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Série

Devenir développeur en quelques mois, la promesse risquée des écoles de code

« Développeurs, les bâtisseurs de notre vie numérique », épisode 1/3. Depuis la création du label Grande école du numérique en 2015, de nombreuses écoles dédiées au code se sont lancées, promettant à leurs élèves de les former en peu de temps au métier de développeur.

Le nombre de formations labellisées « Grande Ecole du Numérique » a explosé depuis 2005, avant de se stabiliser autour de 500 actuellement.
Le nombre de formations labellisées « Grande Ecole du Numérique » a explosé depuis 2005, avant de se stabiliser autour de 500 actuellement. (iStock)
Publié le 23 juin 2020 à 10:58Mis à jour le 29 juin 2020 à 11:29

Les cursus labellisés « Grande école du numérique » (GEN) accueillent toujours plus d'étudiants. En 2019, plus de 15.000 personnes ont été formées au code et aux métiers du numérique (développeur intégrateur Web, technicien, conseiller informatique, etc.), dévoile l'organisme public du même nom ce mardi. Des effectifs en hausse de 25 % par rapport à 2018 ! En revanche, leur insertion semble se dégrader : le nombre de « sorties positives trois mois après la formation », regroupant pêle-mêle les contrats salariés, créations d'entreprises et reprises d'études, baisse depuis l'an dernier, tombe à 74 %, contre 85 % en 2018. A peine la moitié décrochent un CDD ou un CDI dans une boîte. Un chiffre de l'insertion professionnelle que la GEN juge « très satisfaisant » et précise que ces formations concernent majoritairement des publics éloignés de l'emploi, sans qualifications apparentes sur leur CV.

Parmi les établissements labellisés, les écoles reconnues dans le milieu affichent de meilleurs chiffres d'insertion, aussi parce qu'elles sélectionnent parfois drastiquement les dossiers. « Tous nos élèves trouvent un travail dans les six mois, on voit de plus en plus d'employeurs miser sur des développeurs juniors, afin de les modeler aux aspirations de l'entreprise », relève Romain Paillard, cofondateur du Wagon. « Ils comprennent que cela est finalement plus intéressant que de dépenser de l'argent auprès de chasseurs de têtes ». La Wild Code School revendique aussi des taux d'insertion à faire pâlir d'envie de nombreuses formations. « En moyenne, neuf sur dix trouvent du travail à la sortie de l'école, principalement des CDD et CDI, mais aussi quelques freelances. Souvent, à la suite de leur stage de fin d'études, ils continuent dans l'entreprise », détaille Caroline Larcié, directrice des formations de la moitié sud de la France.

En 2019, la GEN dit avoir reçu 100.000 candidatures. Depuis 2015, à sa création sous la présidence de François Hollande, le programme GEN a labellisé un nombre croissant de formations. Leur nombre a même explosé, avant de se stabiliser autour de 500 actuellement. Samia Ghozlane, directrice de la Grande école du numérique explique que sur les 1.500 propositions de créations de cursus reçues, une sur deux est retenue. Ces derniers peuvent être créés par des organismes publics et privés, en ligne, en présentiel (ou les deux), très courtes ou plus longues, et, ce, dans toute la France.

« Une grosse illusion »

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Tout n'est pas toujours évident pour les élèves qui sortent de ces écoles, gonflés de grandes ambitions. Romain* était auparavant moniteur auto-école. Il choisit un cursus de quelques mois pour devenir développeur, qu'il paie 6.000 euros, de sa poche. « Pour être honnête, j'ai été un peu déçu. On peut acquérir des bases durant ce laps de temps, en travaillant dur, mais il est impossible de devenir réellement développeur. C'est une grosse illusion de le penser. » Et d'ajouter : « on nous a vendu du rêve, en nous promettant des salaires de 3 à 4.000 euros par mois, une forte visibilité auprès des recruteurs à la sortie… En vérité, même dans mon stage, je me sentais à la ramasse ! », soupire-t-il. S'il se montre critique envers son école, cet ancien de l'école s'en sort tout de même convenablement : il a signé un CDI pour un poste de développeur junior dans un grand groupe français. Mais Romain y voit de la chance : « Certains de mes camarades de promo ont eu beaucoup de mal à trouver du travail ».

Même constat pour Maxime. Lui dit savoir que cette formation ne suffirait pour devenir développeur, mais il cherchait à avoir une idée du métier. « À la sortie, les entreprises sont pragmatiques, elles font passer des tests techniques. Or, mon niveau après seulement trois mois était en dessous de ce qui était attendu. J'ai cherché du boulot pendant six ou sept mois, puis j'ai décidé de reprendre des études plus longues en alternance, pendant deux ans », explique cet ancien de la téléphonie mobile. De quoi se forger une expérience solide, et trouver des postes plus intéressants.

