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Crise de la presse : «le Parisien» délocalise

Pour économiser de l’argent, le quotidien détenu par LVMH cesse de faire paraître ses éditions départementales.
par Christophe Alix
publié le 16 juin 2020 à 20h46

«Déconfinement : l'emploi repart déjà !» La une du Parisien de mardi ne risque pas de s'appliquer au quotidien racheté en 2015 par LVMH (Groupe Les Echos) au groupe Amaury. Le jour même où paraissait cette couverture résolument optimiste dans le contexte actuel, la direction du titre actait la fin des neuf éditions départementales du Parisien suspendues au début du confinement. Un fonctionnement local au cœur de l'ADN de ce quotidien, à la fois national et de proximité, auquel étaient dédiées 130 des 435 cartes de presse de la rédaction. Résultat, cette dernière va perdre 30 postes, dont 16 CDD, mais sans plan social ni départs contraints, précise bien la direction.

Lors de la présentation au personnel de ce plan d'économies en visioconférence mardi à la mi-journée, le patron des médias au sein du groupe LVMH, Pierre Louette, ex-PDG de l'AFP et ancien dirigeant d'Orange, a pourtant parlé d'«un projet d'ambition, pas de rétraction».

«Moins mais mieux»

Il s’articule évidemment autour du numérique avec l’objectif d’accélérer fortement le recrutement d’abonnés en ligne pour atteindre le chiffre de 200 000 d’ici à cinq ans. Mais la route s’annonce longue : le titre n’en compte aujourd’hui que 35 000, contre 15 000 il y a un an. La diffusion plafonnait, elle, à 157 872 exemplaires papiers au mois de février, avant le confinement.

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Pour cette année 2020, les pertes du Parisien devraient largement excéder les 32 millions d'euros budgétés en début d'année. Et la direction du journal met en avant la dégradation très rapide de la situation économique et l'impératif d'adapter ses charges à la baisse des ventes papier pour dégager une dizaine de millions d'euros d'économies par an. Pour le reste, le plan met surtout en avant les innovations éditoriales de la nouvelle offre qui va voir le jour. Elle porte largement la patte du directeur des rédactions, Stéphane Albouy, en s'efforçant de mieux coller aux nouveaux modes de consommation de l'info. Exit donc les cahiers centraux départementaux de 8 à 12 pages qui seront remplacés par un cahier régional unifié baptisé «Le Grand Parisien». De quoi permettre de sérieuses économies. Plutôt qu'une couverture «hyperlocale» de l'actualité dont Pierre Louette affirme qu'elle motive de moins en moins les lecteurs, le Parisien va multiplier les approches plus transverses et thématiques. Chaque édition départementale n'enregistrait en moyenne que 4 500 acheteurs au numéro (rapporté aux 12 millions de Franciliens), met-il en avant. De nouvelles rubriques vont donc voir le jour dans le cahier régional : un «fait du jour» en ouverture, des portraits et plus de faits divers police-justice. «Nous continuerons à produire des articles sur les départements, explique le PDG. L'objectif est de faire moins mais mieux, avec moins d'articles qui auront plus de puissance et permettront de la conversion en ligne.»

«Identité»

L’édition nationale va également être remaniée avec plus de place dédiée aux longs formats au sein d’un nouveau service «Récits», l’apparition de rubriques récurrentes portées par des journalistes experts avec des thématiques comme le féminisme, le «bien-manger», la science, la tech et l’intime notamment. Autre nouveauté, une nouvelle rubrique «C’est leur avis» assurée par des contributeurs extérieurs verra le jour. Soit l’équivalent des pages «Idées» ou «Débats» des autres quotidiens. Un grand jeu de chaises musicales va ainsi se mettre en place avec une centaine de journalistes qui devraient changer de poste.

«Ce changement, qui risque de déboussoler une partie de nos lecteurs, est parfaitement assumé par la direction, réagit le représentant du personnel Christophe Levent du SGJ-FO. On tire un trait sur le papier et une locale dont on nous dit qu'elle ne constitue pas un moteur dans le numérique. Personne ne va aller contre le numérique, mais cela passait-il nécessairement par un tel abandon de ce qui fait une bonne partie de notre identité ?»

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Concernant l’objectif de 30 départs, un accord de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) va être mis en place, afin d’adapter les affectations des journalistes de la rédaction. La direction promet d’accompagner ceux qui souhaiteraient partir de manière anticipée à l’approche de la retraite ou se reconvertir.

Mais pour les syndicats, il s'agit en réalité d'un «plan social qui ne dit pas son nom» dans le but, suggère un élu, «de préserver l'image de l'actionnaire». Le patron de LVMH, Bernard Arnault, première fortune française et quatrième mondiale, a toujours eu en horreur l'idée même de perdre de l'argent.

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