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Reprendre ses études, passeport pour une nouvelle vie

Rompre avec ses habitudes, se reconvertir, compléter sa formation initiale : nombreux sont ceux qui pour cela reprennent des études. Excitant et enrichissant, mais pas si simple. Il faut aménager sa vie personnelle, résoudre l'équation financière et… ne pas se tromper d'objectif. Retour d'expériences.

Reprendre ses études, passeport pour une nouvelle vie
Reprendre ses études, passeport pour une nouvelle vie (©Anaïs Lefebvre pour les Echos Week-End)

Par Jessica Berthereau

Publié le 11 sept. 2020 à 06:00

« Je ne cache pas que j'ai parfois la migraine le soir ! », admet en riant Rémy. Mi-avril, en plein confinement, cet ancien pompier de l'armée de l'air a retrouvé les bancs de l'école, une petite quinzaine d'années après les avoir quittés, pour une formation de six mois en développement web. Des bancs virtuels, l'école O'clock dispensant ses enseignements en ligne. Chaque jour, Rémy se connecte pour cinq heures de cours en direct avant de s'y remettre le soir une fois sa fille de 3 ans couchée, pour deux ou trois heures d'exercices de code. « C'était très intense, cela équivaut à un bac+2 qu'on effectue en six mois. » Lui qui avait « l'impression d'avoir mis son cerveau sur off » lors de ses dernières années dans l'armée l'a bel et bien remis en marche !

D'autres raisons ont motivé son retour aux études : alors qu'il était devenu militaire par vocation, il a fini par ne plus se reconnaître dans les valeurs véhiculées par l'armée et craignait qu'une mutation ne vienne perturber son équilibre familial. « La perte de sens au travail est souvent liée à des facteurs à la fois externes et internes, c'est-à-dire des changements dans l'organisation, mais aussi des évolutions propres à l'individu. On n'a pas le même système de valeurs à 25 ans qu'à 40 ans », explique Elodie Chevallier, chercheuse-consultante sur les problématiques liées au sens au travail. Ses recherches ont montré que la perte de sens est un processus de long terme, avec différentes phases de questionnement et pouvant même se traduire physiquement.

Quand l'ennuie guette

C'est exactement ce qu'a ressenti Valérie* dans son dernier poste. « J'étais tellement démotivée que je n'avais plus d'énergie pour rien », se souvient-elle. « Je m'ennuyais au bureau, la vie en entreprise me pesait et je ne voyais pas l'intérêt de changer de boîte pour faire les mêmes missions », raconte cette juriste qui est retournée à la fac pour préparer le barreau. Pour d'autres, ce n'est pas tant l'ennui au travail ou la perte de sens qui motive une reprise d'études, mais l'envie de se mettre au défi et d'apprendre de nouveau. « J'étais séduite par l'idée de me booster, de sortir du bureau, de rencontrer d'autres personnes et d'apprendre de nouvelles choses », raconte ainsi Pauline, qui a suivi le CESB Management, un double diplôme de l'Ecole supérieure de la banque (CFPB) et de l'Essec.

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Reprendre ses études, passeport pour une nouvelle vie

Reprendre ses études, passeport pour une nouvelle vie©Anaïs Lefebvre pour les Echos Week-End

Qu'il s'agisse de se reconvertir ou de progresser dans son secteur d'activité, redevenir étudiant après plusieurs années dans le monde du travail n'est pas chose aisée.« J'ai trouvé ça extrêmement difficile de reprendre. Cela faisait treize ans que j'avais quitté la fac, en droit c'est un millénaire », plaisante Valérie. « Entre-temps, il y a eu une refonte du droit des contrats, beaucoup de choses ont changé. Je repartais de zéro et ça a été très compliqué de tout réapprendre », détaille-t-elle. « Cela demande beaucoup d'implication », témoigne aussi Pauline. « J'ai commencé ma thèse professionnelle l'été dernier, donc à la plage, je lisais des livres sur mon sujet plutôt que des romans ! Et mes vacances de Noël, je les ai passées à rédiger ma thèse… »

Bien préparer son projet

C'est dans ces « moments où l'on a un peu envie de baisser les bras » que ressort l'importance d'avoir un projet bien ficelé, souligne Pauline, qui exerce dans les ressources humaines pour une grande banque française. « C'est très important de réfléchir en amont à ce que l'on recherche en reprenant des études. Ce projet, c'est un peu le fil rouge auquel on peut se raccrocher lors des passages difficiles », assure-t-elle. Pour elle, il s'agissait d'acquérir une formation bancaire pour pouvoir évoluer vers d'autres postes. « Je vois une différence entre ceux qui ont un projet bien défini, dont la formation est l'une des briques, et ceux qui se sont peut-être un peu précipités et dont le projet est resté flou », a pu observer Elodie Chevallier dans sa pratique de consultante.

