Annabelle Allouch est maîtresse de conférences en sociologie à l’université de Picardie Jules-Verne et auteure de La Société du concours. L’empire des classements scolaires (Seuil, 2017). Elle analyse l’impact de la crise sanitaire liée à l’épidémie de Covid-19 pour les lycéens de terminale qui ne passeront pas les traditionnelles épreuves du bac en juin.
Depuis que les lycées ont fermé, on entend dire que quelques mois de perdus, ce n’est pas bien grave à l’échelle d’une scolarité. Mais pour les terminales, c’est la fin d’un cycle qui se trouve amputée. Peut-on en mesurer l’impact ?
Il est encore tôt pour en mesurer les effets scolaires et sociaux sur les lycéens. Du jour au lendemain, ils ont été privés de la passation « classique » du baccalauréat, cet examen national vers lequel converge, chaque année, le regard de toute la société. Pour les bacheliers de 2020, pas d’épreuves finales. Pas de stress, pas d’attente des résultats, pas d’émotions collectives…
La crise sanitaire souligne à quel point le bac n’est pas qu’une épreuve pédagogique de jugement scolaire mais qu’il possède une dimension matérielle : ce sont des copies, des surveillants, des salles, des tables… Une expérience « physique » que partage toute une génération. Cette année, elle ne la partagera pas, ou autrement. C’est un vrai bouleversement.
On passe pourtant notre temps à dire que le bac, tout le monde l’a. Et pourtant, la mise en cause de sa passation est douloureuse. Comment l’expliquer ?
Le baccalauréat, ce n’est pas seulement un rite individuel où l’élève reçoit une série de notes. C’est aussi un rite institutionnel et politique. En passant les épreuves, le jeune n’est plus jugé uniquement par ses professeurs : il rencontre pour la première fois l’Etat, qui valide ses capacités et lui garantit une égalité de traitement par rapport à ses pairs.
Sous la IIIe République, le certificat d’études incarnait déjà ce rapport aux institutions ; avec ce diplôme national, l’Etat certifiait la valeur du citoyen. Cela n’a pas beaucoup changé. Et c’est de cette première rencontre avec l’institution politique que la promotion du « bac 2020 » se voit privée.
Des milliers de lycéens se voient privés d’adieux à leur classe et à leur lycée…
Certes. Mais on peut imaginer d’autres façons symboliques de clore un cycle. En France, les changements de niveaux passent presque toujours par une évaluation. Pourquoi ne pas s’emparer de l’expérience du confinement pour la transformer en rituel d’adieux ? Pourquoi ne pas imaginer des exposés, un récit de ce moment très particulier que les lycéens partageraient entre eux, lors d’un moment festif avec leurs enseignants en septembre ? En matière de rituels, tout peut être imaginé…
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