Critique

Coaching scolaire : à l’école de l’entreprise

Peur de l’échec, manque de confiance en soi… : l’aide personnalisée aux élèves connaît un boom, explique dans son dernier essai la sociologue Anne-Claudine Oller. La crise sanitaire renforce la tendance.
par Clara Hage
publié le 16 juillet 2020 à 18h41

Alors que le confinement a été l'occasion pour de nombreux parents d'assurer le suivi pédagogique de leurs enfants, certains ont pu réaliser à quel point cette lourde tâche s'accompagne de stress et de crises familiales. Un terreau favorable pour un recours à un coach scolaire, figure intermédiaire entre le psy et le prof, chargé d'aider l'élève à se «réaliser» dans l'école et à trouver son orientation professionnelle. Cette pratique en plein essor est l'objet du livre le Coaching scolaire. Un marché de la réalisation de soi d'Anne-Claudine Oller qui analyse ce nouveau «business», où se reflètent inégalités sociales et pression scolaire, à l'aune des nouveaux enjeux éducatifs.

Dans le sillage des pratiques en entreprise, le coaching scolaire se situe entre cours particuliers et techniques de développement personnel. S’érigeant en experts de l’accompagnement scolaire, ces nouveaux pédagogues sont pour la plupart d’anciens enseignants ou intervenants en entreprise, reconvertis par la promesse d’une ouverture dans le marché très encombré du coaching. A la maison ou dans des instituts, ils reçoivent des élèves en échec scolaire ou en mal de projet d’avenir, et tendent de contrer l’image de gourous qu’on leur accole parfois, en réglementant de plus en plus leur profession. Déjà victime de son succès (depuis 2015, le coaching scolaire a augmenté son chiffre d’affaires de 63 %), cette pratique pourrait gagner des adeptes à la rentrée, alors que la rupture pédagogique liée au confinement fait craindre une rentrée difficile.

Chercheuse et docteure en sociologie, Anne-Claudine Oller situe ce secteur dans un «espace intermédiaire» entre école et famille. Le succès de cette pratique dressée «hors de» et contre l’école s’explique, selon elle, par ses transformations. La compétition scolaire s’est drastiquement accrue et les certifications sont de plus en plus nombreuses. Conséquence : selon un rapport de 2014 de l’Unicef, 45,1 % des élèves répondant à l’enquête ont l’angoisse de ne pas réussir assez bien. Et la situation ne s’est pas arrangée depuis.

En creux, l’essor que connaît le coaching scolaire dessine plus généralement les insuffisances du système scolaire. L’école serait trop impersonnelle dans son rapport à l’élève, pas assez à l’écoute, elle mettrait «dans des cases», ou n’inciterait pas à l’affirmation et l’autonomie.

Pour l'auteure, le problème de l'orientation, largement décrit dans l'ouvrage, est au cœur du développement du secteur. Il constituerait plus de la moitié des raisons invoquées pour suivre un coaching. Pour y répondre, les coachs invitent par exemple les élèves à se projeter dans l'avenir : «En quoi ce choix d'études est cohérent avec ce que tu veux devenir à 40 ans ?» interroge l'un d'eux.

Le coaching développerait des compétences que l'école mépriserait, résumées sous le terme de «soft skill» : la confiance en soi, l'organisation, le dialogue. Autant de compétences jugées indispensables pour s'adapter au monde du travail. Une approche qui coïncide avec la professionnalisation des choix d'orientation introduite par Parcoursup. Devant cette perspective vertigineuse qui consiste à envisager à 18 ans un projet déterminant pour sa vie future, les angoisses ont tendance à augmenter au lycée.

En s'intéressant à une pratique périphérique à l'école, Anne-Claudine Oller l'éclaire «en son centre» : ses injonctions et ses enjeux mais aussi ses inégalités et discriminations. A partir d'entretiens avec les parents d'élèves coachés, on découvre en quoi «l'identité scolaire» se fait de plus en plus via le reflet d'une position sociale. Par exemple, certains parents font appel aux coachs pour éviter que leurs enfants ne se retrouvent à l'université, considérée comme peu élitiste. L'orientation des élèves constitue un enjeu et une inquiétude pour leurs parents, cadres sup pour la plupart, qui voient dans «l'échec» de leurs enfants le risque d'un déclassement social. En cela, le coaching scolaire s'inscrit dans la lignée des stratégies éducatives «d'évitement», à l'instar des contournements de la carte scolaire ou du recours aux établissements d'enseignement privés.
Entre 50 euros et 150 euros la séance, la pratique est loin d'être démocratisée. Par contraste, les «vacances apprenantes», censées remettre à niveau pendant l'été les élèves que le confinement a mis en difficulté, apparaissent comme le «coaching» du pauvre.

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