Enseignante-chercheuse, Stéphanie Dadour travaille sur les rapports entre féminisme et architecture. Alors qu’une conscience des inégalités entre hommes et femmes émerge chez les architectes françaises depuis le début du mouvement #metoo (elle s’est notamment exprimée, dimanche 8 mars, lors d’une table ronde organisée par la Cité de l’architecture à Paris), que divers groupes de travail se sont constitués en vue d’y remédier, elle développe ici sa réflexion.
Comment évaluez-vous la place des femmes dans l’architecture ?
A l’échelle de la profession, elles occupent une place de plus en plus importante. En France, la part de femmes architectes a grimpé de 16,6 % à 28,6 % depuis l’an 2000. Et chez les moins de 35 ans, la parité est presque atteinte avec désormais 48,9 % de praticiennes. Mais les inégalités persistent. En 2018, sur les cent agences les plus importantes en termes de chiffre d’affaires dans le monde, seulement trois étaient dirigées par des femmes, toutes des Scandinaves. S’il varie d’un pays à l’autre, l’écart de rémunération entre hommes et femmes est de 25 % en moyenne en Europe, et ce chiffre a très peu diminué au cours des dix dernières années. Les inégalités entre femmes et hommes ne se mesurent pas seulement à la rémunération. D’autres critères sont à prendre en considération, comme les représentations, l’accès à la commande, le type de commande, la conciliation entre vie professionnelle et vie privée…
Où se situe la France dans ce classement ?
A la neuvième place, après l’Autriche, la Belgique, la Croatie aussi, qui apparaît comme le pays européen où il y a la plus grande proportion de femmes architectes, un de ceux qui offrent la possibilité d’équilibrer au mieux vie privée et vie professionnelle. En France, chez les architectes qui pratiquent en libéral, le revenu moyen est de 48 745 euros pour les hommes et de 28 734 pour les femmes. La moyenne de la profession est de 43 349 euros : les femmes sont donc très largement au-dessous.
Très peu de femmes dirigent leur agence en leur nom propre en France…
En effet. Ce fait participe des représentations que l’on se fait de l’architecture. Les étudiantes en ont pleinement conscience. Elles sont très demandeuses de modèles féminins, de femmes qui dirigent des structures, qui sont reconnues par la profession. Il ne faut pas nier cette réalité, mais il faut la mettre en perspective. Sa portée symbolique a à voir avec une conception de l’architecture comme maîtrise d’œuvre. Or l’architecture comprend toutes sortes d’autres métiers où les femmes ont du pouvoir – dans la fonction publique, en urbanisme, dans le paysage, dans la médiation, dans l’architecture participative… Mais ces métiers qui relèvent plus de la concertation sont invisibilisés, dévalorisés, comme tous les métiers qui ont à voir avec le « care », avec le lien, le soin, l’attention aux autres. La crise sanitaire que nous traversons le révèle sans ambiguïté.
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