PATRIMOINE - “Le métier de guide-conférencier va disparaître”. Depuis le début du confinement, ils sont ainsi environ 4000 guides-conférenciers, comme Marion Clarard, guide-conférencière à Paris, à s’être retrouvés sans activité. Une situation qui, selon leur statut, a pu laisser certains sans aucun revenu.
“C’est catastrophique, car le confinement est tombé pile au début de la période haute pour nous, témoigne auprès du HuffPost Aude Deboaisne, vice-présidente de FNGIC. La saison, pour les guides-conférenciers, c’est avril à octobre. Donc c’est le pire moment. Toute la saison va être morte, une année blanche.”
Selon la Fédération nationale des guides interprètes et conférenciers (FNGIC), les pertes cumulées atteignent 11,4 millions d’euros depuis le 1er mars. Car la profession compte énormément de contrats courts, précaires et d’auto-entrepreneurs, particulièrement fragiles en temps de crise.
Des salariés sans chômage partiel
Car certains guides-conférenciers, bien qu’ils soient salariés, ne touchent pas de chômage partiel. “Nos contrats sont des contrats courts, de 4h, d’une journée, pour une visite de musée, un tour de ville, explique Aude Deboaisne. Il n’y a pas de contrat signé à chaque visite. Ils sont généralement faits au moment de la DUE (déclaration unique d’embauche).”
Aucun papier n’attestant de leur embauche n’est donc fourni aux guides-conférenciers avant le moment de leur prestation. “Notre contrat nous est généralement envoyé la veille de la mission, ou même après, la plupart du temps, avec la fiche de paie, détaille-t-elle. C’est le mode de fonctionnement du métier.”
Les croisiéristes, par exemple, font un planning sur l’année, qui est validé par l’employeur et l’employé. “Nous avons interrogé des juristes qui nous confirment que cela fait office de contrat, raconte la responsable syndicale. Mais les services juridiques de certains employeurs refusent de considérer que c’est un contrat préalable”.
Bien que le gouvernement ait rendu les contrats courts éligibles au chômage partiel, un grand nombre d’employeurs ne le demandent pas. Les syndicats demandent qu’une promesse d’embauche soit considérée comme équivalente à un contrat, afin que ces employés sans ressources puissent y accéder.
“J’ai énormément de collègues qui sont retournés chez leurs parents, à 35 ans, 40 ans. J’en ai même une qui est retournée avec son ex...C’est horrible, hein?” témoigne Marion Clarard, guide-conférencière à Paris.
Auto-entrepreneurs et indépendants
Elle se considère comme “très chanceuse” parmi ses collègues. En effet, auto-entrepreneuse depuis 2013 et le début de sa carrière, la guide de 31 ans a pu bénéficier du fonds de solidarité mis en place par le gouvernement pour les travailleurs indépendants. Un fonds mis en place en principe jusqu’à fin mai.
“Le plan tourisme l’a prolongé jusqu’à la fin de l’année, explique Aude Deboaisne. Sauf que parmi les codes APE (Activité Principale Exercée) concernés, ceux des guides-conférenciers n’étaient pas dedans. C’est donc un point d’interrogation.”
Il faut dire que malgré la carte professionnelle qui est la même pour tous, les statuts des guides-conférenciers sont très disparates. “Lors de notre enquête, nous avons référencé 18 codes APE différents: si vous êtes chauffeur-guide, vous êtes sous l’APE des transporteurs, si vous travaillez avec l’Éducation nationale, c’est l’Éducation nationale, c’est encore différent pour l’interprétariat...” énumère Aude Deboaisne.
Pour les guides-conférenciers indépendants, nous avons référencé 18 codes APE différents.
Une situation qui n’a pas permis à tous les guides d’accéder au fonds de solidarité jusqu’à la fin de l’année, alors que les activités touristiques risquent de ne pas reprendre cet été. “Ce que nous demandons, c’est que le fonds de solidarité soit attribué jusqu’à fin 2020 aux guides-conférenciers indépendants détenteurs de la carte professionnelle de guide-conférencier. Carte nationale qui est la même pour tous et partout” demande la vice-présidente de la FNGIC.
Oubliés entre culture et tourisme
Selon l’étude de la fédération, 40% des guides-conférenciers salariés n’auraient bénéficié d’aucune aide depuis le début de la crise. Situation qui a été présentée devant la commission économique de l’Assemblée nationale. Ils ont affirmé ‘soutenir nos demandes’, mais on n’a rien vu venir de concret” s’agace Aude Deboaisne.
″À chaque fois qu’on parle de culture ou de tourisme, on ne parle jamais des guides-conférenciers. Jamais, jamais, jamais”, se désole Marion Clarard, qui a perdu 88 visites entre mars et avril (voir la vidéo en tête d’article). Le confinement a décidé la jeune femme à se syndiquer pour défendre son métier, qu’elle craint de voir disparaître.
Auditionné au Sénat jeudi 7 mai, après les annonces faites par Emmanuel Macron aux professionnels de la culture, le présentateur Stéphane Bern a évoqué la situation des guides. Le ministre de la Culture, Franck Riester, a-t-il précisé, “m’a assuré qu’il y aurait des aides pour les restaurateurs, les conservateurs et les guides-conférenciers”.
Fonds de soutien au patrimoine
Au moment du Comité filière tourisme fin avril, le secrétaire d’État chargé du tourisme, Jean-Baptiste Lemoyne, aurait promis qu’un fonds spécifique patrimoine “serait mis sur pied pour les salariés par le Ministère de la Culture”, selon la FNGIC. “Pour l’instant, toujours rien.”
“Le problème des guides-conférenciers, c’est qu’on a plusieurs ministères de tutelle: le tourisme et la culture, qui se renvoient la balle, conclut Aude Deboaisne. Nous n’avons aucune réponse, aucune action concrète du gouvernement.”
Le 19 mai dernier, le ministre de la Culture Franck Riester avait promis de se pencher sur le cas des guides-conférenciers ainsi que celui des conservateurs restaurateurs.
“Le fonds de soutien patrimoine leur sera bien sûr ouvert, assure au HuffPost le cabinet du ministre de la Culture. Franck Riester a demandé très clairement à tous les établissements culturels sous la tutelle du ministère de faire travailler au maximum les guides-conférenciers. Instruction repassée par le ministre lui-même encore vendredi 22 mai au soir lors d’une réunion en visio-conférence avec les patrons des musées et des centre d’arts nationaux.”
S’agissant des #guidesconférenciers, ils bénéficieront d’aides spécifiques sur lesquelles nous travaillons, de même… https://t.co/2ezjNlj4RP
— Franck Riester (@franckriester)
Si la réouverture de plus de cent musées, sites et monuments du Centre des Monuments nationaux dans toute la France devrait s’étaler entre début juin et mi-juillet, Aude Deboaisne quant à elle n’ose pas espérer une reprise de l’activité des guides avant mars-avril 2021.
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