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Coronavirus : les étudiants de prépa dans l’angoisse face au report des concours

Témoignages // Ils avaient organisé leur vie sur deux ans. Bosser. Bosser. Bosser encore et passer les concours aux grandes écoles en avril et mai 2020. Mais, les étudiants en classes préparatoires ne passeront pas leurs épreuves comme prévu à cause du… coronavirus-confinement-situation apocalyptique. Pire encore, les épreuves orales sont annulées. Dans quel état d’esprit sont-ils ? Ils nous racontent. 

jeune femme prépa
Pour le moment, les étudiants avancent dans le flou. Ils ne connaissent toujours pas les dates exactes des épreuves. (Getty Images)

Par Léa Taieb

Publié le 3 avr. 2020 à 17:13Mis à jour le 11 oct. 2021 à 16:32

“Ça fait deux ans qu’on prépare les oraux, avec des khôlles plusieurs fois par semaine et les entretiens de personnalité plusieurs fois par an. Dans ma prépa, on a toujours privilégié l’oral. Et là, on se retrouve lésé par rapport aux prépas qui ont misé sur l’écrit”, confie Calliste, étudiant à la classe préparatoire Saint-Louis-de-Gonzague dit Franklin, à Paris. Le 24 mars, le jeune homme de 19 ans a appris l’annulation des épreuves orales au concours des grandes écoles de commerce. La claque. 

Comme beaucoup, Calliste a été choqué puis déçu. Comme plus de 6.000 personnes, il a signé la pétition lancée par le BDE de HEC pour un maintien des oraux. Car, dans cette école de commerce, le coefficient de l’oral (36) est supérieur à celui de l’écrit (30). Il y a des épreuves dans toutes les disciplines aussi bien en mathématiques qu’en culture-générale. De manière générale, les étudiants pestent contre un changement de règles en cours du jeu. 

Ceux qui ont “surpréparé” l’oral sont pénalisés

“En tant qu’anciens préparationnaires, on pense surtout aux cubes (étudiants qui redoublent leur deuxième année de prépa, pour s’assurer de meilleurs résultats) qui, pour certains n’ont pas eu l’école qu’ils voulaient l’année dernière, à cause de l’oral et qui cette année l’ont particulièrement bossé”, explique le président du BDE de HEC, Simon Chaussende. 

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Sacha, étudiant à la prépa Saint-Jean Douai est dans ce cas. “Pour cette troisième  année, j’ai passé beaucoup plus d’oraux blancs, j’ai pris le temps de préparer des fiches spécialement dédiées”, confie-t-il, sans espoir. Il le sait, la pétition n’aboutira pas. Puisque les écoles n’ont pas l’intention d’organiser des oraux en juillet ou en août, pour ne pas empiéter sur les vacances d’été. Pas question non plus, de décaler la rentrée scolaire et les rendez-vous académiques, comme la BCE l’a communiqué dans une mail envoyé aux étudiants, fin mars. De nombreux jurés ont aussi annoncé qu’ils ne pourront pas faire le déplacement, leur entreprise étant impactée par la crise sanitaire. 

L’annulation des épreuves orales obligent ceux qui comptaient sur leurs capacités ou facilités à l’oral à revoir leurs stratégie ou ambition. “Avec l’oral, j’avais confiance en mes capacités à transformer l’essai. Là c’est du one shot : on joue deux ans de travail sur une dissertation de quatre heures”, souligne Henri, en prépa à Franklin. Le jeune homme ne sait plus où se situer. Quelle école peut-il encore viser ? Victoire scolarisée au Centre Madeleine Daniélou envisage déjà de cuber si elle n’est pas admise dans une école du Top 5. 

D’autres arguments contre la suppression des oraux se font entendre. “On rentre dans une école de commerce, on sera amené à occuper des fonctions de managers, donc il est nécessaire de nous tester sur nos capacités à l’oral”, estime Pierre, préparationnaire à Notre-Dame du Grandchamp à Versailles. Les épreuves d’admissibilité, c’est aussi l’occasion pour les étudiants de découvrir leur future école. C’est un moyen de trancher, si on hésite entre deux établissements de niveau équivalent. 

La double-correction pour renforcer l’objectivité

Face à ces nouvelles conditions de concours, plus de 1.300 étudiants ont signé une autre pétition lancée par plusieurs préparationnaires, pour une double correction des copies, pour que les résultats des concours soient les plus justes possibles. La numérisation des copies pourrait faciliter la mise en place de ce dispositif. Pour le moment ni la Banque commune d’épreuves (BCE), ni Ecricome (l’autre banque d’épreuves), ni les écoles de commerce n’ont répondu à cette requête. 

