Céreq Bref, n° 393, Juillet 2020, 4 p.

Quand l'offre de formation de l'Éducation nationale s'adapte aux besoins des territoires

Publié le
23 Juillet 2020

La question de l'adaptation locale des diplômes aux besoins en compétences des entreprises est au cœur des préoccupations des pouvoirs publics. Il existe du côté du ministère de l'Éducation nationale deux formes spécifiques d'adaptation locale de l'offre de formation : les formations complémentaires d'initiatives locales (FCIL) et, plus récemment, la «coloration» des diplômes , selon les termes des acteurs territoriaux du système éducatif. Une étude du Céreq apporte un éclairage sur ces deux modalités, encore peu développées et trop souvent méconnues du grand public.

La recherche d’une meilleure adéquation des diplômes professionnels aux besoins du monde économique constitue un défi lancé aux politiques publiques depuis des décennies en France. La loi du 5 septembre 2018 sur la formation professionnelle, comme la réforme de l’enseignement professionnel, visent à lui donner une nouvelle impulsion. Celle-ci passe par le renforcement du rôle des partenaires sociaux dans les instances de certification, la relance de l’apprentissage et une politique d’orientation valorisant l’enseignement professionnel.

Dans un objectif similaire, le ministère de l’Éducation nationale s’était engagé à créer, à la rentrée 2017, 500 nouvelles formations du CAP au BTS, ciblées en particulier sur les métiers en tension et les métiers d’avenir. Comme le soulignaient alors les décideurs, «la carte des formations de l’enseignement professionnel et son élaboration conjointe avec les Régions, est un élément essentiel pour l’insertion professionnelle : celle-ci doit être adaptée aussi bien aux aspirations et aux projets de nos élèves qu’aux besoins économiques des territoires» ( éditorial du dossier de presse, mars 2017). 

Une étude du Céreq, conduite entre 2017 et 2018, a permis d’analyser les réponses apportées par les rectorats à cette demande d’extension de l’offre de formation aux besoins des territoires (cf. Encadré 1). Il en ressort d’importantes différences de mise en œuvre entre académies, résultant à la fois du contexte local du marché du travail et de contraintes spécifiques au système éducatif. Celles-ci peuvent concerner des besoins de diversification de l’offre, l’ouverture de nouvelles options, l’instauration de nouvelles filières, etc. Le recensement de ces 500 nouvelles formations a surtout été l’occasion de pointer la présence d’un certain nombre d’adaptations locales de l’offre sous forme de formations complémentaires d’initiative locale (FCIL), ou de «coloration» de diplômes.

Les premières s’inscrivent le plus souvent dans la continuité d’une spécialité de diplôme existante pour en enrichir le contenu, en l’absence de diplôme spécifique visant les activités ou compétences ciblées. Les secondes consistent à adapter la formation d’un diplôme spécifique (CAP, bac pro ou BTS) à un champ professionnel particulier, en général concentré sur un territoire donné. Les investigations menées par le Céreq à cette occasion apportent ainsi un éclairage sur ce type de formation. Elles contribuent à nourrir une réflexion toujours active des pouvoirs publics sur le sujet comme en atteste, entre autres, un récent rapport de la délégation sénatoriale aux entreprises. Celui-ci recommande ainsi d’ «encourager le développement d’outils comme la contextualisation des diplômes nationaux, en prévoyant des spécialisations recherchées dans des secteurs qui recrutent.» [1].

Les FCIL, des formations anciennes méconnues du grand public

Créées par un arrêté du 14 février 1985, les FCIL doivent leur origine à la réorganisation des BEP autour d’une vingtaine de spécialités renvoyant à des champs professionnels larges, et non plus à un métier spécifique. Cette réorganisation fait ainsi perdre au BEP son rôle d’insertion immédiate et le transforme peu à peu en un diplôme propédeutique, c’est-à-dire préparant à la poursuite d’études. Les FCIL ont été conçues dès lors comme un dispositif de transition vers la vie active afin de faciliter l’insertion des jeunes diplômés sur le marché local de l’emploi [2]. Elles n’ont pourtant connu jusqu’ici qu’un développement modeste. L’état des lieux exhaustif réalisé auprès de l’ensemble des rectorats en dénombre 158 actives (hors FCIL de préparation aux concours) entre 2016 et 2017. Près des deux tiers de ces FCIL sont de niveau 4, le tiers restant se partageant de façon à peu près égale entre le niveau 3 et le niveau 5. À l’instar des diplômes professionnels, les FCIL visent majoritairement des activités relevant des secteurs du BTP et de l’industrie (53 %). Plus de 80 % de ces formations sont mentionnées à la carte des formations régionales dans le cadre du contrat du plan régional de développement des formations et de l’orientation professionnelles (CPRDFOP). Plus de la moitié ont été créées avant 2015 et une sur quatre date de 2017 (cf. graphique).

