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High-Tech

Les secrets du sauvetage du moteur de recherche français Qwant

A la dérive, le moteur de recherche français redresse la barre après avoir levé des fonds et changé de dirigeants. Mais il doit encore trouver son modèle.

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655 verite qwantJune 14, 2018, Paris (75), FRANCE. Qwant Headqwarters during the inauguration of Qwant headquarters in Paris.14 juin 2018, Paris (75), France. Les locaux de Qwant pendant l'inauguration du sige social de Qwant  Paris. - Inauguration of Qwa

Siège parisien de Qwant, inauguré en 2018. Sous la présidence du cofondateur Eric Léandri, des tensions étaient apparues entre les équipes de Paris et celles de Nice, berceau historique de l’entreprise, entraînant une fuite des talents et la méfiance des actionnaires.

Hans Lucas Via Afp

En allumant leur nouvel appareil, les possesseurs d’un smartphone Huawei chercheront en vain l’icône multicolore de Google sur leur écran. Pour cause de sanctions américaines, le fabricant chinois a installé par défaut sur ses nouveaux modèles une technologie française : Qwant, le moteur de recherche « qui respecte la vie privée ». Annoncé le 26 mars, le partenariat permet à l’entreprise d’accéder aux 30 millions de clients Huawei en Europe. Un second souffle pour l’ex-pépite de la French Tech ?

Créé en 2011 par Eric Léandri, Jean-Manuel Rozan – le financier qui assuma la présidence pendant cinq ans – et Patrick Constant, Qwant a traversé une zone de fortes turbulences en 2019. Lourdement déficitaire, peinant à faire grossir ses revenus – 7 millions d’euros en 2019 au lieu des 15 millions annoncés –, il a échoué à boucler une augmentation de capital de 20 millions d’euros, qui aurait dû faire entrer de nouveaux actionnaires. Fin août, une enquête de Mediapart achevait de semer le doute en dénonçant la « communication ronflante » du président et en exhumant même d’anciennes condamnations.

Le mauvais buzz reposait beaucoup sur le management. Mal entouré, impulsif, dispersé, incapable de régler les conflits internes, notamment les tensions opposant les équipes de Nice, berceau du groupe, à celles de Paris, Eric Léandri avait peu à peu perdu leur confiance. D’où l’hémorragie de talents. Et la méfiance des actionnaires. « Les ressources ont été mal allouées, juge Jean-Manuel Rozan. Lorsque tout est payé par l’argent des actionnaires, cela vous oblige à une discipline de fer. » Eric Léandri a finalement été écarté le 9 janvier et remplacé par Jean-Claude Ghinozzi, l’ancien patron du marketing.

Soutien public décrié

Dans ce contexte chahuté, Qwant a conservé le soutien des pouvoirs publics. Dès juin 2019, le secrétaire d’Etat au Numérique, Cédric O, avait annoncé que les fonctionnaires français seraient incités à utiliser cette technologie « assurant un niveau optimum de confidentialité des recherches ». De leur côté, les actionnaires historiques, la Caisse des dépôts et l’éditeur allemand Axel Springer, ont assuré sa recapitalisation en lui apportant 10 millions d’euros. Il n’en fallait pas plus pour relancer les accusations de gabegie. Le refinancement de Qwant par la Caisse des dépôts aurait-il été dicté par l’Etat ? La bascule de l’administration, une forme de soutien aveugle au seul moteur de recherche européen ? « C’est une décision que nous assumons entièrement, se défend Antoine Troesch, directeur de l’investissement de la Banque des territoires, division de la Caisse. Avec des moyens très limités, Qwant a réussi à bâtir un index de qualité. La Caisse ne s’est pas contentée de regarder la carrosserie, elle a soulevé le capot. »

Avant de réinvestir, le groupe public s’est en effet appuyé sur une série d’audits, menés entre juin et décembre 2019 : l’Anssi (Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information) a vérifié que les adresses IP des utilisateurs n’étaient pas conservées ou revendues, Qwant respectant bien sa promesse de ne pas les tracer. La Direction interministérielle du numérique (Dinum) a quant à elle investigué la question de l’autonomie vis-à-vis de Microsoft. Sujet sensible : pour se lancer, la société n’avait pas les moyens financiers et humains d’indexer la totalité du Web. Depuis sa création, une partie des résultats est donc fournie par Bing, le moteur du géant de Redmond. Fin 2019, l’audit de la Dinum a fait la transparence : 36 % des résultats proviennent de Qwant. « Nous voulons parvenir à 50 % d’ici à la fin de 2020, explique Jean-Claude Ghinozzi, précisant que les réponses du moteur ne sont pas biaisées par les recherches précédentes puisque Qwant n’en conserve pas l’historique.

Gouvernance apaisée

La page semble aujourd’hui tournée. Sous le contrôle d’actionnaires ayant musclé leur contrôle et créé un conseil de gouvernance, Jean-Claude Ghinozzi a entièrement renouvelé l’équipe dirigeante. Le 4 avril, quatre nominations ont été annoncées, notamment celle de l’ex-directeur financier de Samsung France, Eric Bazin, à la tête des opérations, et d’un ancien de Facebook et Google, Hugo Venturini, comme directeur technique. « Il s’agit de passer de l’amateurisme brouillon au professionnalisme éclairé », décode Jean-Manuel Rozan. Fin, aussi, d’une époque où la start-up jouait les Don Quichotte en s’imaginant en guerre contre les Gafa. « Qwant n’est pas un concurrent mais une alternative à Google, pour ceux qui veulent protéger leur vie privée », souligne Antoine Troesch. Sous le contrôle renforcé des investisseurs – qui ont créé un advisory board – le nouveau patron a réécrit une feuille de route sur deux axes : recentrage et monétisation.

Fini les diversifications – Qwant Med & Surgery, Qwant Pay… –, qui rendaient la stratégie illisible et éparpillaient l’énergie des 130 salariés. Seuls quelques partenariats essentiels sont maintenus, notamment la collaboration avec Open Street Map, qui permettra à la start-up de lancer son service d’itinéraire sur mobile. Tous les efforts portent dorénavant sur l’amélioration du moteur de recherche : Qwant travaille à améliorer le volume et la qualité de son index. « Nous mettons une attention particulière sur l’expérience utilisateur », précise Jean-Claude Ghinozzi. D’où le recrutement d’ingénieurs, qui travailleront à rendre la navigation plus intuitive et simple.

Défi de la rentabilité

Mais le défi le plus ardu sera celui de la monétisation : Qwant doit atteindre la rentabilité, en transformant son audience – 4,9 millions d’utilisateurs uniques par mois – en chiffre d’affaires. « La proposition de valeur n’est pas assez différente de Google, il ne sera pas possible de bâtir un modèle publicitaire rentable, craint l’investisseur Philippe Laval, associé du fonds californien Jolt. Plutôt que de s’acharner, pourquoi ne pas transformer Qwant en index européen, avec un soutien massif de l’Europe ? » Jean-Claude Ghinozzi s’emploie à lui donner tort.

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