Décryptage

Mixité sociale : La Chance, pour la diversité dans les médias à l’assaut des écoles de journalisme

Tous les ans, La Chance, pour la diversité dans les médias permet à 70 étudiants boursiers de se préparer aux concours des écoles de journalisme.
Tous les ans, La Chance, pour la diversité dans les médias permet à 70 étudiants boursiers de se préparer aux concours des écoles de journalisme. © Emile Costard
Par Mersiha Nezic, publié le 26 mai 2020
8 min

#OUVERTURESOCIALE [Série spéciale]. Lancée en 2007, l’association La Chance, pour la diversité dans les médias aide environ 70 étudiants boursiers chaque année à se préparer aux concours des écoles de journalisme. Cette association promeut la mixité sociale dans les médias qui en sont cruellement dépourvus, et donne peu à peu des couleurs aux promos longtemps trop uniformes des écoles de journalisme.

L’envie vient de loin. Et ce serait l’aboutissement d'un long chemin parsemé d’embûches. Fanny, 25 ans, saura bientôt si une place dans une école de journalisme l’attend à la rentrée. Avec ses 321 euros de bourse versée mensuellement sur dix mois, "à peine suffisant pour régler le loyer une fois les APL déduites", elle a dû enchaîner tout au long de ses études des jobs de vendeuse, serveuse, hôtesse d’accueil. Pour préparer les concours, elle a bénéficié du suivi d'une association soutenue par de nombreux journalistes professionnels.

70 étudiants boursiers accompagnés gratuitement chaque année

L’étudiante inscrite en master d’histoire dans une faculté parisienne n’a jamais perdu de vue son objectif final : acquérir les techniques du journalisme en intégrant une formation, un passage quasi obligé pour avoir sa chance au sein d’une rédaction. Les concours des quatorze écoles reconnues par la profession sont très sélectifs. Nombre d’aspirants journalistes passent par des prépas privées. "Mes parents n’ont pas les moyens de m’en payer une. Cela coûte des milliers d’euros", raconte la jeune Nantaise, fille d’un ouvrier de maintenance et d’une fonctionnaire territoriale.

Alors Fanny s’est tournée vers une prépa un peu particulière, La Chance, pour la diversité dans les médias. Cette association, créée en 2007 par des anciens du CFJ (Centre de formation des Journalistes) de Paris, prépare gratuitement chaque année environ 70 étudiants boursiers aux concours des écoles. Pour les accompagner, 400 professionnels bénévoles, du jeune freelance au rédacteur en chef retraité, sont à pied d’œuvre à travers la France, de Paris à Marseille, en passant par Toulouse, Rennes, Strasbourg et Grenoble. Le taux de réussite aux concours avoisine les 60%.

Remettre de l'égalité dans le jeu des concours des écoles de journalisme

Au programme, une remise à niveau en culture générale, des cours d’anglais, des ateliers d’écriture, des tests d’actualité. L’objectif : remettre un peu d’égalité dans le jeu biaisé de l’accès aux écoles de journalisme et à la profession, dont les enfants des CSP+ constituent la grande majorité des recrues.

"C’est une anomalie pour notre métier de passeur, qui repose sur la curiosité et l’ouverture, explique Marc Epstein, président de La Chance et ancien rédacteur en chef du service Monde de L’Express. Dans notre secteur, comme dans d’autres, la diversité des profils est une richesse et un atout."

Pour soutenir ses étudiants, l’association va jusqu’à financer les frais d’inscription aux concours, de déplacement et d'hébergement. Les candidats retenus par une école en dehors de leur région peuvent également bénéficier d’une aide pour emménager.

Un appui qui n’a rien d’anecdotique quand on sait que 45% des étudiants de La Chance ont un échelon de bourse compris entre 4 et 7, parmi les plus élevés. Un tiers d’entre eux sont issus des quartiers prioritaires de la politique des villes ou ont effectué une partie de leur scolarité dans un établissement de l’éducation prioritaire. La moitié des mères des étudiants travaillent dans des emplois peu qualifiés et 36% des pères sont employés ou ouvriers. Seuls 20% des parents des étudiants lisent le journal régulièrement.

