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Emploi

Le CDI d'employabilité fait des émules dans le secteur de l'intérim

Passée complètement inaperçue, une mesure de la loi Avenir professionnel crée une nouvelle forme de contrat de travail -le CDI aux fins d'employabilité- destinée aux actifs éloignés de l'emploi ou habitués aux contrats précaires. Une solution aux débuts timides du côté de l'intérim, même si Proman, l'un des leaders du secteur, vient d'annoncer ce jeudi son déploiement à plus large échelle. 

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Logo pôle emploi, 3 janvier 2019

MonCDI.fr, une plateforme de travail à temps partagé se spécialise sur le CDI aux fins d'employabilité.

PASCAL GUYOT / AFP

Les contrats intérimaires, Sofiane Charnis, cariste de profession, les a enchaînés pendant plus de dix ans, à travers une quarantaine d'entreprises. Par choix d'abord, puis de plus en plus par obligation sur un secteur "où ceux qui proposent des CDI sont très rares et le font à un salaire lamentable". C'est ainsi complètement par hasard que ce trentenaire habitant à Vénissieux (Rhône) est tombé sur un post Facebook en août 2019, relayant une annonce de MonCDI.fr, une agence de travail à temps partagé qui se spécialise sur une nouvelle forme de contrat de travail: le CDI aux fins d'employabilité.

Créé dans le cadre de la loi Avenir professionnel de septembre 2018, ce dispositif passé complètement inaperçu est entré en vigueur en janvier 2019 dans le secteur de l'intérim et du travail à temps partagé, pour une expérimentation qui court jusqu'au 31 décembre 2021. Dédié aux personnes éloignées de l'emploi (seniors, bénéficiaires de minima sociaux, actifs handicapés, migrants, demandeurs d'emploi de longue durée...) ou habituées aux contrats précaires (CDD, intérim...), il permet d'accéder à un CDI et tous ses avantages (sécurité de l'emploi, congés payés, ancienneté, mutuelle...) tout en bénéficiant de droits à la formation majorés et d'un investissement poussé sur son employabilité future (suivi individualisé, formations qualifiantes...).

Une alternative inespérée pour Sofiane Charnis: "Je me suis marié il y a deux ans et nous avions le projet avec ma femme d'acheter une maison, mais avec l'intérim, ce n'était même pas la peine d'y penser, raconte Sofiane. C'est pourquoi, dès que j'ai vu l'annonce je les ai contactés, même si j'ai cru à une arnaque au début." A l'époque, le jeune homme est en contrat d'intérim de cariste magasinier depuis trois mois chez Viapost, une filiale de La Poste. "Je suis allé voir la Responsable RH en lui disant que je voulais changer d'agence et que cela ne lui coûterait pas plus cher. Elle a accepté", se réjouit-il. Près d'un an plus tard, Sofiane Charnis ne le regrette pas: "Je peux rester dans cette entreprise jusqu'à cinq ans, avec la possibilité d'évoluer rapidement et surtout d'avoir enfin la sécurité de l'emploi", insiste celui qui a pu commencer des démarches pour l'achat d'une maison et a bénéficié du chômage partiel pendant le confinement, alors que le marché de l'intérim s'effondrait.

Un CDI dédié aux travailleurs précaires

Comme lui, environ 3.000 personnes auraient signé un contrat de ce type en France, d'après les estimations de MonCDI.fr -il n'existe pas à ce jour de chiffrage officiel- qui en a signé pour sa part autour de 750. Une goutte d'eau dans l'océan de l'intérim et des contrats courts -2,5 millions de CDD, 2,5 millions d'intérimaires (soit 750.000 équivalent temps plein) et un million de contractuels- qui ont explosé ces vingt dernières années.

Cette solution est aussi encore loin de concurrencer frontalement le CDI intérimaire (CDII) -82.300 contrats signés à fin décembre en 2019- qui ressemble à s'y méprendre au CDI d'employabilité de prime abord. Créé en 2014, le CDII permet de réaliser des missions d'intérim dans le cadre d'un CDI. "Nous couvrons certes les mêmes secteurs d'activité et les mêmes typologies de métiers (caristes, conducteurs de ligne, techniciens...), reconnaît Philippe Bazin, cofondateur avec son épouse du groupe PSC qui a créé la plateforme MonCDI.fr (administrée par neuf agences en France et 22 personnes). Contrairement au CDI intérimaire qui s'adresse en priorité à des actifs déjà très employables qui disposent de qualifications professionnelles, le CDI d'employabilité cible les personnes en difficulté d'accès à l'emploi peu voire pas qualifiées. Chez nous, 80% des salariés ont moins qu'un niveau CAP. La vocation n'est donc pas du tout la même."

Autres différences notoires: "la clause de mobilité, qui passe de 50 kilomètres pour le CDII à 20 kilomètres chez nous, la durée moyenne des missions chez les entreprises utilisatrices qui est d'une dizaine de jours avec le CDII contre trois ans pour MonCDI.fr, ou encore l'absence d'obligation de prendre ses congés pendant les seules périodes d'intermissions", énumère Philippe Bazin, qui revendique déjà plus de 12.000 inscrits sur sa plateforme. Bémol, les intérimaires qui rejoignent MonCDI.fr perdent en général leur prime de précarité, précieux avantage financier du secteur. "C'est le cas dans 35 à 40% des cas, mais pour la moitié des intérimaires qui nous rejoignent, nous réussissons à renégocier le salaire et ils bénéficient en plus de la mutuelle et des avantages de notre comité économique et social (ex CE). Au global, la perte financière est minime voire nulle", assure Philippe Bazin, qui compte finaliser un premier tour de table de 4 millions d'euros "d'ici à septembre". L'objectif étant notamment de finaliser le développement d'un algorithme permettant d'automatiser la sélection et la signature des contrats au maximum "pour se concentrer sur l'accompagnement".

