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Concours du supérieur : «repères bousculés» pour les aspirants magistrats

Déconfinementdossier
A Bordeaux, la crise sanitaire a forcé l’Ecole nationale de la magistrature à décaler certaines épreuves d’admission. Pour certains candidats, le report à septembre est difficile à encaisser.
par Eva Fonteneau, correspondante à Bordeaux
publié le 3 juin 2020 à 20h01

Il est le plus long de tous les concours de la fonction publique et l’un des plus sélectifs en France. L’an dernier, sur les quelque 3 000 candidats, seuls 300 environ ont réussi à intégrer l’Ecole nationale de la magistrature (ENM) dans l’espoir de devenir juge, juge d’instruction, juge des enfants, substitut du procureur… Mais cette année, confinement oblige, ce marathon parfaitement rodé (six mois d’épreuves écrites et orales) est reporté après l’été. Cela s’applique aussi aux deux autres voies d’accès réservées aux agents de la fonction publique et aux professionnels du secteur privé. Une première dans l’histoire du prestigieux établissement bordelais. Concrètement, les examens écrits, programmés initialement à partir du 25 mai, ont été décalés du 7 au 11 septembre. Les oraux d’admission débuteront quant à eux début novembre.

«Savoir-faire»

Pour les aspirants magistrats, qui travaillent avec acharnement l'examen depuis de longs mois voire des années, c'est parfois dur à encaisser. Marie, 30 ans, jeune avocate, se souvient l'avoir «très mal vécu» le jour où le report est devenu officiel : «Je suis dans une prépa publique. Tout était fait pour qu'on soit parfaitement affûtés au mois de mai, alors se dire qu'on repart pour trois mois de stress… J'ai peur de casser mon rythme. C'est un gros investissement personnel, la fatigue physique et mentale est énorme», s'inquiète celle qui doit aussi jongler avec son cabinet en plus des révisions. «Clairement, c'est le genre de concours où tout se joue au mental, où il faut tenir sur la longueur», abonde Camille, 26 ans. L'étudiante en master de droit tente d'entrer à l'ENM pour la première fois, elle pointe «des repères totalement bousculés» avec le confinement. «Entre ceux qui n'ont pas pu aller emprunter les livres car les bibliothèques universitaires étaient fermées ou réviser dans de bonnes conditions, ça fait beaucoup.» Une inquiétude d'autant plus forte que l'admission se joue souvent à un demi-point près.

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Olivier Leurent, directeur de l'ENM depuis 2016, le concède : «Le décalage dans le temps est assez important, ça implique une cascade de changements. En temps normal, les résultats tombent fin décembre et les auditeurs de justice - c'est ainsi qu'on appelle les élèves - font leur rentrée en février. Pour les admis, celle-ci est aussi repoussée.» Pour éviter des perturbations trop fortes, un décret a été publié le 17 avril en Conseil d'Etat, qui prévoit de raccourcir la scolarité de trente-et-un à vingt-neuf mois. Olivier Leurent : «En termes de qualité ça ne sera à mon sens pas dramatique, on va reséquencer. Et grâce ou à cause du coronavirus, nous avons acquis un nouveau savoir-faire à distance pour compléter avec de nouveaux outils.»

Pour la tenue du concours, le directeur de l'ENM est philosophe : «Tout le monde aura été soumis à la difficulté de travailler à distance, au décalage dans le temps. Il est vrai que ça se joue très souvent à pas grand-chose, mais le concours de l'ENM, c'est un concours d'excellence. C'est un peu les Jeux olympiques : si vous êtes quatrième, vous êtes quasiment du même niveau que le troisième mais vous ne montez pas sur le podium.» Pour lui, pas de doute, «c'est la motivation qui départagera les candidats à l'arrivée, c'est encore plus vrai en cette période. Et puis, certains sont même ravis d'avoir trois mois de révision supplémentaires». Liam, étudiant en droit de 22 ans, reste sceptique : «Les organisateurs du concours ont fait au mieux compte tenu des circonstances et des impératifs, mais la fermeture des bibliothèques universitaires a été pour moi très pénalisante. Je n'exclus pas de le passer plutôt l'année prochaine.»

Sueurs froides

Autre casse-tête qui découle de ce calendrier chamboulé : les élèves admis en 2019 vont devoir entamer leur cycle de huit mois d'études à Bordeaux en classe virtuelle. Au moins pour l'été. «Les salles ne sont pas adaptées pour que chacun puisse respecter les mesures de distanciation sociale. Plusieurs options ont été envisagées, comme la location de salles, mais avec le risque que la promo ne devienne un cluster. On a considéré qu'on ferait mieux en distanciel qu'en présentiel dégradé», détaille Olivier Leurent.

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La sortie de parcours des étudiants de la promo 2018 a aussi posé problème. Tout s'est joué à trois jours près en mars, de quoi donner des sueurs froides aux personnels de l'école. Sur les 300 auditeurs, 27 n'ont pas pu passer leur oral de sortie car le confinement a commencé. C'est pourtant à l'issue de cette ultime épreuve que se décide la répartition des postes. «Le classement a heureusement pu reprendre cette semaine», précise Olivier Leurent. Ces nouvelles robes rouges et noires sont attendues avec impatience par les juridictions, déjà sous pression après la grande grève des avocats et la crise du Covid.

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