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Rendez-vous de l’éducation inclusive – Recherches et école inclusive : que peut-on en dire ?

Tous les mois, découvrez un article sur la thématique de l’inclusion scolaire.

Marie Toullec-Théry, MCF, CREN, Université de Nantes/Inspé de l’académie de Nantes

marie.toullec@univ-nantes.fr

Inclusion, d’où vient ce concept ?

Un long parcours

Au XIXème siècle, ce sont surtout des médecins et psychologues qui mènent des recherches sur ceux alors nommés débiles, arriérés, anormaux. Binet et Simon proposent ainsi, en 1905, la première échelle métrique d’intelligence et forgent des catégories selon les quotients intellectuels des individus. Canguilhem (1966), dans son ouvrage « Le normal et le pathologique », ouvre la voie à un rapport renouvelé à la norme. Dès les années 70, se succèdent des déclarations internationales, résolutions, chartes, conventions, programmes, recommandations, souvent pilotés par Les Nations Unies ou l’UNESCO, pour accélérer le processus d’accueil de tous les élèves à l’école.

En France, plusieurs lois avant de faire advenir le terme d’inclusion : un passage du handicap au besoin particulier

En France, c’est la loi 75-534 du 30 juin 1975 d’orientation en faveur des personnes handicapées qui esquisse un premier passage de la ségrégation (des lieux dédiés aux seuls « handicapés ») à l’intégration. Il s’agit alors pour tout enfant handicapé de montrer qu’il lui est possible de s’insérer dans les lieux. En 1994, sur le plan international, le virage inclusif est ensuite insufflé par la déclaration de Salamanque (Unesco) qui formule des orientations pour passer de l’éducation traditionnelle dite  » spéciale « , destinée aux élèves déficients, à une éducation  » inclusive  » pour des enfants avec des  » besoins éducatifs particuliers [1]  » (expression issue de special educational needs, proposée par le rapport ministériel Warnock (1978) en Grande Bretagne). Il faudra pourtant patienter ces notions adviennent dans les textes en France.  

La Loi du 11 février 2005 « pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées » définit le handicap, non plus comme un état permanent de la personne, mais dans un rapport évolutif de cette personne à son environnement [2]. Cette loi inscrit alors trois dimensions cruciales : la non-discrimination (tout enfant porteur de handicap le droit d’être inscrit en milieu ordinaire), l’accessibilité (qui revient dans un premier temps à rendre accessibles bâtiments et transports) et la compensation (en réponse aux besoins en aide humaine, technique ou animalière).

Le terme inclusion est posé dans la loi de refondation de l’école du 8 juillet 2013: « Le service public reconnait que tous les enfants partagent la capacité d’apprendre et de progresser. Il veille à l’inclusion scolaire de tous les enfants, sans distinction » (2013). C’est l’accessibilité des apprentissages qui est prônée.  La récente loi pour une École de la confiance promulguée en 2019 poursuit cette dynamique inclusive et crée un service public de l’École inclusive (pour l’évolution des concepts, voir l’article de Gombert & Feuilladieu « Enseigner au temps de l’Education inclusive » qui sera mis en ligne en septembre 2020 sur le site internet du Réseau des INSPÉ).

Depuis quand les chercheurs en sciences de l’éducation s’intéressent-ils à la thématique de l’inclusion scolaire ?

En France, des chercheurs comme Chauvière, Gardou, Plaisance [3], Stiker, entre autres, ont d’abord initié, dès les années 90, des recherches sur le handicap, dans ses dimensions sociétale et scolaire. Deux revues scientifiques comme la Nouvelle Revue de l’adaptation et de la scolarisation [4] (1998) et ALTER- European Journal of Disability Research (2007), ont vu le jour, attestant d’une dynamique de recherche spécifique dans ce champ. Elles continuent aujourd’hui à documenter et éclairer, les évolutions historiques, politiques, philosophiques, éthiques, psychologiques et plus récemment didactiques.

Des influences nord-américaines

Influencé par les politiques inclusives québécoises, Thomazet (2006) publie ainsi un article inaugural intitulé « de l’intégration à l’inclusion, une nouvelle étape dans l’ouverture de l’école aux différences » qui pose les bases d’une transformation inclusive de l’école en France. En 2010, la création d’un laboratoire international sur l’inclusion scolaire cimente cette collaboration avec le Québec : le LISIS est le fruit d’une collaboration entre la Haute école pédagogique du canton de Vaud et l’Université du Québec à Trois-Rivières. Dans ces mêmes années, l’observatoire des pratiques sur le handicap (Ophris) qui regroupe des chercheurs de différents laboratoires (initialement issus de l’université d’Aix-Marseille, l’INSHEA à Suresnes et l’IFE à Lyon) s’est saisi de la scolarisation des élèves en situation de handicap, du point de vue de l’accessibilité des savoirs.