"Gain de 10% comparé à l'intérim" sur le long terme

Du côté des entreprises utilisatrices, les avantages avancés sont peu ou prou les mêmes que ceux de l'intérim: flexibilité de la main-d'oeuvre, interruption des missions selon des délais courts, sécurisation face au risque de requalification des contrats ou de bonus-malus sur les contrats courts, externalisation de la sélection de profils et de la formation des salariés... C'est la plus grande souplesse du dispositif qui a convaincu Olivier Betou, DRH de Saint Jean Industries, à recourir à cette forme de contrat. L'entreprise, qui se spécialise sur la fabrication de pièces de sécurité pour l'automobile, employait 2.200 personnes (intérimaires compris), dont 700 en France "avant la crise" -le personnel temporaire dans l'Hexagone représentant alors environ "80 à 100 personnes, dont 40 contrats MonCDI.fr". Pour lui, cette alternative à l'intérim est adaptée sur certains postes spécifiques d'opérateurs de centres d'usinage.

"Ces dernières années, nos clients nous ont demandé d'ajouter de la valeur ajoutée sur nos pièces, ce qui nous a conduit à acquérir 15 centres d'usinage très coûteux gérés en 3x8 par des personnes dont le poste est amené à disparaître d'ici quatre à cinq ans le temps que nous robotisions les processus. Avec l'intérim nous étions contraints par un cadre juridique trop strict qui nous obligeait à rompre les contrats au bout de 18 mois, même si la personne nous donnait entière satisfaction. Avec le CDI d'employabilité, nous pouvons nous inscrire dans la durée de manière plus souple, avec un personnel souvent plus opérationnel, fiable et investi que des intérimaires ou même des CDI intérimaires", explique le DRH. Selon lui, l'intérim reste dans l'absolu toujours une solution plus avantageuse d'un point de vue financier lors des pics d'activité. "Les contrats MonCDI.fr deviennent vraiment intéressants à partir de 18 mois. Sur une période de 54 mois, j'ai calculé que le gain est d'environ 10% comparé à l'intérim", évalue-t-il. Il n'est pas rare qu'au bout de plusieurs années, les salariés placés soient débauchés par l'entreprise cliente. Saint Jean Industries a ainsi déjà recruté une dizaine de personnes en CDI.

Une pratique encore très marginale

Le filon, pour l'heure seulement exploité par une quinzaine d'entreprises du travail à temps partagé réunies au sein du Synattep (Syndicat national des entreprises de travail à temps partagé), commence à intéresser aussi les leaders de l'intérim. Proman expérimente ainsi depuis quelques mois Flexeo, une offre dédiée à ce nouveau type de contrat et vient d'annoncer ce jeudi 4 juin son intention de la développer de manière plus active auprès de ses clients. "Il s’agit d’une solution RH socialement valorisante qui permet aux collaborateurs de bénéficier de tous les avantages d’un 'CDI à part entière' et de construire un projet professionnel grâce à un accompagnement personnalisé", affirme Roland Gomez, directeur général du groupe dans un communiqué. Contactés par Challenges, plusieurs autres groupes (The Adecco Group, Manpower...) n'ont pas répondu à nos demandes sur le sujet.

Pas étonnant, selon Claire Vivès, sociologue rattachée au Centre d'études de l'emploi et du travail, qui a mené des recherches sur la mise en place du CDI intérimaire: "Le CDI intérimaire avait mis un certain temps a démarrer notamment parce que les agences minimisaient les risques au maximum en le proposant seulement à leurs meilleurs intérimaires pour les fidéliser, tandis que les entreprises utilisatrices ne se préoccupaient pas vraiment de savoir sous quel type de contrat étaient embauchés leurs intérimaires."

Philippe Bazin en est lui persuadé, la crise actuelle peut durablement impulser une nouvelle dynamique pour le CDI d'employabilité. Il en veut pour preuve les premières remontées de terrain liées à la crise du coronavirus. "Alors que la moitié de nos salariés ont été placés en chômage partiel pendant le confinement, les trois quarts ont repris leur activité à 100% dès le 11 mai, et ce, de manière totalement opérationnelle. Cela démontre bien que ces personnes devaient être en CDI et non en intérim. Cette crise va faire comprendre aux entreprises qu'il vaut mieux autant humainement et qu'économiquement que ce type de missions soient réalisées en CDI", souligne l'entrepreneur qui a été sélectionné pour rejoindre la plateforme Mobilisation exceptionnelle pour l'emploi, créée par le ministère du Travail et administrée par Pôle emploi pour favoriser les recrutements sur les secteurs prioritaires. un avis que ne partage pas la sociologue Claire Vivès. Selon elle, "le CDI d'employabilité devrait, tout comme le CDI intérimaire, rester très marginal dans les années à venir", car le gros des besoins reste focalisé sur les missions de courte durée.

Les premiers arbitrages du gouvernement, qui vient notamment d'assouplir le recours aux contrats courts (CDD et contrat de travail temporaire), tendent à lui donner raison. Jusqu'au 31 décembre 2020, leur nombre pourra être fixé par une "convention d’entreprise" et dépasser celui prévu par l’accord de branche (ou, à défaut, par la loi). "Du rafistolage", balaie Philippe Bazin d'un revers de main qui se fixe toujours comme objectifs de doubler son chiffre d'affaires en 2020 (15 millions d'euros en 2019) et de placer 10.000 personnes d'ici à fin 2021, alors que le Synattep table lui sur un total de 200.000 CDI d'employabilité signés sur la même période. A cette échéance seulement, on saura si le gouvernement transformera l'essai en une forme d'emploi pérenne.

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