La Chance, pour la diversité dans les médias,
La Chance, pour la diversité dans les médias, © Emile Costard

La Chance agit en amont sur le recrutement de la profession

L’association touche donc un public très éloigné des écoles de journalisme et des rédactions. Ont-ils pour autant des parcours atypiques ? Oui et non, estime Marc Epstein : "À l’aune de la société française, le profil atypique, c’est l’enfant de CSP+ qui a grandi à Paris intramuros. Les médias tendent à la société un miroir déformant quand la majorité des journalistes, dans les rédactions, sont issus de milieux aisés et en décalage par rapport à celle-ci". D’où l’intérêt d’agir en amont, sur le recrutement de la profession, estime Marc Epstein.

"Aujourd’hui, nos anciens présentent des journaux à travers la France, tournent des documentaires, font des reportages, écrivent des livres. Ils deviennent lauréats de bourses et de prix prestigieux. Pourtant, sans La Chance, disent-ils, ils n'auraient pas réussi les concours. En France, manifestement, quelque chose ne tourne pas rond dans le recrutement, et la prolifération des prépas payantes aggrave la situation. L’existence de La Chance répond à cette anomalie".

Ne pas intérioriser les déterminismes sociaux, c’est l’une des clés de la réussite. Les étudiants de l'association, à l’instar de Maxime, 21 ans et originaire de Horsarrieu (40) un petit village des Landes, y parviennent. "Quand j’étais au lycée, si on m’avait dit que j’allais être admissible à l’école de journalisme de Sciences po Paris, je ne l’aurais jamais cru. Je me disais que personne ne pouvait s’intéresser à mon profil de villageois."

Les étudiants entourés par les professionnels et les anciens

Comme tous ses camarades, Maxime est accompagné par un tuteur, l’un des professionnels bénévoles investi dans l’association, ainsi que par un ancien étudiant qui vient de réussir les concours. "Ils ont toujours été là pour me soutenir et me rebooster, même quand j’avais des moments de doute".

Treize ans après le lancement de La Chance, 80% des étudiants travaillent désormais dans le journalisme. La minorité qui ne réussit pas les concours, formée aux techniques de base du journalisme, est tout aussi armée pour se lancer dans la profession. "En y arrivant, on sait qu’on a passé une première sélection. C’est encourageant", raconte Fanny.

Pour ceux qui sont tentés par l’aventure, sachez que la Chance est en train de recruter sa prochaine promo. Les candidatures sont ouvertes du 16 avril au 26 septembre 2020. A vos claviers !

"Madame, je ne suis pas assez jolie pour faire de la télé"

"Quand je regarde les chaînes anglaises, allemandes, scandinaves ou américaines je constate la présence de journalistes qui ont une grande variété d’accents régionaux, ou qui sont en situation de handicap. Il y a là une diversité que je ne retrouve pas dans l’audiovisuel français", affirme Marc Epstein, le président de La Chance, pour la diversité dans les médias. Les télés et les radios françaises demeurent souvent "normatives". Les grandes rédactions de presse écrite aussi. Les écoles s’y sont toujours adaptées. Mais certaines davantage que d’autres, commencent à œuvrer pour la diversité.
À l’IPJ, l’institut pratique de journalisme, pas de discrimination à l’accent pour les étudiants qui aspirent à rejoindre la spécialité radio ou au physique pour ceux qui se destinent à la télé, selon Pascale Colisson, responsable pédagogique en charge de la mission diversité. "Nous n’acceptons pas qu’un intervenant puisse fermer la route à un étudiant pour ces questions-là. Ce sont des professionnels qui peuvent inconsciemment faire perdurer une culture, en pensant bien faire. Nous échangeons beaucoup avec les élèves aussi. Les étudiantes ne viennent plus me dire 'Madame, je ne suis pas assez jolie pour faire de la télé'." Aux employeurs de suivre sans refiler la patate chaude aux écoles, comme c’est le cas habituellement.

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