A l’époque, le jeune ministre de l’Economie, Emmanuel Macron, avait eu du mal à la faire passer. L’objectif était d’en finir avec le malthusianisme de la profession: le nombre d’offices avait progressé d’à peine 1 % en quinze ans dans un secteur très lucratif – le revenu médian atteignait 13 284 euros net par mois. Mais, pour se défendre, les notaires, aidés par l’agence Havas, avaient sorti l’artillerie lourde : meeting place de la République à Paris, publicités à la télévision, avalanche d’amendements et contre-rapport prévoyant des milliers d’emplois en moins… A l’arrivée, les notaires avaient sauvé leur monopole sur les actes authentiques (achats immobiliers, mariages…). Mais ils n’avaient pu empêcher Bercy de faire sauter certains verrous.
Tout d’abord, le numerus clausus officieux de la profession a volé en éclats. Suivant les recommandations de l’Autorité de la concurrence, l’Etat a imposé l’installation de 1 650 notaires libéraux dans 247 zones considérées comme tendues entre 2016 et 2018. La règle voulait que le premier arrivé soit le premier servi. Mais le Conseil d’Etat craignait des bugs techniques. C’est donc un tirage au sort qui a prévalu, alors que le CSN militait pour un concours. "Cela aurait recréé une barrière à l’entrée", objecte un haut fonctionnaire. Les notaires ont tout de même réussi à faire passer un amendement permettant aux professionnels déjà installés de candidater pour l’ouverture d’un second office dans une autre zone. De quoi fausser le jeu de la concurrence, accuse Vincent Chauveau, un notaire nantais : "Nous n’avons pas les mêmes armes que les grandes études parisiennes, qui ouvrent des bureaux à Bordeaux, Lyon, Nantes." Ces multi-offices concerneraient toutefois moins de 10 % des créations.
Entrants ostracisés
La loi a permis de rajeunir la profession, dont la moyenne d’âge a baissé de deux ans, à 46,8 ans. Et le taux de femmes notaires libérales a grimpé de 11 points, à 43 %. "Le tirage au sort a cassé cette forme de caste sociale qui voulait maintenir une profession fermée", se félicite une jeune notaire occitane, qui a toutefois dû subir l’accueil peu aimable de ses confrères locaux. Dans un rapport fin 2018, la députée Cécile Untermaier faisait état de pratiques contestables de chambres départementales multipliant les contrôles intempestifs. "Mes concurrents viennent m’inspecter, ils peuvent me demander mes comptes, mes clients et tous les actes réalisés, confirme Jean-Charles Persico, qui a créé son office dans le Jura et préside l’association Liberté d’installation des diplômés notaires. J’ai du mal à croire que c’est un hasard si je ne reçois pas de compromis de vente des agences locales."
Malgré l’opposition du CSN, le gouvernement a lancé une seconde vague d’installation de 733 notaires sur 2018-2020. "C’est prématuré, je constate d’ailleurs qu’on est encore loin des objectifs, il y a des renonciations et des dossiers de candidature un peu légers", fait valoir Jean-François Humbert. De fait, seuls 330 offices ont pour l’instant été installés. Mais ce n’est pas faute de candidats. "La chancellerie a eu des difficultés pour traiter les dossiers, s’inquiète Cécile Untermaier. Des notaires tirés au sort au printemps 2019, qui ont déjà pris des locaux, attendent encore leur arrêté de nomination." Début juin, l’Autorité de la concurrence a lancé une consultation publique pour préparer une troisième vague de nominations. Le CSN tente de l’empêcher, arguant du fait qu’un tiers des nouveaux offices auraient fermé ou seraient en difficulté, notamment à cause de la crise sanitaire.
Tarifs défendus
Il livre aussi bataille sur le front des tarifs. Une première baisse de 2,5 % avait été imposée en 2016, avec une clause de revoyure tous les deux ans. Les notaires, qui auraient préféré des délais de cinq ans, ont ensuite obtenu un gel en 2018. Et pour l’échéance de 2020, désormais reportée à 2021, le CSN se félicite que la baisse soit limitée à 1,9 %, précisant que Bercy aurait envisagé une diminution plus importante. En revanche, il a perdu sa bataille contre l’extension des possibilités de ristournes. Elles pourront désormais s’élever à 20 %, au lieu de 10 %, pour des opérations d’au moins 100 000 euros, et non plus 150 000 euros. Une recommandation de longue date de l’Autorité de la concurrence, qui y voit un levier commercial pour les arrivants. "C’est un fantasme d’intellectuels, ils n’auront pas les moyens de les mettre en œuvre", objecte Jean-François Humbert.
Autre mesure dénoncée par le représentant de la profession : le plafonnement des tarifs des petits actes, notamment les ventes immobilières de faible montant. "On me dit que c’est une mesure sociale, mais il faudrait alors que l’Etat et les collectivités baissent aussi les droits de mutation." Enfin, les notaires n’ont guère apprécié la libéralisation des commissions sur les transactions lorsqu’ils font office d’agents immobiliers. Plusieurs professionnels de Franche-Comté ont même été sanctionnés par l’Autorité de la concurrence pour s’être regroupés et avoir mis en place une grille tarifaire occulte. La chambre interdépartementale a aussi écopé d’une amende pour les avoir aidés. "C’est de la lutte politique", s’énerve Jean-François Humbert, qui a toutefois incité les fautifs à transiger avec son ennemie jurée, l’Autorité de la concurrence.