Leur mise en œuvre repose sur une implication forte des milieux professionnels (branches ou entreprises) qui interviennent à plusieurs étapes du processus. Ainsi, si l’initiative de la demande de création revient dans 42 % des cas aux établissement scolaires, celle-ci repose très souvent soit sur un partenariat école-entreprise qui existe déjà, soit sur un état des lieux du marché du travail local prenant en compte les besoins en recrutement à venir ou les évolutions technologiques de certains secteurs. Elles peuvent aussi répondre à des finalités propres au système éducatif, comme faciliter les poursuites d’études de certains élèves, ou maintenir dans le système éducatif des élèves en difficultés d’insertion dans l’emploi, jouant à ce titre un rôle de tremplin vers le marché du travail.

La demande de création s’appuie dans les trois quarts des cas sur l’élaboration d’un dossier, apparenté à celui des dossiers d’opportunité dans le cadre des commissions professionnelles consultatives (CPC). Ces dossiers sont le plus souvent instruits par les inspecteurs de l’éducation nationale, secondés par les équipes pédagogiques du domaine professionnel concerné ainsi que par les directeurs délégués à la formation professionnelle et technique (DDFPT). Les professionnels sont moins nombreux à intervenir dans cette étape de l'instruction du dossier (21 %) mais ils émettent un avis écrit et s’engagent, dans près de la moitié des cas, à accueillir des stagiaires dans leur entreprise. Ils participent au processus de recrutement des candidats dans 38 % des cas.

La mise en œuvre rapide des FCIL est possible grâce à une ingénierie de formation relativement souple comparée à celle des diplômes professionnels. Elle nécessite néanmoins une forte motivation des acteurs qui la portent du côté de l’Éducation nationale, y compris des chefs d’établissements, chacun devant assurer une veille permanente sur l’évolution des métiers et entretenir des partenariats pérennes avec les milieux professionnels. Cette veille a lieu notamment à l’occasion de salons professionnels et de visites en entreprise durant la période de stage des élèves.

Les cas étudiés donnent à voir que les FCIL souffrent d’un manque de visibilité auprès des jeunes et de leur famille, ce qui entraîne parfois des difficultés pour remplir les sections de formation. Leur intégration dans un campus des métiers et des qualifications, lorsque cela est possible, pourrait contribuer à mieux les faire connaître.  Pour autant, les FCIL n’ont pas vocation à s’inscrire dans la durée. En effet, les activités et les compétences qu’elles visent finissent peu à peu par être intégrées dans les référentiels des diplômes professionnels rénovés par les CPC. Certaines FCIL peuvent aussi se transformer en mention complémentaire. Elles sont donc amenées à se renouveler à un rythme soutenu.

Par ailleurs, si les formés sont soumis le plus souvent à une procédure de validation des compétences acquises durant leur formation, celle-ci débouche, dans la plupart des cas, sur une simple attestation de formation. Les FCIL restent donc des formations non certifiantes n’ayant pas valeur de reconnaissance nationale, ce qui peut constituer un frein à leur accès pour certains candidats potentiels. À l’inverse, la reconnaissance formelle de la formation peut être un élément de motivation. Elle peut se traduire par l’obtention en parallèle d’un diplôme d’université (DU) si la formation fait l’objet d’un partenariat avec une université, comme dans le cas de la FCIL Interprétation de données digitales. La validation peut aussi prendre la forme d’un certificat de qualification professionnelle (CQP) dans le cadre d’une demande émanant d’une branche professionnelle (FCIL Agent thermal par exemple). Ces certifications offrent ainsi un meilleur signal sur le parcours de formation.

Dans plus de la moitié des cas, la durée de formation des FCIL est comprise entre 500 et 1 000 heures, stage compris, la part de celui-ci devant rester significative. Leur organisation pédagogique s’appuie en grande partie sur des activités en mode projet, qui mobilisent davantage la participation des élèves. Sur ce registre, les FCIL rompent ainsi avec les formes pédagogiques traditionnelles.

