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Chronique

Salaires : pourquoi les inégalités hommes-femmes perdurent

Partout, les salaires des femmes sont inférieurs à ceux des hommes. Les économistes ont plein d'explications : formation, expérience, discriminations, organisation du travail, attitudes face à la compétition... Petite revue.

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Par Jean-Marc Vittori

Publié le 7 mars 2017 à 01:01

Il y a encore des lois universelles. Dans tous les pays du monde, les femmes gagnent moins d'argent que les hommes. A en croire le rapport que vient de publier l'Organisation internationale du travail, l'écart de salaire horaire serait minime en Bosnie et au Mexique, mais atteint 16 % en France et dépasse 40 % en Azerbaïdjan et au Bénin. En Europe, près des deux tiers des 10 % de salariés les moins bien payés sont des femmes, alors qu'on en compte seulement un tiers parmi les 10 % les mieux payés. Parmi les 1 % les mieux rémunérés, les directeurs généraux gagnent moitié plus que les directrices générales. Le spécialiste des mégasalaires, Thomas Piketty, suppute en prolongeant la courbe qu'il faudra attendre le début du XXIIe siècle pour parvenir en France à la parité des gains entre hommes et femmes chez les 1 % les mieux payés. D'autres chiffres confirment l'inégalité entre les sexes en entreprise : deux fois plus d'hommes que de femmes parmi les managers en Europe; moins de 15 % de femmes dans les conseils d'administration aux Etats-Unis et en Europe (même si la loi change la donne, comme on le voit en Norvège ou en France); 7 % de femmes chez les startuppeurs et chez les grands capital-risqueurs aux Etats-Unis.

Les économistes ont bien sûr essayé de comprendre de tels écarts. En schématisant, ils ont trouvé trois explications : c'est la faute aux hommes (discriminations), aux femmes (préférences personnelles, par exemple pour limiter le temps de travail)... et à la nature (aptitudes). Gary Becker, l'économiste libéral de Chicago qui voyait le marché partout, avait lancé les débats il y a un demi-siècle avec la théorie du capital humain. Les entreprises paient des salariés mieux que d'autres parce qu'ils sont plus productifs, ce qui vient de leurs capacités physiques ou intellectuelles reflétant à la fois l'inné et l'acquis - les gènes, l'éducation, l'expérience. A partir des années 1970, Jacob Mincer, professeur à l'université de Columbia, met cette théorie en équation, postulant que « les différences de salaire entre les salariés sont dues principalement à des différences dans la dimension des stocks en capital humain, et non à un "taux de salaire" différent par unité de stock de capital humain. »

Depuis, l'écart de formation entre femmes et hommes s'est comblé dans les pays avancés. Et l'écart de salaire a bel et bien diminué. Mais les parcours professionnels, et donc l'expérience, ne sont pas devenus identiques. Les responsables des ressources humaines d'une banque française, qui avaient mis un point d'honneur à embaucher les jeunes des deux sexes au même salaire, ont fini par comprendre que l'écart salarial constaté à l'âge de 40 ans venait des congés maternité : les jeunes mères étaient en effet rayées de la liste des augmentations. Ils ont alors créé une cagnotte de compensation pour faire disparaître l'écart.

Les économistes ont cherché à aller au-delà... en regardant leur profession. Une profession largement masculine, comme le révèlent les calculs de Soledad Zignago, elle-même économiste à la Banque de France : il y a moins d'une femme sur cinq parmi les quelque 50.000 chercheurs recensés sur la base RePEc (« Research Papers in Economics »). Une profession où la discrimination existe, comme l'a montré un travail original de Heather Sarsons, qui prépare son doctorat à Harvard. En regardant si le fait d'avoir signé des articles académiques avec d'autres auteurs avait un impact sur la carrière d'un chercheur, elle a fait une trouvaille. Pour les hommes, la publication avec d'autres coauteurs ne change rien à la probabilité d'être titularisé (obtenir la « tenure », aux Etats-Unis). En revanche, si une femme publie avec un homme, alors elle a moins de chances d'être titularisée ! Tout se passe comme si les responsables universitaires considéraient que c'est l'homme qui fait le boulot. Bel exemple de discrimination.

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D'autres chercheurs ont exploré une piste plus complexe : l'attitude face à la compétition. Avec des expériences en laboratoire, des économistes comme Marie-Claire Villeval, du Groupe d'analyse et de théorie économique de l'université Lyon-II, ont montré que les femmes jouent davantage la coopération et les hommes plus la compétition. D'autres universitaires ont scruté ce qui se passe dans de vraies compétitions. Une étude publiée par l'Institut d'économie de Barcelone révèle ainsi par de savants calculs que les championnes d'échecs jouent plus mal face à un homme. Alison Booth, de l'Australian National University, et Eiji Yamamura, de la Seinan Gakuin University, ont décortiqué de leur côté le circuit professionnel des courses de petits bateaux à moteur « kyôtei » au Japon, où six concurrents tirés au sort dans une liste de concurrents masculins et féminins s'affrontent. Résultat : « La performance des femmes pilotes est moindre dans des courses mixtes [où il y a des coureurs hommes et des coureurs femmes], alors que les hommes font un meilleur temps dans les courses mixtes que dans les courses seulement masculines. »

L'une des économistes les plus réputées au monde sur la question du genre, Claudia Goldin, a une autre explication de ce qui se passe en entreprise, qui tient aussi à l'interaction entre hommes et femmes. Pour cette professeure de Harvard, pour réduire les inégalités, il faudra avancer dans la flexibilité des horaires de travail et, au-delà, de l'organisation du travail pour qu'un salarié puisse en remplacer facilement un autre. En comparant des métiers comme les avocats, les chercheurs et les pharmaciens salariés, elle montre de manière assez convaincante à quel point cette question est cruciale. Mais Goldin est trop optimiste : un travail plus souple ne suffira pas à clore ce qu'elle appelle « le dernier chapitre » de la convergence des salaires des femmes et des hommes.

Retrouvez les références des études citées dans cet article sur lesechos.fr

Jean-Marc Vittori

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