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Récit

Pour beaucoup d’étudiants, une rentrée 2020 hors des bancs de la fac

Les universités s’apprêtent à rouvrir leurs portes en septembre, souvent par voie numérique à cause du Covid. Les syndicats et présidents d’établissement redoutent un décrochage massif.
par Paul Ricaud
publié le 2 août 2020 à 19h26

«On se demandait quand l'université allait craquer, ce sera sûrement à la rentrée.» Jérôme Giordano se montre pessimiste pour les prochains mois. Le secrétaire national du SNPTES, syndicat représentatif de l'enseignement supérieur, déplore un manque de moyens et d'encadrement qui dure, malgré l'urgence de la crise sanitaire. Après une fermeture brutale et six mois sans accueillir d'étudiants, les universités s'apprêtent à rouvrir en septembre. Toujours sous la menace du Covid-19, elles devront s'adapter aux règles sanitaires et, pour beaucoup, remplacer l'enseignement sur place par des cours en ligne. Une méthode appliquée cette année dans l'urgence de la fin du deuxième semestre et qui avait posé problème du côté des élèves comme de leurs professeurs. «Le métier d'enseignant est un métier de contact humain, et l'enseignement à distance complique cela», assure le syndicaliste, rattaché à Aix-Marseille.

Les étudiants et leurs professeurs ont déjà dû s’adapter à des outils pédagogiques qu’ils ne maîtrisaient pas toujours, parfois sans accès à Internet ou sans le matériel nécessaire.

«Hybridation des formations»

Une fracture numérique s'est alors dessinée à l'intérieur des universités. Franck Loureiro, secrétaire général adjoint du SGEN-CFDT, décrit des situations tendues à cause de l'enseignement à distance : «On a perdu beaucoup d'étudiants, et pas seulement ceux qui étaient déjà en difficulté. Si ça recommence à la rentrée, on risque une catastrophe !» Comme beaucoup de ses collègues, le responsable de formation à l'université de Poitiers craint une augmentation du nombre d'échecs et de décrochages parmi les étudiants, ce qui représenterait selon lui un «coût social important, car beaucoup de jeunes se retrouveraient au chômage».

A la Sorbonne-Nouvelle, université parisienne de 17 000 étudiants, la rentrée ne se fera pas devant des promotions entières, comme c'est le cas d'habitude. L'administration a fait le choix d'un premier semestre hybride pour plusieurs formations. Dans celles-ci, les élèves alterneront chaque semaine entre les cours à distance et en présentiel. Pour d'autres, tout se fera surtout par Internet, avec des moments de rassemblement obligatoires. «Le but est d'éviter les décrochages, c'est notre plus grande crainte», décrit le président, Jamil Jean-Marc Dakhlia. S'il admet que les cours sur place restent la meilleure option, il affirme vouloir faire au mieux pour garantir une scolarité équilibrée à ses étudiants, le tout «sans moyens supplémentaires de la part de l'Etat».

Sans rallonges budgétaires, les universités comptaient sur un appel à projets du ministère pour obtenir le financement de leurs «classes numériques». Sans projet compétitif et novateur, pas de subvention pour les formations et le matériel. Aix-Marseille par exemple, l'une des plus grandes universités de France avec 80 000 étudiants, n'a pas été lauréate du concours. L'université remporte un autre financement d'1 million d'euros à investir dans «l'hybridation des formations», c'est-à-dire dans des caméras, ordinateurs et micros. La Sorbonne-Nouvelle, en revanche, n'obtiendra rien de cette commission. Son plan pour articuler moyens pédagogiques, techniques et humains devra puiser dans d'autres budgets. «Les financements sont rares, on fait avec. Ou plutôt on fait sans», regrette son président. La crise sanitaire lui avait déjà fait revoir son budget. Il avait attribué 90 % de la contribution de vie étudiante et de campus (CVEC) - 91 euros dont doivent s'acquitter les étudiants à la rentrée universitaire - aux aides à l'équipement pour réduire la fracture numérique entre élèves.

Précarité et isolement

Pour les syndicats, le manque de moyens alloués aux universités n'est pas une surprise, même dans ce contexte particulier. «Cette année encore, on fait les frais d'un sous-investissement chronique de l'Etat», déplore Jérôme Giordano. Depuis quelques années, l'université doit déjà faire face à une augmentation continue du nombre des étudiants du fait de l'évolution démographique. En 2020-2021, elle devra en plus s'adapter aux restrictions sanitaires et à l'arrivée des néobacheliers, exceptionnellement nombreux cette année grâce à l'excellent taux de réussite au diplôme. Si les syndicats comprennent parfois la nécessité d'instaurer des cours à distance, ils craignent une utilisation abusive du procédé. «Pour certains, le numérique permettrait de faire des économies d'échelle. Mais il faut compter le temps et le coût que cela implique d'équiper les salles et de former les enseignants», argumente le secrétaire du SNPTES.

Du côté des étudiants, l'Unef entend aussi prôner un maximum de cours en présentiel : «Il faudrait déjà des bonnes conditions d'enseignement dans les facs, des amphithéâtres pas trop chargés, du savon dans les toilettes…» pointe son vice-président, Majdi Chaarana. Concernant les cours à distance, il insiste sur leurs effets délétères pour les étudiants. La précarité et l'isolement comptaient parmi les premières conséquences du confinement. Les élèves devaient poursuivre leur année universitaire par voie numérique, parfois sans ordinateur. Selon l'Observatoire de la vie étudiante, un tiers d'entre eux ont rencontré des difficultés financières pendant cette période.

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