Il est 20 h 30, en cette chaude et venteuse soirée du 22 juin, quand l’imposant convoi s’ébranle du port de Berre-l’Etang (Bouches-du-Rhône), à 30 km de Marseille. Spécialement conçue pour ce transport hors-norme, la remorque de 42 mètres, 342 roues et deux fois 1 000 chevaux de puissance, traverse lentement le paysage semi-désertique des salins qui bordent l’étendue d’eau. Solidement arrimé par d’épaisses chaînes, un énorme colis de 13 m sur 11, recouvert d’une bâche orange et protégé par un « berceau » en acier, fait l’objet de toutes les attentions de la part des opérateurs qui précèdent l’engin. Il renferme en effet un composant de haute technologie destiné au projet ITER, en cours de construction à 104 km de là : un aimant supraconducteur circulaire dit « de champ poloïdal », en provenance de Chine, de 10 m de diamètre et d’une masse de 400 tonnes.
Suivant les gyrophares des véhicules de gendarmerie qui sécurisent le parcours, la remorque va emprunter, durant quatre nuits, un itinéraire spécialement aménagé par l’Agence ITER France : traversée de l’autoroute A7 préalablement fermée, ouvrages d’art renforcés pour supporter son poids, panneaux de signalisation démontés pour lui laisser la place de passer, et pan de falaise raboté, dans la vallée de la Durance, sur un passage trop étroit.
Le 26 juin à 2 h 15 du matin, le précieux chargement pénètre sur le site d’ITER, après un périple maritime et routier de trois mois et 10 000 km depuis la ville chinoise de Hefei (province de l’Anhui), où la pièce a été fabriquée sur fonds européens. Déchargé avec d’infinies précautions au moyen d’un pont roulant, l’aimant « PF6 » rejoint, dans un vaste hall, les composants qui l’ont précédé ou qui ont été fabriqués sur place.
Sur l’ensemble du vaste site de 180 ha situé sur la petite commune de Saint-Paul-lez-Durance, 2 100 personnes de nombreuses nationalités s’activent en temps normal, nombre réduit à 600 au plus fort de l’épidémie de coronavirus.
Dans le hall consacré aux électroaimants supraconducteurs, des techniciens masqués s’affairent autour des immenses pièces métalliques, vérifiant inlassablement les connexions et les soudures dans leurs moindres détails. Pourquoi autant de soins ? Car la moindre erreur de conception, défaut d’usinage ou d’assemblage d’un composant de la machine en cours de construction à quelques mètres de là pourrait compromettre son fonctionnement futur. Ce que les sept partenaires – Chine, Union européenne (UE), Inde, Japon, Corée du Sud, Russie, Etats-Unis, trente-cinq pays au total – du projet ITER, né officiellement en 2007 après des décennies de gestation, ne peuvent pas se permettre.
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