Le secteur de l’architecture s’est converti au télétravail comme on se jette dans le vide. Dans cette profession habituée à phosphorer collectivement autour d’une grande table pleine d’esquisses et de maquettes, l’atomisation des équipes pose un défi au processus de création, alors que l’arrêt des chantiers et le ralentissement de l’activité des maîtres d’ouvrage menacent à court terme la survie de nombreuses agences. Qu’ils soient forts ou faibles, jeunes ou vieux, les architectes ne perçoivent pas la situation de la même manière. Témoignages de quelques-uns d’entre eux, joints par téléphone durant les premiers jours du confinement.
Mardi 17 mars, Dimitri Roussel, fondateur de Dream, était seul dans son agence fantôme. Autour de lui, les écrans des ordinateurs, actionnés à distance par ses collaborateurs, faisaient danser leurs images dans un « étrange ballet futuriste d’intelligence artificielle ». Agés en moyenne de 29 ans, ses employés se sont adaptés sans barguigner. Sur les vingt-deux projets de l’agence, quatre étaient en chantier, mais le jeune patron reste serein. « Ce sont des opérations légères, avec une maîtrise d’ouvrage privée, sur lesquelles nous n’avons qu’une mission de contrôle. Pour le reste, les maîtres d’ouvrage ont assuré vouloir maintenir le calendrier prévisionnel, tout en se disant bienveillants sur le maintien du rythme de travail. »
Ses gros projets, comme le campus Arboretum (le plus grand campus en bois du monde), à Nanterre, ou le bâtiment qu’il prépare pour le village olympique, devraient lui permettre de tenir plusieurs mois. Si la situation s’enlise, il lui faudra renoncer à des projets plus personnels, ou sociaux, sur lesquels il se permet aujourd’hui de perdre de l’argent. Il espère surtout qu’elle réveille les consciences. « On a eu des crises à répétition – les “gilets jaunes”, la canicule, le terrorisme, la réforme des retraites, aujourd’hui le coronavirus… La gravité de cette crise va peut-être ouvrir des débats – pas des polémiques ! –, sur les manières d’accélérer la transition écologique, par exemple… Nous, architectes et urbanistes, avons un grand rôle à jouer en la matière. »
Thomas Coldefy n’a pas le luxe de rêver ainsi. Ce chef d’entreprise dont l’activité se partage entre la France et la Chine (et les Etats-Unis depuis qu’il a remporté le projet de mémorial de la tuerie de la discothèque Pulse, à Orlando) vit au rythme du coronavirus depuis deux mois. L’arrêt, mi-janvier, des chantiers du Centre culturel et artistique de Bao’an, à Shenzhen, et du Palais des congrès de l’île de Hengqin, près de Macao, l’ont contraint à couper dans les effectifs de son agence de Shanghaï, qui est passée de dix à six employés.
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