Dévoiler les coulisses de la création, tel est le pari de Plaine d’artistes, une manifestation gratuite organisée jusqu’au 2 août à La Villette. Dernier volet de notre série : le Ballet Preljocaj au travail (5/5).

Qui a dit que le confinement avait amoindri la créativité des artistes ? Angelin Preljocaj – l’une des stars de la scène française de la danse contemporaine, directeur du Pavillon noir, le Centre chorégraphique national d’Aix-en-Provence – vient de prouver, s’il en était besoin, qu’il n’en est rien. En prenant ses quartiers d’été à la Grande Halle de La Villette, le chorégraphe a fait répéter à sa troupe, du 16 au 19 juillet, deux de ses productions, dont la première sera reprise à la rentrée : Winterreise (2019) et Suivront mille ans de calme (2010). Et ce n’est pas tout. En attendant la réouverture du Pavillon noir (prévue le 24 août), il présente, jusqu’au 30 juillet, en plein cœur d’Aix-en-Provence – et en plein air ! – les répétitions de son dernier opus qui sera créé en septembre : Le Lac des cygnes

Ce qui est bien vrai, en revanche, c’est que le confinement, s’il n’a entamé en rien la vitalité du chorégraphe, a eu de sérieux effets sur la condition physique des danseurs. « Pour eux, le confinement a été synonyme de perte musculaire, confirme Youri Aharon Van Den Bosch, adjoint à la direction artistique du Ballet Preljocaj, avant le début de la répétition de Suivront mille ans de calme. C’est peut-être encore plus vrai pour les danseurs de notre compagnie où le travail est très exigeant pour le corps. Mais nous sommes dans une phase de redynamisation ». « À la sortie du confinement, confie-t-il encore au public pendant que les danseurs s’échauffent, nous avons dû mettre en place un protocole de reprise. Mais celui-ci, aussi strict soit-il, fait l’impasse, en raison de la nature même de notre discipline, sur la question de la distanciation. La contrepartie, c’est que nous sommes testés au Covid-19 toutes les semaines ».

La motivation des danseurs est décuplée, tant est grand leur désir de retrouver leur forme d’avant

Motivation, gestes, mouvements

Toutes ces précisions étant apportées, la répétition proprement dite de Suivront mille ans de calme peut commencer. Elle intervient à un moment où l’on sent que la motivation des danseurs est décuplée, tant est grand leur désir de retrouver leur forme d’avant. Et, de fait, on reste stupéfait de voir à quelle vitesse ils mémorisent les mouvements. Les phrases – et les phases – s’enchaînent, combinant subtilement références classiques et clins d’œil contemporains, laissant entrevoir la perspective d’ensemble de la pièce. « On est sur une gestuelle très arrêtée, quelque chose de presque stroboscopique », observe Youri Aharon Van Den Bosch. En effet. La musique, lorsqu’elle est lancée, évoque immédiatement une atmosphère de boîte de nuit, quelque chose de très métallique, aussi.

Preljocaj 2

Pour diriger les danseurs, le fidèle partenaire d’Angelin Preljocaj suit scrupuleusement les notations de l’écriture chorégraphique auxquelles il se fie « comme à une partition ». « On part toujours en diagonale », « tendu, plié, tendu, plié », « le bras passe un peu par derrière », « vous posez la main sur la cuisse et vous passez en-dessous », égrène-t-il, tout en mimant les mouvements afin de mieux guider les interprètes. D’autres fois, il joue la carte de la complicité, évoquant avec humour la longévité de deux danseuses, Margaux Coucharrière, née en 1988, et Nuriya Nagimova, interprète de la pièce lors de sa création, en 1983. « Margaux a dansé le spectacle il y a longtemps, et Nuriya, il y a encore plus longtemps ! » Résultat : la performance de l’une comme de l’autre est splendide. De toutes les manières, son rôle apparaît essentiel lors de la séance de répétitions : c’est lui qui impulse une dynamique aux onze danseurs, impose rythme et cohésion, lui aussi qui rectifie un geste ou un mouvement imparfaits. Les spectateurs prennent conscience que le spectacle ne serait tout simplement pas le même sans la direction qu’il lui imprime.

Le saisissement des spectateurs

Pas un bruit, pas un mouvement du côté du public, comme s’il était hors de question de manquer quoi que ce soit, côté scène. Et quand une spectatrice s’approche pour prendre une photo, le geste, on en jurerait, n’a rien d’un automatisme mais, tout au contraire, du désir de conserver un souvenir de ce moment. Et que dire de cette autre, qui, à peine partie après être restée un long moment, se voit immédiatement remplacée sur une chaise plein centre. « Pas mal, pas mal ! », lance Youri Aharon Van Den Bosch à ses danseurs à l’issue de la performance avec un sens de la litote assez développé. En effet...