Ce mouvement inclusif a abouti récemment (2016) à la création d’une chaire Accessibilité au CNAM, dont Ebersold est titulaire. Une autre institution de renom, l’Ecole des Hautes études en Sciences Sociales (EHESS) propose, depuis 2018, un séminaire intitulé « L’inclusion scolaire dans tous ses états », sous la responsabilité de Isabelle Ville. Les instituts de formation des enseignants (Inspé) et particulièrement ceux qui pilotent les parcours de spécialisation des enseignants, sont des lieux de recherches, se sont fédérés dans un collectif national de formateurs et de chercheurs à l’éducation inclusive, adossé au réseau R-INSPé. Si l’Inshea détenait le cœur historique [5] de ces recherches, des laboratoires de recherches, au sein des universités, fédèrent aujourd’hui de nombreux projets scientifiques sur l’éducation et l’école inclusive dans des dimensions souvent inter ou pluridiciplinaires.

Toute cette dynamique occasionne une accélération des publications scientifiques (ouvrages, articles, synthèses) sur la thématique de l’école inclusive et de l’accessibilité. Signalons, pour preuve de l’importance que prend cette thématique de recherche, et à titre d’exemple, deux numéros spéciaux tout juste publiés (2020) dans deux revues françaises aux dimensions internationales Education et société et Empan, mais aussi un dossier de veille de l’ens-Ifé (Reverdy, 2019).

Existe-t-il un terrain d’enquête spécifique à ce champ de recherche ?

L’éducation et l’école inclusives sont un champ de recherche et des disciplines diverses s’en sont saisi. Si initialement le médical et le psychologique remportaient la mise, avec des recherches centrées sur les pathologies, les déficiences, les handicaps, aujourd’hui la question de l’environnement de la personne devient centrale (d’où la notion de situation de handicap et d’accessibilité). Toutefois un problème subsiste, consolidé par les dimensions prescriptives. L’expression « école inclusive » reste en effet encore trop souvent synonyme de « situations de handicap » (voire même de « handicap ») et la notion plus large de « besoin éducatif particulier » peine à s’implanter. Si l’école est le produit d’une histoire où il est difficile de se départir des manières de penser le monde (l’école s’est en effet construite sur des bases de ségrégation des publics), un consensus sur les concepts est crucial. Le concept d’accessibilité serait alors un bon candidat, où il s’agirait de saisir et d’interpréter cet objet, au prisme de cadres théoriques, relevant d’épistémologies diverses. Voici quelques exemples d’articles qui se saisissent du concept d’« accessibilité » :

Des travaux conceptuels, centrés en sciences de l’éducation et en sociologie

  • Ebersold, S. (dir.). (2020) Scolarisation et différences : l’accessibilité. Éducation et sociétés, 44.
  • Benoit, H. (2019). Société inclusive et accessibilité universelle : de la « handicapisation » à la situation capacitante.
  • Zaffran, J. (2015). Accessibilité et handicap – Anciennes pratiques, nouvel enjeu. Grenoble : presses universitaires

Des travaux centrés sur les pratiques effectives et l’opérationnalisation des actions professorales ou des gestes professionnels, en sciences de l’éducation, psychologie et didactique

  • Gombert A. et Million-Fauré, K. (2020). Rendre accessible une situation d’apprentissage : le cas d’une élève présentant des besoins particuliers en mathématiques. Ressources, 22, 50-63.
  • Suau G. , Assude, T.  (2016). Pratiques inclusives en milieu ordinaire : accessibilité didactique et régulations. Carrefours de l’éducation. 42, 155-169.
  • Toullec-Théry, M. (2012). L’AVS, un moyen de compensation des conséquences du handicap ou d’accessibilité des situations d’apprentissage ? Eduquer-Former, 44, 43-69.

C’est dans la confrontation des résultats issus de disciplines différentes que la science avance, via l’inter compréhension des enjeux et la manière dont les personnes, les professionnels agissent.

Si les champs scientifiques sont hétérogènes, leurs méthodologies le sont tout autant.

Les méthodologies de terrain liées au champ inclusif sont-elles différentes ?