Données de cadrage sur les formations complémentaires d'initiative locale (FCIL)

 Données de cadrage sur les formations complémentaires d'initiative locale (FCIL)

Une autre forme d’adaptation locale, la « coloration » des diplômes

La prise en compte des spécificités locales du marché du travail dans l’offre de formation de l’éducation nationale passe aussi par ce que les acteurs territoriaux du système éducatif nomment la « coloration » de diplômes. Celle-ci s’effectue au moyen de trois leviers principaux:
• l’usage de supports pédagogiques prenant appui sur les méthodes et technologies mises en œuvre dans le champ professionnel concerné. C’est le cas par exemple de l’aéronautique dans le bac pro Technicien d’usinage proposé dans un établissement.
• l’ajout d’un ou plusieurs modules de formation spécifiques. Ainsi, un module de deux heures par semaine sur l’activité et l’environnement commercial vient compléter le référentiel de formation d'un CAP Opérateur logistique « coloré » Drive. Ce module apporte des compétences liées à la connaissance des produits et leur commercialisation dans la grande distribution.
• la réalisation de tout ou partie des périodes de formation en milieu professionnel dans le secteur considéré. Ainsi, les élèves issus d'un bac pro Systèmes numériques «coloré» Audiovisuel professionnel effectuent leur stage dans le secteur du spectacle vivant.

En juin 2020, le ministère dénombrait 170 «colorations» de diplômes  dont 136 baccalauréats professionnels, 24 BTS et 10 CAP. Cette «coloration» est le plus souvent portée par le lycée professionnel qui la met en œuvre. Celui-ci s’appuie, comme pour les FCIL, sur une forte mobilisation des personnels académiques (inspecteurs, délégation académique à la formation professionnelle initiale et continue…) et éducatifs (enseignants, DDFPT). Les études de cas ont montré qu’elle renforce l’attractivité du diplôme, ce qui, dans certains cas, répond aux objectifs fixés par les établissements scolaires. Cela nécessite néanmoins que ces derniers rendent cette «coloration» la plus visible possible de façon à guider au mieux le choix d’orientation des élèves.

Contrairement à la FCIL, la «coloration» des diplômes n’est pas perçue par les acteurs du système éducatif comme une spécialisation. Certains inspecteurs généraux considèrent que l’adaptation locale des diplômes ne peut être rendue possible que par l’adoption d’une écriture plus générique des référentiels sur le plan national. Deux conditions semblent ensuite nécessaires. Premièrement, il convient de décliner au plan local les référentiels dans le champ professionnel concerné, en s'appuyant sur un partenariat étroit entre acteurs du système éducatif et représentants des milieux professionnels. Deuxièmement, il s’agit de faire évoluer les pratiques pédagogiques vers plus d’individualisation.

L’exemple du bac pro Technicien d’usinage « coloré » Aéronautique
Sous l’impulsion d’un inspecteur général, le bac pro Technicien d’usinage d'un lycée professionnel a été « coloré » aéronautique dès 2011. L'objectif était de  répondre à une problématique de pénurie de recrutement des élèves du lycée sur ce diplôme. Pourtant, les besoins en main d’œuvre qualifiée dans la production mécanique aéronautique sont récurrents dans la région concernée, qui concentre une partie du secteur aéronautique et notamment un nombre élevé d’entreprises sous-traitantes. Cette « coloration » a aussi pour objectif de fidéliser les jeunes dans leur parcours de formation et de favoriser leur insertion professionnelle. Elle se concrétise par la délivrance d'un label Aéronautique.
L’équipe éducative du lycée a établi un cahier des charges sur la base du recensement des besoins spécifiques des entreprises locales, avec lesquelles un partenariat a été mis en place. Ce cahier des charges spécifie les conditions de délivrance du label « Aéronautique » pour les publics volontaires (scolaire ou en formation continue) s’engageant à le suivre. Ces conditions sont les suivantes : une immersion obligatoire de 14 semaines dans une entreprise du domaine aéronautique dans le cadre des périodes de formation en milieu professionnel (PFMP) pour une bonne acquisition de la culture aéronautique ; un suivi d’une partie de la formation professionnelle en langue anglaise en s’appuyant sur des documentations techniques aéronautiques et l’utilisation des supports pédagogiques issus de l’industrie aéronautique (méthodes et documentations techniques) à hauteur minimale de 60 % ; un rapport d’activités des élèves rendu en fin de terminale rédigé en partie en anglais et utilisant des supports aéronautiques.
Le cahier des charges, validé par le recteur, est revu tous les trois ans pour tenir compte d'éventuelles évolutions. La durée de vie du label est ainsi conditionnée au maintien du partenariat avec les entreprises parties prenantes. Un jury, composé de professionnels du secteur et d’enseignants, propose au recteur, après délibération, de délivrer le label au candidat. Celui-ci prend la forme d’un parchemin signé du chef d’établissement, d’un nom reconnu de la branche aéronautique et du DRH d’un groupe important du secteur partenaire de ce projet.

