"Tout élève doit pouvoir accéder à une formation mathématique adaptée et rigoureuse." (Emmanuel Royer, CNRS)

Clément Rocher Publié le
"Tout élève doit pouvoir accéder à une formation mathématique adaptée et rigoureuse." (Emmanuel Royer, CNRS)
Les mathématiques, une matière omniprésente dans le système éducatif français. // ©  Axel Biewer/plain picture
Emmanuel Royer est directeur adjoint scientifique de l'Institut national des sciences mathématiques et de leurs interactions (INSMI), un des dix instituts disciplinaires du Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Au lendemain de la semaine des mathématiques, qui s'est tenue du 9 au 15 mars 2020, il établit un état des lieux de la présence des mathématiques en France.

Pourquoi les mathématiques sont toujours considérées comme une matière nécessaire et à part dans l'éducation ?

Les mathématiques sont omniprésentes dans notre société qui est fortement numérique. Tout élève doit pouvoir accéder à une formation mathématique à la fois adaptée et rigoureuse.

Emmanuel Royer
Emmanuel Royer © Photo fournie par le témoin

Pour ce qui est des mathématiques dans l’éducation, il faut noter que les enseignantes et enseignants du secondaire sont formés dans les universités par des mathématiciennes et des mathématiciens qui font de la recherche. Il est donc important que la formation du futur corps enseignant se fasse au contact de la recherche.

Un facteur qui explique certainement la place de la recherche mathématique française dans le monde, c'est la qualité de l’enseignement. Un corps enseignant bien formé permet d’avoir des élèves bien formés qui eux-mêmes pourront rejoindre ce corps enseignant en participant à sa qualité. Nous allons casser ce cercle vertueux si les mathématiques sont moins enseignées par les chercheuses et chercheurs en université.

Les liens entre le monde du secondaire et le monde de la recherche se poursuivent d'ailleurs au-delà de la formation initiale, notamment via les Instituts de recherche sur l'enseignement des mathématiques (Irem). Ce sont des interfaces avec l'enseignement secondaire proches des laboratoires. Ce lien mérite d’être valorisé et amplifié. C’est l’un des objectifs de l’année des mathématiques [l'année 2019-2020 a été déclarée année des mathématiques par le ministère de l'Education nationale en partenariat avec le CNRS, NDLR] et des formations proposées par le CNRS au ministère de l’Education nationale.

Les mathématiques sont pourtant toujours un outil de sélection...

Il faut demeurer attentif. A trop considérer les mathématiques comme une discipline de sélection, on a tendance à perdre de vue ce qu'elles sont : un langage commun à toutes les sciences qui permet d’appréhender le monde de manière efficace. Il y a une espèce de classification des élèves par leur réussite en mathématiques qui sont perçues comme un outil de sélection plus que comme une science.

Dès lors qu'un enfant se perçoit comme mauvais parce qu'il ne réussit pas en mathématiques, il va rejeter cette discipline en bloc au risque de se priver d’un savoir ou de compétences utiles. Il faut changer le regard sur les mathématiques. Faire des mathématiques, ce n’est pas forcément être un génie incompris et asocial. Le plan Torossian-Villani proposait pour le lycée des modules de réconciliation, une idée qu’on pourrait souhaiter étendre en offrant à tout étudiant qui en ressent le besoin, la possibilité de tirer un trait sur la perception qu’il a eue des mathématiques.

Comment transmettre ce message que les mathématiques ne sont pas qu’une discipline de sélection ?

On essaye de passer ce message via les enseignants du secondaire par exemple. Ils ont choisi d'enseigner les mathématiques parce qu'ils ont un goût pour cela. Ce goût peut être entretenu par la formation continue au sein des lieux de production des mathématiques que sont les laboratoires et au contact des mathématiciens qui font les mathématiques d’aujourd’hui. La société doit se rappeler de l’apprentissage et l'expertise que nécessite de devenir enseignant.

Comment les mathématiques sont positionnées dans le milieu académique ?

Elles ont une place importante dans la formation. Les capacités à raisonner et démontrer ne sont pas des attendus spécifiques des études mathématiques. Les mathématiques offrent cependant un cadre très épuré qui permet d’acquérir des outils qui peuvent être réinvestis dans des situations complexes.

Tout étudiant qui aura reçu un enseignement de mathématiques d’un mathématicien ou d’une mathématicienne aura à sa disposition une boîte à outils lui permettant d’innover dans ses activités futures.

La France reste un pays attractif, notamment parce que la qualité de sa recherche est reconnue.

La France est-elle à la pointe de la recherche en mathématiques ?

Oui, mais la concurrence est de plus en plus forte. De plus en plus de pays produisent une excellente recherche mathématique. La Chine, pour ne prendre qu’un exemple, n’était pas considérée comme un pays leader en mathématiques il y a trente ans. Elle a depuis énormément investi dans la recherche en mathématiques et les résultats produits n'ont rien à envier à ceux produits par les autres pays.

L’activité mathématique est faite de coopération internationale. C'est toujours délicat de mesurer ce qui fait la place d'un pays dans la recherche mondiale. On peut remarquer que la France reste un pays attractif, notamment parce que la qualité de sa recherche est reconnue. Beaucoup de chercheurs postulent aux concours de recrutements ouverts par le CNRS ou les universités, attirés en particulier par des postes permanents qui offrent la stabilité nécessaire à une recherche innovante et ambitieuse. Ce sont des atouts qui participent à la production d’une recherche de qualité dans les laboratoires de mathématiques de France. Les salaires cependant, parfois considérés comme insuffisants, peuvent être un handicap pour garder les chercheurs en poste.

Quels sont les enjeux associés à l'enseignement des mathématiques aujourd'hui ?

Il n’y a pas assez de femmes en sciences et les mathématiques en particulier ne sont pas réservées aux garçons. L'association Femmes et Mathématiques fait un travail remarquable en invitant des collégiennes et lycéennes dans les laboratoires pour rencontrer des chercheuses.

Il est important que l’enseignement reste ouvert et adapté à toutes et à tous en offrant des cours de différents niveaux par exemple. Les attentes des élèves vis-à-vis des mathématiques ne sont pas forcément homogènes dans le temps et ne sont pas les mêmes pour tous. Cet enseignement des mathématiques pour toutes et tous doit se faire sans dénaturer l'intérêt des mathématiques, c'est-à-dire sans perdre la notion de rigueur.


L'Institut National des sciences mathématiques et de leurs interactions (INSMI) est investi d'une mission nationale : coordonner la recherche mathématique au niveau national, en partenariat avec les universités et les écoles d'ingénieurs, dans les 43 unités de recherche, réparties sur tout le territoire national. L'INSMI accueille dans ces unités 3.500 chercheurs et chercheuses, enseignants-chercheurs et enseignantes-chercheuses, ainsi que 1.400 doctorants et doctorantes.

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