Déjà parce que certaines écoles ne sont même pas au courant qu’une pétition existe sur le sujet. C’est le cas de Jean-François Fiorina, le directeur adjoint de Grenoble Ecole de Management, qui ne se montre pas très favorable à l’idée. “J’ai confiance en les correcteurs, ces épreuves sont balisées depuis de nombreuses années”, assure-t-il. De son côté, le vice-président de Skema, Patrice Houdayer, trouve l’idée intéressante mais n’est pas prêt à la mettre en place. Il rappelle que la correction n’est pas un travail individuel, mais le résultat d’une délibération collégiale. Et d’ajouter :“on ne sait pas quand les écrits auront lieu. Et la double correction doublera le temps de correction, ce n’est donc pas la meilleure année pour lancer un tel dispositif, parce que nous disposons de trop peu de temps !”, estime-t-il. D’autant que plus de 10.000 candidats sont inscrits aux concours.

Avec l’annulation des oraux, les deux banques d’épreuves ont fait savoir qu’elles rembourseront la moitié des frais des concours. “Je préfère largement qu’elle utilise cette somme pour financer une double correction des copies”, estime Calliste, qui fait partie des signataires. Les étudiants refusent que leur réussite (ou échec) au concours ne dépende d’un seul et unique examinateur qui peut avoir un point de vue subjectif. Au concours, les bonnes ou mauvaises surprises existent.

Mais la BCE et Ecricome ont-ils les moyens de payer une double-correction ? Les concours coûtent environ 200 euros par école. “En moyenne, on débourse 1.000 euros pour passer les écoles du Top 5. Donc, oui, elles en ont les moyens”, estimer Ladislas. 

“Les écrits décalés, c’est une bonne nouvelle” 

Pour le moment, les étudiants avancent dans le flou. Ils savent qu’ils ne composeront pas à partir du 15 avril mais plutôt aux alentours de fin mai-début juin sans connaître les dates exactes des épreuves. 

“Les écrits décalés, c’est une bonne nouvelle, pour ceux qui sont moyennement avancés dans le programme. Ils auront plus de temps pour réviser et donc pourront rattraper leur retard”, assure Pierre. “On a onze heures de cours de maths en visioconférence par semaine, alors qu’en temps normal, on en a que huit”, ajoute Manina, étudiante au lycée militaire d’Aix-en-Provence.

À Saint-Jean Douai, les professeurs ont toujours privilégié l’écrit par rapport à l’oral. “Ce qui explique pourquoi, les résultats d’admissibilité sont meilleurs que les résultats d’admission. On y gagne presque”, observe Ladislas. D’autant, que le programme est fini, donc le moment est venu d’approfondir. 

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D’après leurs témoignages, de nombreux étudiants passent ce moment confinés avec leur groupe de travail (parmi les personnes interviewées, seules deux ne se trouvaient pas dans une maison de campagne, entre préparationnaires). Une façon de garder le moral et un rythme fidèle à celui qu’ils avaient quand ils étaient en cours. Dix heures par jour, le nez dans les bouquins. S’il a un coup de blues, Ladislas peut appeler ses professeurs. Calliste peut retrouver sa classe en visioconférence et rompre avec sa solitude. Même chose pour Manina ou Victoire. 

Comment courir un marathon, quand on décale la ligne d’arrivée ? 

Vont-ils survivre aux deux mois de révision en plus ? “Quand on a calibré ses capacités pour être prêt dans deux semaines et apprendre que l’on doit finalement être prêt dans deux mois, c’est comme si l’on courait un marathon et que l’on décalait la ligne d’arrivée. C’est pas une partie de plaisirs”, confie Henri. Pour ceux qui couraient un sprint, qui avaient anticipé pour finir le programme à temps, le décalage des épreuves est encore plus dur.

Mais, à quelques mois du concours, ils sont nombreux à relativiser : “la France et le monde vivent des choses bien pires en ce moment. Ce qui nous arrive, ce n’est pas grave quand on compare avec la tragédie de la pandémie”, rappelle Ladislas. Manina se réconforte ne pensant à l’après : “c’est la dernière ligne droite avant les écrits, et après on sera enfin en vacances !”.

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Léa Taieb

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