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Interview

Avocat : «La pratique du métier exige de plus en plus du sur-mesure»

L’avocat Dominique Inchauspé dénonce le «business juridique» pratiqué dans de nombreux cabinets pour générer du chiffre d’affaires, loin de l’ADN de la profession.
par Renaud Lecadre
publié le 26 août 2020 à 20h26

Dominique Inchauspé, avocat pénaliste, est l'auteur de nombreux ouvrages sur la justice, dont l'Erreur judiciaire et l'innocence judiciaire, parus aux PUF en 2010 et 2012. Il réagit à la publication, ce mercredi, du rapport Perben «sur l'avenir de la profession d'avocat» qui pointe des «disparités considérables de revenus» et dénonce la frilosité d'une profession qui n'a pas su aller à la rencontre de «nouveaux marchés».

Que vous inspirent les conclusions du rapport Perben ?

Le rapport pose de bonnes questions, les réponses ne sont pas très originales. La faiblesse de l'aide juridictionnelle [qui permet aux plus démunis de s'offrir les services d'un avocat, ndlr] est une problématique récurrente. A 64 euros de l'heure, c'est ahurissant quand un collaborateur au sein d'un cabinet est facturé 150 !

Il y est beaucoup question d’un marché du droit, d’un business…

Le rapport Perben dit bien que, en France, le droit n'est pas une marchandise, contrairement aux pays anglo-saxons, et qu'au barreau, les valeurs du plus grand nombre sont au dévouement. On le voit surtout avec les petits cabinets. Dans les grosses boutiques, les problématiques sont différentes, car il faut payer des charges fixes considérables, mais c'est aussi un choix. Elles génèrent des chiffres d'affaires énormes et des rémunérations à proportion, mais cela semble coûteux sur le «bien-vivre» au travail, comme le disait le rapport Haeri [remis en 2017 au garde des Sceaux d'alors, Jean-Jacques Urvoas].

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Le vrai métier d’avocat ?

Il consiste à plaider le dossier d’un client à la barre d’un tribunal ou à lui donner un conseil au cabinet. Soit un avocat pour un dossier. En outre, la pratique exige de plus en plus du sur-mesure tant les dossiers sont complexes, les sources du droit variées et les aléas nombreux. Nous ne sommes pas des agents sportifs ou des éleveurs de canards. C’est loin de notre ADN. C’est du business juridique, pas de l’avocature. De nouveaux marchés «traditionnels» s’ouvrent : les affaires à l’étranger, car les avocats français peuvent plaider dans l’Union européenne et en Afrique.

Qu’est-ce qu’un bon avocat ?

Le bon avocat, c’est celui qui conduit une défense pendant des années. Le rapport Perben dit au contraire qu’il faudrait investir d’autres domaines, loin du cadre humaniste originel. Ce n’est plus du droit, juste du business juridique ! De grands cabinets, employant 300 personnes, facturent des honoraires ahurissants.

Vous êtes un avocat à l’ancienne ?

J’ai l’âge d’être conservateur. C’est gênant pour l’objectivité. Ceci posé, le paradoxe est que les nouvelles technologies permettent justement un travail à l’ancienne, chez vous, avec vos dossiers, vos données, en tee-shirt face aux Pyrénées : vous travaillez en profondeur l’affaire sans être dérangé, c’est la clé d’une bonne défense. Et puis, vous remontez plaider ou recevoir des clients mais, même pour cela, la visioconférence n’est pas mal. On ne peut pas couper le contact direct longtemps ni rester en dehors du grand cirque de l’arène judiciaire.

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