POLITIQUE - “C’est quoi la journée de Martine?”, demandait François Ruffin, le 24 juin lors de la présentation d’un rapport d’information à l’Assemblée nationale. 43 propositions pour revaloriser les métiers dits “du lien”. Pendant ce temps-là, Le HuffPost s’est demandé: “C’est quoi la journée d’Élisa?” Assistante maternelle, elle aussi fait partie de ces professions auxquelles le député LFI, allié pour l’occasion au député LREM Bruno Bonnell, veut venir en aide.
Après sa mobilisation pendant la crise sanitaire, Élisa aimerait juste une chose: exister. Des salaires allant de 3,5 à 4,5 euros net de l’heure par enfant gardé. Des parents qui appellent: “C’est combien?” “Ceux-là se trompent de métier, je crois, ce n’est pas le bois de Boulogne en fait”, s’amuse d’un rire un peu jaune Élisa. Un salaire misérable et surtout des clichés qui collent dur à la peau souvent féminine des “assmat” comme on les appelle.
“C’est la guerre, pas de problème, on est là!”
Le 16 mars, Emmanuel Macron annonce une guerre contre le Covid-19 et le début d’un long confinement. Quatre jours auparavant, le chef de l’État avait annoncé la fermeture des écoles, des collèges, des lycées et des crèches. “À aucun moment nous n’avons parlé des assistantes maternelles”, a constaté amèrement Élisa. Elles étaient là pourtant. “C’est la guerre pas de problème, on se mobilise si besoin”. Invisibles, elles sont là. Les syndicats ont demandé des informations à leur département, sans succès: “On ne sait pas!”.
Pour les maisons d’assistance maternelle, les “MAM” -sorte de crèches individualisées directement concernées normalement elles aussi- même indifférence. “Quand j’ai fait remonter à la PMI si nous devions fermer ou pas, on m’a dit qu’on ne savait pas. C’est comme si nous n’existions pas!”, déplore au HuffPost, Hayet Travbelsi, assistante maternelle et responsable syndicale à l’UNSA. D’un département à l’autre, d’une PMI à l’autre, les consignes diffèrent. “Un coup on pouvait rester ouverts, un coup, non.”
Double peine
Pendant le confinement, Élisa a, elle, gardé plusieurs enfants après que le département l’y a autorisée. “Des périscolaires”. Habituellement, elle les garde le matin, à la pause déjeuner et le soir après l’école. “Là ça pouvait être toute la journée.” Sans directive, elle passe le confinement, stressée, avec son asthme, en continuant de travailler. Puis le déconfinement a amené tout d’un coup son lot de directives. De la plus évidente à la plus compliquée. “Se laver les mains après chaque change...On nous prend pour des imbéciles. C’est la base de l’hygiène dans notre métier”. Ou à l’inverse, le mètre de distance: “On travaille avec des bébés...Il faudrait alors leur donner leur biberon au bout d’une perche?”, s’agace Élisa face à des directives ministérielles inadaptées à la réalité de son activité
Désinfection permanente de tout, lavages de mains...La vie d’Élisa post-confinement ressemble à un grand ménage et les journées s’allongent jusqu’à 22h. “C’était très stressant cette période, on se demandait toujours si on faisait bien!”
Pas de reconnaissance
Pour tout le travail, le matériel en plus et les risques pris, la chute est lourde: les assistantes maternelles n’auront pas de prime. Les “MAM”, quelques euros par tête et par jour, tout au plus. Dans ces dernières, les “assmat” doivent payer le loyer de la maison d’accueil alors qu’elles n’ont quasiment pas reçu d’enfants. “De nombreuses MAM sont désormais contraintes de fermer, faute de possibilité de payer le loyer avec le peu d’argent gagné pendant toute cette période”, s’inquiète sérieusement Hayet Travbelsi.
“Un simple merci de la part de l’État, ça aurait suffi”, finit par concéder Élisa, “on n’existe pas en fait”. À 20h pendant le confinement, elle entendait les applaudissements pour les soignants. “Est-ce que quelqu’un s’est dit ‘Tiens et les assistantes maternelles? On pourrait les applaudir?’ Personne”.
Cette indifférence ne date pas de la crise sanitaire.”Ça fait des années” qu’Élisa et les syndicats ont l’impression de parler dans le désert.
Métier féminin, métier cliché
Il faut dire que le métier a la vie dure. Entre les médias qui ne parlent des assistantes maternelles que lorsqu’un drame se produit et les clichés qui circulent, les assistantes maternelles peinent à être prises au sérieux. “On pense qu’une assmat reste dans son canapé à regarder la télé. À ces gens qui pensent ça, je les invite à venir pousser la porte d’une assistante maternelle. Le canapé on ne le voit pas beaucoup, la télé est éteinte [...] Vos enfants nous demandent beaucoup plus d’attention que les nôtres”, prévient Élisa.
Dans leur rapport, François Ruffin et Bruno Bonnell ont également pointé le carcan sexiste qui entoure cette activité: s’occuper des enfants, les femmes le font gratuitement depuis des millénaires. Maintenant qu’on les rémunère un petit peu, il ne va pas falloir se plaindre...
Pour vous donner une idée, mon mari s’est amusé à calculer mon salaire si on avait le même tarif horaire: c’est simple, je gagnerais plus de 3000 euros par mois..."
Avec une rémunération minimale qui ne dépasse pas les quatre euros de l’heure, et des semaines chargées en nombre d’heures et surtout très variables d’un enfant à l’autre, certaines assistantes maternelles méritent une revalorisation de leur métier. D’une zone à l’autre, les salaires varient beaucoup, les contrats sont plus durs à trouver et la rémunération n’est pas la même pour tous les enfants. “On a plusieurs casquettes, on est aussi infirmière, éducatrice, cuisinière, psychologue, on va pouvoir conseiller les parents, apporter un suivi individualisé de l’enfant” etc. raconte Élisa “J’adore mon métier [...] mais pour vous donner une idée, mon mari s’est amusé à calculer mon salaire si on avait le même salaire horaire: c’est simple, je gagnerais plus de 3000 euros par mois...”
“Le salaire final de l’assistante maternelle dépend du nombre d’enfants en garde”, nous explique l’entourage de François Ruffin. “L’objectif pour nous, c’est qu’à la fin du mois, elles aient au moins un SMIC mensuel. Aujourd’hui, elles sont payées 0,28 du SMIC par enfant, à minima. L’idée est de leur mettre un minimum à 0,33 du SMIC.” Mais là aussi, la reconnaissance pourrait encore pécher un peu selon les zones, les types de contrat et encore plein d’autres paramètres.
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