Des colonnes de pousse-seringues, des machines qui bipent sans arrêt, des tuyaux qui sortent de partout… La simple vue des patients alignés dans un service de réanimation fait son effet. Même pour les habitués des couloirs d’hôpitaux : « C’est un monde à part, la réa », résume Claire, infirmière dans une clinique privée de l’est de la France, qui préfère garder l’anonymat. Elle, comme des milliers de soignants, y a fait ses premiers pas à marche forcée, avec la crise du Covid-19. Et ce n’est pas sans crainte qu’ils voient la situation s’installer dans la durée.
Du jour au lendemain, à la mi-mars, dans son établissement qui ne possédait pas de service de réanimation, une salle est équipée de respirateurs. Avec plusieurs de ses collègues infirmières − principalement des femmes −, exerçant jusque-là dans d’autres services conventionnels largement mis à l’arrêt, Claire est appelée à la rescousse.
Sans expérience ni formation, la jeune femme de 29 ans, qui travaillait jusque-là au bloc opératoire, a vécu l’annonce comme un « tsunami ». « Il y a eu énormément d’angoisse à gérer, la peur du virus, de la contamination, mais surtout la peur de l’inconnu : est-ce qu’on ne va pas mettre des patients en danger ? » Une insomnie la veille, quelques collègues qui n’arrivent pas à cacher leurs larmes, la pression qui monte dans la zone d’habillage, alors que chacune vérifie que l’autre porte bien son matériel de protection… « Au moment de franchir le pas, c’est très impressionnant », raconte-t-elle.
Après plus d’un mois de gardes, l’expérience reste « difficile », « épuisante moralement », reconnaît-elle, « c’est dur de ne pas savoir quand sera l’issue… ». L’infirmière est néanmoins soulagée sur le plan technique : « Je fais ce que je peux, sans jamais prendre de risque pour le patient, on a trouvé un équilibre », confie-t-elle. Mais elle le reconnaît sans détour : encore aujourd’hui, ce sont les tâches dévolues aux aides-soignants qu’elle effectue, plus que des responsabilités incombant à une infirmière.
« Très solidaire »
Dans ces services en première ligne dans la crise du Covid-19, qui ont la particularité de recevoir des patients totalement assistés, ventilés, à qui sont administrées en continu des substances médicamenteuses, le nombre d’infirmières se doit d’être particulièrement élevé : au minimum deux pour cinq patients.
La progression inédite du nombre de « lits » en réanimation a été un défi. Et son maintien à un niveau élevé le demeurera : si la pression baisse doucement depuis plusieurs jours, « les capacités de ressources humaines de réanimation et d’anesthésie » ne doivent pas être remises en cause, assurait le ministre de la santé, Olivier Véran, le 19 avril. La crainte d’une seconde vague dans la foulée du déconfinement est omniprésente chez les soignants.
Il vous reste 60.08% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.