 

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Pour autant, cette question de l’adéquation entre formation et emploi, autrefois qualifiée «d’introuvable» par des chercheurs du champ [3], est soumise à débat. Cette forme d’adaptation locale des diplômes, en particulier les «colorations»,  suscite en effet quelques interrogations. Comment articuler en effet «coloration» et diplôme national, de façon à ne pas mettre en cause la valeur et la reconnaissance de ces derniers par les conventions collectives ? Les pratiques pédagogiques mises en oeuvre pour ces formations ne risquent-elles pas de rendre les autres formations moins attractives, voire même faire naître un sentiment d'inégalité chez les élèves n'y ayant pas accès ? Quelle sera l'insertion professionnelle directe à l'issue de ces formations et quelle implication les entreprises et les professionnels auront-ils dans ces recrutements ? Enfin, comment faire en sorte que cette adaptation locale puisse par ailleurs garantir le développement de la mobilité professionnelle souhaitée par les branches et les entreprises, qui repose sur une meilleure prise en compte des compétences transversales ?

Ces questions demeurent entières. Pour les pouvoirs publics, un point d’équilibre reste encore à trouver entre, d’un côté, une demande persistante des entreprises en faveur de formations qui assurent à la fois une meilleure professionnalisation et l’intégration des diplômés de la voie professionnelle au système productif, et de l’autre, l’aspiration légitime de poursuite d’études d’une partie de ces mêmes diplômés, notamment ceux issus des baccalauréats professionnels. 

L'étude
Ces résultats sont issus d’une étude réalisée pour le compte de la direction générale de l’enseignement scolaire du ministère de l’Éducation nationale (DGESCO) entre mars 2017 et septembre 2018 dans le cadre de la mise en œuvre du plan « 500 nouvelles formations » lancé par le ministère à la rentrée 2017. Le pilotage de ce dispositif a été assuré par les recteurs sur le plan académique et son suivi organisé par la DGESCO au plan national.
L’étude visait à mieux comprendre les dynamiques à l’œuvre en matière de définition de l’offre de formation à partir de l’analyse quantitative des tableaux de suivi des 500 nouvelles formations comprenant des informations sur les intitulés de diplômes, leur niveau, les publics concernés, les secteurs et métiers visés, leur finalités….
Une première analyse de ces tableaux a montré un recours non négligeable aux formations complémentaires d’initiative locales (FCIL). Il est donc apparu opportun d’élaborer un état des lieux exhaustif de ce type de formations, largement méconnues, sur lesquelles les chercheurs ne s’étaient pas penchés depuis le milieu des années 1990. Pour ce faire, le Céreq a élaboré et piloté une enquête quantitative en ligne auprès des DAFPIC ou DAET de l’ensemble des rectorats sur la base d’un questionnaire construit autour de cinq items : la fiche d’identité de la FCIL, le processus de recrutement, la mise en œuvre de la formation, le processus d’évaluation des candidats, les procédures de validation et de reconduction de la formation.
Le champ de l’enquête a porté sur l’ensemble des FCIL actives entre 2016 et 2017. Le panorama statistique de l’offre de FCIL sur le territoire ainsi produit a été complété par des investigations de terrains exploratoires auprès des personnels de l’Éducation nationale de trois académies (DAFPIC, DAET, inspecteurs, DDFPT). Celles-ci ont également permis de recueillir des données sur une autre forme d’adaptation locale de l’offre de formation repérée dans le cadre des 500 nouvelles formations sous le vocable de « coloration » de diplômes.
DAFPIC     Délégation académique à la formation professionnelle initiale et continue
DAET     Délégation académique aux enseignements techniques
DDFPT     Directeur délégué aux formations professionnelles et technologiques
Nomenclature des niveaux de formation (2019)
  • Niveau 3     • Infra bac (CAP)
  • Niveau 4    • Bac
  • Niveau 5     • Bac+2 (BTS, DUT...)    
  • Niveau 6     • Bac+3 (licence, licence pro)

Citer cette publication

Kogut-Kubiak Françoise, Quand l'offre de formation de l'Éducation nationale s'adapte aux besoins des territoires, Céreq Bref, n° 393, 2020, 4 p. https://www.cereq.fr/quand-loffre-de-formation-de-leducation-nationale-sadapte-aux-besoins-des-territoires