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Le bac de français recalé à l'oral

Déconfinementdossier
Jean-Michel Blanquer a annoncé l'annulation de la dernière épreuve du bac encore programmée. Une décision saluée par syndicats, enseignants et lycéens, qui craignaient une aggravation des inégalités entre candidats.
par Nelly Didelot
publié le 28 mai 2020 à 20h36

Dernier vestige du baccalauréat 2020, l'oral de français n'aura pas lieu. Depuis l'annulation de toutes les autres épreuves du bac, annoncée en avril, le sort de cet oral symbolique était suspendu. Jean-Michel Blanquer a fini par trancher. L'annulation a visiblement été décidée à regret par le ministre de l'Education nationale, pour qui «l'oral est une compétence indispensable à la réussite personnelle et professionnelle» et la littérature «une discipline majeure pour la formation de l'esprit humain». Comme l'épreuve écrite de français, cet oral sera remplacé par les notes du contrôle continu de français, «dans un acte de profonde confiance envers les enseignants».

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Pour Frédérique Rolet, professeur de français et secrétaire générale du SNES-FSU, c'était la décision à prendre. «Cet oral, c'est 540 000 candidats. Cela aurait fait beaucoup de monde dans les centres d'examens et surtout posé un problème pédagogique, explique la représentante du syndicat majoritaire du secondaire. Beaucoup de collègues n'avaient pas encore commencé à préparer l'oral en mars, et l'épreuve a été modifiée cette année avec l'entrée en vigueur de la réforme du lycée pour les premières. Les conditions de confinement très différentes entre les candidats et leur accès aux cours auraient créé trop d'inégalités.»

Faible motivation des élèves

Professeur de français dans un lycée de l'Yonne, Jules (1) se réjouit aussi de la nouvelle. «C'est ce que tout le monde attendait, les élèves les premiers. Personne ne comprenait bien à quoi cela servait de maintenir les oraux et de faire tout ce tintouin autour d'une épreuve pour laquelle les exigences auraient forcément été abaissées par rapport aux années précédentes.» A ses yeux, vouloir garder les élèves mobilisés grâce à l'épée de Damoclès de l'examen était même contre-productif. «Maintenir un oral juste pour faire marcher le système c'est décrédibiliser l'enseignement. Cela fait apparaître l'Education nationale comme une machine à avoir ses examens et pas comme une institution qui forme à la vie d'après.» Ses deux classes de première STMG ne s'y sont pas trompées. «J'ai laissé tomber tout ce qui était entraînement à l'écrit et proposé plutôt aux volontaires de faire des oraux. Sur 58 élèves, seuls cinq se sont prêtés au jeu. Les autres misaient sur l'annulation de l'épreuve, ou dans le pire des cas sur une préparation dans l'urgence.»

La formule de Blanquer, qui disait vouloir maintenir les élèves sur le qui-vive, avec «Phèdre plutôt que Netflix», n'a visiblement pas fonctionné. Comme bien d'autres, Sarah, en première à Muret (dans la banlieue de Toulouse), «attendait d'être sûre pour s'y mettre». «Apprendre des commentaires de texte par cœur, ce n'est pas très agréable, et au pire, réviser quinze textes en quinze jours, c'était jouable», explique la lycéenne qui a pourtant choisi des matières à dominante littéraire. «J'aime bien le français, et c'est notre dernière année pour en faire mais ça m'aurait beaucoup plus motivée de continuer à travailler des textes, sans se préparer pour un examen.»

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Pour les lycéens qui se sont investis dans la préparation de l'épreuve malgré les incertitudes, les efforts ne seront toutefois pas vains. «Moins de la moitié de mes élèves ont profité des créneaux d'oraux blancs par visio que je proposais chaque semaine, mais pour ceux qui ont saisi l'occasion, ça a été très bénéfique, note Hélène (1) qui enseigne dans un lycée de Metz. Des élèves travailleurs mais peu sûrs d'eux ont énormément progressé. Ils ont gagné en confiance, ça n'a pas de prix et c'est bien plus important que l'examen. Cela a été possible parce qu'on a pu leur consacrer plus de temps et d'attention que d'habitude, comme ils étaient moins nombreux.» Leur nouvelle aisance à l'oral devrait leur servir dès l'an prochain. La réforme du lycée engagée par Jean-Michel Blanquer atteindra les terminales à la rentrée prochaine. Outre les écrits traditionnels, le bac nouvelle mouture, qui reposera sur un nouvel oral et une part de contrôle continu, mieux préparée et encadrée.

Rituel de passage

Mais pour cette année, le bac perd sa seule épreuve encore programmée. Et ébrèche au passage ce qui est devenu l'un des principaux rituels républicains. «L'annulation des écrits était une bonne décision, face aux inégalités rencontrées par les candidats dans leur préparation, estime Philippe Marchand, maître de conférences honoraire en histoire à l'université de Lille 3. Par contre, je regrette que l'épreuve orale n'ait pas lieu, en juin ou à la rentrée de septembre. Elle est aussi marquée par les inégalités mais le contact entre un enseignant et un élève peut parfois permettre de rétablir un certain équilibre. L'examinateur peut choisir de dévier un peu du sujet proprement dit et de faire parler le candidat, de sonder sa motivation. C'est d'autant plus possible dans des circonstances exceptionnelles.»

L'historien, juré du bac en 1968, espère que la validation, ou non, du baccalauréat par le contrôle continu ne privera pas les bacheliers de 2020 de ce rite de passage. «Le bac fait entrer dans une vie nouvelle. D'adolescent, on devient jeune homme ou jeune fille. C'est la fin du lycée et de ses horaires imposés, l'entrée dans un nouveau rythme plus indépendant. Même la célébration commune est marquée par l'idée de la fin d'une époque.»

(1) le prénom a été modifié

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