La diversité et la complexité du monde éducatif et scolaire, mais aussi l’histoire entre les disciplines scientifiques provoquent des terrains et des méthodologies de recherche pluriels. Les investigations nécessitent pour certains l’étude de documents (prescriptions, littérature, ..), d’autres mettent en œuvre des expérimentations auprès des élèves, d’autres construisent des questionnaires à l’adresse des acteurs étudiés et/ou font des interviews, d’autres encore s’immergent dans le terrain (observations et/ou films des pratiques). Certaines études travaillent sur de larges cohortes, selon des temporalités diverses, ou alors travaillent à des études de cas.

Cet éventail de recherches en éducation est à la fois un atout parce peut mener à une coopération de collectifs divers, mais aussi un obstacle parce qu’il mène à des querelles scientifiques. Les deux grands types de preuves, à savoir les « preuves fondées sur la pratique » (practice-based evidence) ou preuves anthropologiques (Sensevy et al.) et les « pratiques fondées sur les preuves » (evidence-based practice) ou preuves statistiques ne font ainsi pas toujours bon ménage. Si la controverse est cruciale en recherche, les batailles minorant la dignité scientifique (Ibid.) de certaines freinent voire empêchent des contributions collectives [6]. L’étude du contexte spécifique de la classe in vivo ne peut être éludé (Toullec-Théry, 2017).

Quelle est généralement la relation aux sujets enquêtés ?

La nature des objets d’étude a une incidence sur la relation aux sujets. Les relations des chercheurs avec les acteurs de leur enquête, dans une recherche en didactique, ne seront ainsi pas, par exemple, les mêmes qu’en neurosciences ou encore qu’en histoire de l’éducation. Il y a en effet des recherches « sur », mais aussi des recherches « avec » les acteurs (Desgagnés et Bednarz, 2005). Le premier (recherche « sur ») coïncide avec un mouvement applicationniste en éducation, fondé sur une traduction-interprétation de résultats probants de recherches expérimentales, ensuite implémentés à l’école. Le second mouvement (recherches « avec ») étudie les pratiques et nécessite d’aller au plus près de l’action, de ce qui se fait pour trouver des leviers de transformation des pratiques (d’amélioration des pratiques selon Bryk, 2017). Dans ce second mouvement, des ingénieries didactiques coopératives (Sensevy, 2011, Sensevy et al., 2013; Perraud, 2018) représentent des espaces où il s’agit d’ériger un collectif de travail rassemblant chercheurs et professionnels dans un principe de symétrie où chacun assume sa place de connaisseur. Il s’agit ainsi de mieux comprendre, en situation, ce qui met certains élèves « hors-jeu » : c’est un fort enjeu politique de l’école inclusive qui pourrait mener à des transformations de la forme scolaire.

 

Quelques références bibliographiques

Notes de bas de page

  • [1] La notion de besoin apparaît qui ne prend plus le trouble ou la pathologie comme fondement.
  • [2] Le handicap est défini comme « toute limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d’une altération substantielle, durable ou définitive d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d’un polyhandicap ou d’un trouble de santé invalidant ».
  • [3] Ainsi Chauvière, M. et Plaisance, E. (2000). L’école face aux handicaps. Éducation spéciale ou éducation intégrative. Paris : PUF.
  • [4] En 1998, au CNEFEI, devenu depuis INSHEA, est créée La nouvelle revue de l’adaptation et de la scolarisation, devenue depuis La nouvelle revue – Éducation et société inclusives. D’abord d’interface, elle a été classée par l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur. Hervé Benoit, rédacteur en chef est spécialiste des questions d’inclusion.
  • [5] L’INSHEA a une unité de recherche, le Groupe de recherche sur le handicap, l’accessibilité, les pratiques éducatives et scolaires (Grhapes), labellisé comme équipe d’accueil (EA 7287) par la DGESIP en octobre 2012 et rattaché à l’École doctorale Connaissance, Langage, Modélisation (ED 139) de l’Université Paris Nanterre dès 2013.
  • [6] Ainsi le Conseil scientifique externe (CSE), dans sa brochure « recommandations pendant et après le confinement », (2020) écrit : « « Seule l’expérimentation contrôlée permet de vérifier qu’un outil pédagogique fonctionne. Or, un nombre encore insuffisant de ressources ont démontré́ leur efficacité́ dans des essais randomisés contrôlés. Dans les années à venir, un gros effort de recherche devrait être mené́ dans ce sens. Le CSEN publiera prochainement des recommandations sur les types de recherche translationnelle qui ont leur place en éducation, les différents niveaux de preuve qu’ils apportent, et leurs enjeux éthiques et pratiques. »

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