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Le bras de fer se durcit entre les publicitaires et les écologistes

La pression s'accroît entre le secteur de la communication, fragilisé par le coronavirus et les associations de lutte pour le climat, qui prônent la déconsommation. Vendredi, le député écologiste Matthieu Orphelin a déposé une proposition de loi intégrant la régulation de la publicité digitale.

La pression monte entre les professionnels de la publicité et les mouvements écologistes et consommateurs.
La pression monte entre les professionnels de la publicité et les mouvements écologistes et consommateurs. (Frederic Scheiber/SIPA)

Par Véronique Richebois

Publié le 11 juil. 2020 à 10:00Mis à jour le 13 juil. 2020 à 15:43

Alors que s'amorcent les Etats Généraux de la Publicité, le torchon brûle entre les professionnels du secteur et les mouvements écologistes et consommateurs. Depuis deux mois, ceux-ci exigent une régulation plus stricte de la publicité pour l'adapter aux enjeux climatiques. La pression s'est encore accentuée avec le dépôt, vendredi matin, de la proposition de loi de Matthieu Orphelin, président du groupe Ecologie démocratie solidarité à l'Assemblée Nationale.

Martelant les arguments déjà repris depuis deux mois par les associations, sa proposition ouvre en revanche un nouveau champ en proposant de s'appliquer « pleinement au numérique » , qui pèse déjà plus de 40 % du total de la publicité en France. La mention « En avez-vous vraiment besoin ? », visant à lutter contre la surconsommation, serait ainsi rendue indispensable avant le paiement de tout achat de produits sur internet.

Autre point de rupture radical, le renforcement des prérogatives des élus locaux, offrant la possibilité aux maires d'interdire toute publicité sur le territoire de leur commune.

Pour le reste, le texte du député s'appuie sur les travaux de la Convention Citoyenne sur le Climat . Si ses conclusions étaient adoptées, toute campagne en faveur des énergies fossiles et de tout véhicule aérien, routier ou maritime fonctionnant aux énergies fossiles se verrait interdite. De même que l'affichage extérieur dans l'espace public.

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«Silence assourdissant de la profession»

De quoi faire bondir les instances professionnelles du secteur - l'AACC, l'Union des Marques (UDM), l'Udecam, l'Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité (ARPP) - dont aucune n'a été consultée par la Convention Citoyenne. Président de l'ARPP, Stéphane Martin juge : « Il y a un déficit de démocratie dans ce refus. De façon plus globale, on a l'impression de deux mondes parallèles qui s'ignorent. » Toute possibilité de mettre en avant la transition écologique déjà entamée par les marques est niée, selon lui. «Surtout, reprend-t-il, on constate une inculture de l'économie qui va de pair avec une forme d'angélisme. Personne ne relie le financement des chaînes TV gratuites avec la publicité. On diabolise la production, la consommation, la logique de la demande...tout en réclamant des hôpitaux, des écoles et des autoroutes.»

Zysla Belliat, dirigeante du cabinet conseil média MMZ COnseil et par ailleurs présidente d'honneur de l'IREP, se situe sur la même ligne : «Je suis sidérée par le refus de la Convention Citoyenne, comme par le silence assourdissant de la profession.» Un bon connaisseur du marché glisse : «Les professionnels de l'industrie ne s'attendaient pas à ce que le sujet prennent une telle ampleur.»

La proposition de loi s'inscrit également dans la droite ligne de deux rapports rendus en juin 2020, cités en références. Le rapport « Big Corpo » du SPIM (système publicitaire et influence des multinationales) et « Pour une loi Evin Climat » : interdire la publicité des industries fossiles » porté par un ensemble d'ONG, dont Greenpeace.

En revanche, aucune mention n'est faite du rapport analysant l'impact de la publicité sur le climat et la biodiversité, remis au gouvernement en juin, par Thierry Libaert, conseiller économique au Comité économique et social européen et Géraud Guibert, conseiller à la Cour des Comptes. Il plaide, via 23 mesures « pour une 'soft- law' et une autorégulation ». « Nous demandons à la profession de jouer le jeu et nous pensons qu'elle a intérêt à le faire », résume Thierry Libaert, qui estime la proposition de loi de Matthieu Orphelin « ultra-radicale mais ayant le mérite d'organiser un débat législatif sur le sujet ». Tout en prévenant par avance : «Il faut lever les freins et les réticences au sein du secteur de la communication. A défaut d'une mobilisation réelle, les évolutions risquent fort d'être imposées par les pouvoirs publics. Et dans cette hypothèse, les mesures seront vraisemblablement très contraignantes.»

5,1 milliards d'euros pour l'automobile, l'aérien et le gaz

Un nouveau défi pour le secteur publicitaire, à côté de la domination des plateformes, les contraintes imposées par le RGPD et la nécessité de démontrer sa « brand utility » ?

Certainement, ne serait-ce qu'en raison des montants concernés. A eux seuls, les investissements bruts des secteurs automobile, aérien et pétrolier réalisés en 2019 sont estimés à 5,1 milliards d'euros bruts, selon Kantar - AdExpress.

Plus précisément, l'automobile pèse 4,3 milliards d'euros, dont PSA Peugeot - Citroën génère l'essentiel avec 1,651 milliard d'euros. A côté, les dépenses du secteur aérien font presque pâle figure avec 126,9 millions d'euros, loin derrière les 668,1 millions d'euros bruts d'investissements du secteur des énergies fossiles.

Surtout, les discussions actuelles embrassent des enjeux politiques et idéologiques plus vastes. Là où le projet de « Loi Evin Climat » prône un modèle de décroissance et de déconsommation… les Etats Généraux de la Publicité militent pour une relance de l'économie portée par la demande et le redémarrage des dépenses de communication. Deux propositions contradictoires et deux mondes parallèles, encore une fois.

Véronique Richebois

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