Robes noires

Dans la crise, les «petites mains» des cabinets d'avocats veulent se faire entendre

La pandémie de Covid-19 en Francedossier
Les collaborateurs libéraux, qui vivent pour l’essentiel des rétrocessions d’honoraires des confrères qui les emploient, craignent de faire les frais de la chute d’activité entraînée par le confinement.
par Renaud Lecadre
publié le 7 mai 2020 à 13h13

Ils ont toutes les apparences d’un salarié serviable ou corvéable à la merci d’un patron, «petites mains» déchargeant les ténors d’un cabinet des tâches subalternes. Mais sans la protection du salariat. Ce sont les avocats dits «collaborateurs libéraux», qui pèsent 29 % de la profession – et 39 % à Paris, où sont concentrés les plus gros cabinets. Au sein d’une structure, ils sont censés avoir le temps de développer leur propre clientèle, histoire de pouvoir un jour se mettre à leur compte, mais vivent la plupart du temps de «rétrocessions d’honoraires» des ténors du cabinet, lesquels ont le statut d’associé.

«Le confinement ne saurait justifier d'imposer unilatéralement la modification du contrat de collaboration» et «la seule circonstance de la crise sanitaire du Covid-19 ne peut justifier [sa] suspension». L'avertissement vient du sommet de l'avocature, le Conseil national des barreaux (CNB) : en gros, pas question d'en profiter pour virer ou mettre à temps partiel un avocat collaborateur. La plupart des ténors du barreau semblent plutôt réglos sur ce point, préférant rogner sur leurs propres honoraires plutôt que d'amputer leurs rétrocessions aux petites mains. Mais le syndicat de ces dernières, le Manifeste des avocats collaborateurs (MAC), a toutefois relevé quelques dérives.

«Mauvais penchants»

«Il y a les beaux discours et puis les actes, s'agace son président, Guillaume Delarue. A la moindre difficulté, une partie de la profession retourne à ses mauvais penchants, oubliant ses devoirs de confraternité et de délicatesse.» Le MAC n'entend cependant pas mettre tout le monde dans le même sac : «Bien sûr, en ce moment, des avocats associés acceptent de ne pas se payer. Mais d'autres considèrent les collaborateurs comme des fusibles à faire sauter.»

Dans un sondage interne commandé par le CNB et rendu public le 21 avril, la gestion en temps de crise est ainsi mesurée : 71 % des avocats associés ou exerçant en individuel ayant répondu déclarent un maintien intégral des rétrocessions d'honoraires à leurs collaborateurs, et 19 % se partagent entre congés (9 %), renégociation de la rétrocession (5 %), suspension ou résiliation du contrat, avec solution «autre» dans 6 % des cas.

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Le MAC dénonce toute une panoplie de «pressions» ou «arrangements» négociés en position de force par des avocats associés : un contrat de collaboration peut en effet être rompu unilatéralement à tout moment, avec pour seule condition le maintien de la rémunération pendant trois mois. L'actuel bâtonnier de Paris, Olivier Cousi, avait durant sa campagne électorale fait sienne la proposition syndicale d'instaurer un régime d'assurance au sein de la profession d'avocat, permettant de couvrir le risque de perte d'un contrat de collaboration – une façon comme une autre de mutualiser un peu plus les revenus au sein de l'avocature. Mais le chantier n'a guère progressé depuis.

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