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Crise de la presse : à Nice, des kiosques sans stocks

Les vendeurs de journaux prennent de plein fouet la crise actuelle et pâtissent des déboires des distributeurs.
par Mathilde Frénois, Correspondante à Nice
publié le 16 juin 2020 à 20h46

Le kiosque de Sami Sarkis occupe une place stratégique. C'est ici, posé en face du palais de justice et à deux pas de la mairie, que les avocats et les fonctionnaires se pressent pour acheter les journaux. Les touristes se laissent aussi tenter à l'occasion d'une traversée du Vieux-Nice. Ce lundi, comme tous les matins, c'est le défilé. Une avocate vient acheter la presse locale. Un habitué recherche le magazine de décoration intérieure House Garden.

C'est là que les justifications commencent pour Sami : «Tant qu'il n'y aura pas d'avions, il n'y aura pas de presse américaine», répète le kiosquier installé ici depuis dix-huit ans. Mais le confinement n'est pas la seule raison du vide sur l'étalage : la pénurie de magazines et de journaux est surtout due au blocage des dépôts régionaux de Presstalis à Lyon et Marseille, après la liquidation des dépositaires chargés de la distribution de la presse jusque dans le sud-est de la France.

«Satanique»

Le monsieur voulait aussi un sudoku «niveau satanique» : il n'y en a plus depuis plusieurs semaines. Une dame cherche Télé Z : il faudra attendre demain et croiser les doigts pour que le programme télé soit dans la livraison. «Il manque plein de choses. Les gens demandent des titres que nous n'avons pas en rayon. Depuis quinze jours, j'arrive à avoir des quotidiens nationaux, heureusement. Mais je n'ai aucune presse étrangère, sauf celle qui vient d'Italie. Je n'ai que huit exemplaires de l'Equipe au lieu de vingt. Les éditeurs rechignent à imprimer du papier s'il n'est pas livré. Ils ne veulent pas s'engager car ils n'ont pas de vision à court terme.»

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Sami Sarkis estime à 40 % la baisse du volume de livraison et à 50 % la perte de son chiffre d'affaires. Confinement et grèves s'accumulant, le kiosquier craint que ses fidèles clients ne se mettent à préférer la livraison à domicile et l'abonnement sur Internet. «On va trinquer, anticipe-t-il. On est perdants depuis plusieurs années et ça ne fait qu'accélérer le phénomène.»

Dans le tabac-presse de Véronique Guillez, le présentoir est à moitié vide. Ce lundi, le Monde et les magazines spécialisés dans les courses hippiques n'ont pas été livrés. «Chaque matin, quand j'ouvre le carton, c'est la surprise, raconte-t-elle derrière son comptoir. Parfois, on ne reçoit que la moitié de la commande.» Et le chiffre d'affaires de la boutique s'en ressent : «La presse amène des ventes annexes : des boîtes de chewing-gums, des timbres. Là, les clients entrent, rouspètent et ressortent.»

Les buralistes et kiosquiers de Nice ont la possibilité de s'approvisionner via Monaco pour tenter de combler les trous. Ce n'est pas le cas des revendeurs implantés plus à l'ouest. «On a été en rupture totale pendant près d'une semaine au mois de mai, raconte Pascal Albert, propriétaire du Hall de la presse au Cannet, au-dessus de Cannes. La presse se vend de moins en moins. Mais tout de même, nous avons un manque à gagner qu'il est difficile de chiffrer et qui n'est compensé par personne. C'est toujours un coup dans les dents.»

«Escargot»

L'organisation est compliquée. Ce ne sont pas toujours les mêmes titres qui sont touchés. Il faut expliquer au client que son magazine est susceptible d'être livré le lendemain, sans aucune certitude. Ensuite, il faut gérer les arrivages : «Les dégâts occasionnés, c'est aussi sur la comptabilité et la gestion des stocks. Par exemple aujourd'hui, on n'a pas eu de bons de livraison, explique-t-il. Nous n'avons pas de stocks : pour les retours, c'est la panique.»

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Depuis quelques jours, les journaux retrouvent doucement le chemin des présentoirs. La solution monégasque et les prémices d'un accord aux dépôts de Lyon et Marseille pour la création de coopératives par les anciens salariés redonnent de l'espoir à Sami Sarkis. «On avance à pas d'escargot, dit-il. Le problème n'est pas réglé : ces titres nous manquent.» L'avocate revient. Elle achète neuf exemplaires de Nice-Matin. La presse locale, qui possède son propre réseau de distribution, n'est pas touchée.

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