Confinement : face aux inégalités scolaires, la réponse du gouvernement paraît inadaptée

Thibaut Cojean Publié le
Confinement : face aux inégalités scolaires, la réponse du gouvernement paraît inadaptée
L'accès au numérique ou les différences de logement ne font que renforcer les inégalités scolaires. // ©  DEEPOL by plainpicture/Guerrilla
Jean-Michel Blanquer et Emmanuel Macron en ont conscience : le confinement accentue les inégalités scolaires. En réaction, le gouvernement vient de débloquer 15 millions d’euros pour fournir en matériel des élèves qui n’en auraient pas forcément besoin. Alors même que d’autres enjeux plus cruciaux comme le logement, ne sont pas pris en compte.

Le 13 avril, Emmanuel Macron a fait de la réouverture des établissements "une priorité car la situation actuelle creuse les inégalités". Les crèches et écoles accueilleront donc de nouveau progressivement les élèves à partir du lundi 11 mai. Les collèges ouvriront, eux aussi de façon progressive, à partir du 18 mai. Pour les lycées, une décision sera prise fin mai pour une possible réouverture début juin.

Les jours suivants le dernier discours du président de la République, le ministre de l’Education nationale Jean-Michel Blanquer a répété dans la presse puis devant l’Assemblée nationale que les "élèves décrocheurs" seront prioritaires sur le chemin de l’école après le confinement.

"Entre 5 et 8%" de décrocheurs

Selon le ministère de l’Education nationale, "entre 5 et 8% des élèves" n’ont pas donné signe de vie depuis la fermeture des établissements, le 16 mars. Et n’ont donc pas pu suivre l’enseignement à distance dispensé par les professeurs. "C’est énorme ! commente Thibault Bornier, président de Droits des lycéens, on devrait en être à 0%, chaque élève devrait pouvoir suivre ses cours à distance."

Depuis le début du confinement, son association a reçu de nombreuses demandes d’aides et de conseils de la part de familles ne pouvant pas suivre les cours à distance. L’une des inquiétudes majeures est d’ordre matériel : "Des parents s’inquiètent car ils n’ont qu’un ordinateur et ne peuvent pas le laisser aux enfants parce qu’ils sont en télétravail." Or, "les établissements ne peuvent pas toujours en prêter".

Les zones blanches en système D

Mais de nombreux appels témoignent aussi des difficultés de connexion, principalement chez les élèves en zone blanche. "Moi-même, je vis dans un village de 120 habitants et je ne peux pas télécharger mes cours de BTS, témoigne Thibault Bornier. Et passer par La Poste peut prendre deux semaines."

Pour réussir à travailler avec une faible connexion, les solutions s’apparentent, en 2020 à du système D. "Certains sont en bout de ligne ADSL et travaillent la nuit, quand les voisins sont déconnectés et libèrent le réseau." D’autres "reçoivent leurs cours par SMS". Des solutions difficiles à tenir sur le long terme, si bien que ces élèves isolés "ont lâché la continuité pédagogique. Ils n’ont pas accès aux nouveaux cours alors ils continuent de travailler les anciens."

Un plan gouvernemental pour acheter du matériel

Pour tenter de rattraper ces élèves décrocheurs, le ministère a débloqué 15 millions d’euros, qui seront dédiés à l’achat de tablettes et de clés 4G pour les élèves des quartiers prioritaires. Une opération qui débutera dans les 80 cités éducatives labellisées. Pour Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités, "c’est le pendant des petits-déjeuners gratuits, c’est une mesure gadget !"

Il considère que la fameuse fracture numérique n’est pas le cœur du problème. Au contraire : "Le numérique réduit considérablement les inégalités entre les familles. Imaginez l’impact de la crise s’il n’y avait pas eu les outils numériques !" Seulement, sa maîtrise n’est pas universelle. Selon l’Insee, 3% des 15-29 ans sont en situation d’"illectronisme", ou d’incapacité totale d’utilisation des outils numériques. "Le problème se pose dans la population des plus démunis, souligne Louis Maurin, qui ne maîtrisent pas les outils ou n’ont pas le bon équipement."

Les conditions de logement sous-estimées

Or, "80% des élèves défavorisés ne vivent pas dans les quartiers prioritaires". Concentrer les efforts sur les cités éducatives n’a pas non plus la faveur de Thibault Bornier : "Ces cités sont en zones urbaines, ils ont la connexion. Il faut fournir les clés 4G aux personnes en campagne pour qu’ils accèdent au réseau mobile." Pour les élèves de ces quartiers, il préconise plutôt "l’ouverture de salles et la mise en place d’espaces de travail" car "l'ensemble des lycéens et lycéennes, que ceux-ci se trouvent en ville ou en campagne, doivent avoir accès à la continuité pédagogique".

Car ce qui creuse les inégalités, ce sont aussi les conditions du confinement. "Tout le monde n’a pas le même confort de travail, constate Louis Maurin. Tous les élèves ne peuvent pas travailler au calme, seuls, dans une chambre avec un bureau." Lui aussi aimerait voir l’attention se porter sur ce sujet. "Comment mieux loger les grandes familles ? C’est une question qu’on va oublier très vite, mais la surpopulation des logements est un problème plus important que l’équipement des élèves."

Thibaut Cojean | Publié le