ?
Idem dans les universités, où depuis plusieurs jours, l’inquiétude montait chez les étudiants, mais aussi parmi les personnels. Que faire lorsqu’un étudiant est mis en quarantaine, avec des symptômes, mais qu’il n’est pas testé ? Faut-il poursuivre les activités sportives, propices à des contacts rapprochés ? « Cette annonce nous permet d’avoir des mesures claires pour organiser la suite », estime Nathalie Dompnier, présidente de l’université Lyon-II, qui compte quelque 30 000 étudiants.
« Je suis soulagé », réagit aussi Georges Haddad, président de l’université Paris I-Panthéon Sorbonne. Lui a pris les devants, jeudi matin, en fermant le site de Tolbiac, qui accueille plus de 7 000 personnes à la suite de la contamination d’une enseignante-chercheuse. « La Tour de Tolbiac est une marmite à virus et à microbes, ce n’était pas possible de laisser les universités gérer ça au cas par cas », glisse-t-il.
La décision de fermeture nationale a le mérite de clore tous ces débats. Et d’apaiser le sentiment de « cacophonie » des directives de l’Etat.
Inquiétudes des classes à examen
D’aucuns dans le monde enseignant ont tout de même le sentiment d’avoir perdu des « jours précieux » qui auraient permis, disent-ils, de se former, d’informer, de préparer au mieux un enseignement à distance. « Combien de temps ça va durer ? Que doit-on faire ? Les collègues portent de nouvelles questions, souligne Frédérique Rolet, du SNES-FSU. Dans les collèges et les lycées, la « continuité pédagogique » s’annonce un peu moins problématique qu’au primaire. « Il va falloir qu’on donne des petits exercices à des enfants mais il ne faut pas, à cet âge, aller au-delà de trois heures d’exposition par jour aux écrans », observe Francette Popineau du SNUipp-FSU. Un peu partout, les proviseurs s’interrogent sur la tenue des conseils de classe, l’interruption des voyages scolaires… Les parents d’élèves, eux, questionnent les inégalités d’accès, de temps, de moyens pour des familles contraintes du jour au lendemain, d’accompagner l’école à la maison.
Les classes à examen – la 3e, la 1re, la terminale – concentrent déjà les inquiétudes. Les réactions des élèves, jeudi soir, oscillaient d’ailleurs entre la joie de l’école buissonnière, et la crainte de voir le baccalauréat reporté. « On travaille sur plusieurs scénarios », a déclaré M. Blanquer vendredi, sans cacher sa préférence pour le maintien de l’examen.
Reste à gérer les multiples inconnues. Un service minimum assuré « par l’éducation nationale » doit être mis en place, a promis le ministre de l’éducation pour que « tous les personnels soignants aient une classe près de l’hôpital ». Ce devrait aussi être le cas en crèche, et pour les personnels d’autres « institutions vitales ». Mais personne n’en connaît encore les modalités. « C’est par définition quelque chose qui diffère d’un territoire à l’autre, estime un recteur. Là où se trouvent les hôpitaux, les besoins seront plus importants. On est vraiment dans la dentelle du service public. »
Seconde inconnue de taille : l’organisation du recrutement des enseignants, dont les concours arrivent dans quelques semaines. Outre les concours, « on risque de ne pas pouvoir réunir les jurys, s’inquiète un inspecteur général. Or, si on ne peut pas recruter les enseignants, il en manquera, devant les élèves, en septembre ».
« Il faut envisager dès maintenant un plan B, quand bien même on ne le déclenchera pas, estime Franck Loureiro, représentant du SGEN-CFDT, l’un des principaux syndicats de l’enseignement supérieur, qui ne s’alarme pas de l’enseignement à distance, dès lors qu’il ne dure pas trop longtemps. Les grandes écoles, dont les concours d’entrée sont prévus dans les mois qui viennent, réfléchissent également à la question de l’organisation
Tout le monde est à pied d’œuvre. Syndicats d’enseignants, responsables d’universités et d’écoles, parents d’élèves étaient conviés par leurs ministres de tutelle vendredi, pour réfléchir à une feuille de route.
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