Multiplier les projets pour sortir par le haut

Alors, comment faire pour tirer le meilleur d'une telle formation ? Quand Stéphane, ancien technicien informatique, a décidé de devenir développeur, la solution a été pour lui de cumuler les expériences, au maximum. « J'ai choisi un cursus en ligne, et je passais en parallèle des certifications sur OpenClassrooms. Je suis assez content de ma formation, en revanche, je ne me sens pas assez préparé face aux tests techniques des employeurs, il va falloir que je m'entraîne davantage », explique celui qui a récemment achevé sa formation. Idem pour Virginia, qui vient de terminer son cursus, légèrement inquiète par le contexte économique post-crise du Covid-19. « Je pense que ce type de cours, très intenses, nous donnent des clefs à un moment donné, mais qu'ensuite, il faut absolument continuer à travailler, à préparer les tests, à se constituer un portfolio. Les développeurs juniors doivent être passionnés, coder tout le temps, et montrer leur persévérance et leur motivation », estime-t-elle. Sur le CV, le nom d'une école ne fait donc pas grand-chose. Pour se démarquer sur le marché du travail, il faudra faire preuve d'un investissement sans faille.

Ceux qui redémarrent en bas de l'échelle doivent venir bien armés, au risque de ne rien obtenir. « Lors des entretiens, la personne doit préparer et montrer ses créations, son portfolio en ligne », conseille Janaki Selvarajah, manager de la division IT/digital au cabinet de recrutement Robert Half. « On attendra naturellement beaucoup plus de supports et d'éléments pour évaluer la candidature d'un jeune diplômé que celle d'un développeur déjà expérimenté. » Cela peut être des projets, même non professionnels. « J'ai déjà vu des personnes présenter un site e-commerce fait pour un ami. S'il est bien réalisé, cela est un vrai plus. Et bien sûr, ne pas oublier de valoriser les stages. » Sans ces lignes supplémentaires sur le CV, difficile de se distinguer avec seulement des partiels réussis à son actif.

Motivation et travail, clefs pour faire la différence

Les écoles qui assurent former des développeurs en trois mois savent que c'est un défi qu'elles ne peuvent pas relever selon Emilie* qui a travaillé pour deux écoles de code, dont une en tant que directrice. « L'insertion dépendra aussi de si elle a déjà travaillé en entreprise car elle aura déjà les codes. Cela est rassurant », estime-t-elle. Dans sa première école, elle recommandait à certains diplômés réticents de ne pas être trop gourmands d'emblée et de plutôt accepter des salaires inférieurs à leurs attentes. C'est en faisant leur preuve que le salaire pourrait suivre rapidement.

Travailler dur pour réussir : Yoann en est un bon exemple. Employé dans la restauration, ce Guadeloupéen a toujours été attiré par le numérique. « Mais il n'y avait pas de cursus d'informatique près de chez moi. Alors, lorsqu'une école de code a annoncé son ouverture sur l'île, je me suis jeté sur l'occasion, dès la première promotion ». Sur 15 élèves, sept ont abandonné en route et seulement deux ont été diplômés, explique Yoann. « J'ai énormément travaillé, je me suis accroché, vraiment investi, je me suis transformé en bourreau de travail. » Cela fait la différence. Il passe le titre RNCP correspondant, puis se rend en métropole pour trouver un emploi. Mais pas question de se brader. « Il m'a fallu dix mois de recherche active, car je m'étais fixé un salaire minimum sur lequel je ne voulais pas transiger. »

Un secteur malgré tout tendu et porteur

Rappelons tout de même que les profils de développeurs juniors restent tout de même attractifs sur un marché du travail très tendu. Y compris les profils en reconversion, assure Laura Peignard, du cabinet de recrutement Easy Partner, dédié au digital. Le métier de développeur en général devrait rester encore longtemps recherché. « Nous avons besoin de nouveaux développeurs ! », assure Benoît Guérisse, consultant en recrutement pour le cabinet Skillink. « Il suffit de voir le nombre d'entreprises et de start-up qui se créent dans le domaine du digital. Il y a de plus en plus d'offres de développeurs. Le marché reste très tendu, surtout sur les spécialisations et technologies les plus recherchées ». Selon Glassdoor, le salaire moyen d'un développeur, tout âge et expérience confondus, est de quasiment 39.000 euros, là où les juniors sortis des formations de la Grande école du numérique touchent 24.000 euros bruts. De quoi rassurer un peu ceux qui devront se battre pour intégrer le milieu et faire leurs armes.

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Série « Développeurs, les bâtisseurs de notre vie numérique », retrouvez notre épisode 2 : Les développeurs, nouvelle élite de la nation ?

Et l'épisode 3 : Ils se reconvertissent comme développeurs, et adorent ça !

Laura Makary

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