Pour Nelly, le projet de bifurquer vers la gastronomie a été longuement mûri. C'est une voie qu'elle voulait emprunter dès le collège avant d'en être dissuadée en raison de ses « bonnes notes ». Après des études à la fac et trois années d'expériences professionnelles décevantes, elle décide de renouer avec ses envies, quitte son emploi et s'inscrit en CAP pâtisserie. « Le monde du travail tel que je l'ai connu m'a beaucoup déçue. Je travaillais énormément sur ordinateur, on faisait plein de réunions où l'on parlait de projets qui ne se concrétisaient jamais. Ce fut un vrai bonheur de me retrouver à parler pâtisserie et à en faire à longueur de journée. J'étais aux anges », témoigne-t-elle au dernier jour de sa formation.

Question d'âge

Valérie a aussi rapidement ressenti les bénéfices d'avoir repris ses études. « Mon énergie est revenue très vite, l'énergie de préparer l'examen du CRFPA mais aussi de faire plein d'autres projets », raconte-t-elle. Ainsi, malgré un premier échec à l'examen en septembre dernier, faute d'avoir eu assez de temps pour se préparer, elle décide de trouver un stage en cabinet d'avocats et de repasser le barreau. « J'étais dans une énergie vraiment positive pour ma recherche de stage, même si une stagiaire de 37 ans, ce n'est pas facile à vendre ! J'ai finalement trouvé facilement et beaucoup d'avocats m'ont rassurée sur le fait que mon âge ne posait pas de problème. »

L'âge peut en effet parfois décourager un retour aux études. « Si j'ai le barreau cette fois-ci, il y a encore un an et demi d'études, donc je ne serais avocate qu'à 39 ans. C'est ce genre de calcul qui m'a bloquée au début mais, finalement, je le vois plutôt comme un avantage. J'aimerais exercer en libéral et cela ne me fait pas du tout peur. Je me sens assez mature pour me mettre à mon compte tout de suite », partage Valérie. De son côté, Nelly a choisi de ne pas retarder le moment de se former de nouveau, profitant de ne pas avoir trop de contraintes financières ou familiales. « Je préférais le faire maintenant à 27 ans que passé 40 ou 50 ans, où je pense que c'est plus compliqué », dit-elle.

Le financement reste délicat

Le principal frein reste financier. « Une reprise d'études coûte cher, bien que la France soit un pays très favorable à ce type de projet grâce à un système d'assurance formation bien développé », souligne Elodie Chevallier. Il existe plusieurs dispositifs (voir ci-dessous) mais encore faut-il pouvoir en bénéficier. « Même avec ces dispositifs, la rémunération peut baisser, il peut y avoir des frais pédagogiques et des frais logistiques », ajoute cette chercheuse. La sociologue Sophie Denave, qui a étudié les reconversions radicales (1), a ainsi montré que les conditions économiques étaient très discriminantes, bien plus que le niveau de motivation. « C'est l'un des grands résultats de l'enquête que d'avoir montré ces fortes inégalités entre les uns et les autres », souligne-t-elle.

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Rémy peut compter sur sa solde tant qu'il est en formation et sur une petite allocation chômage ensuite, s'il ne trouve pas tout de suite du travail dans sa nouvelle branche. « J'ai pris en considération le côté financier en mettant de l'argent de côté. Ainsi, je peux me permettre d'être au chômage quelques mois. Peut-être que je gagnerais moins dans mon nouveau métier mais ce n'est pas grave, l'important est d'être heureux au travail et de faire quelque chose d'utile », estime-t-il. Pauline a quant à elle eu la chance d'être appuyée par son entreprise dans son projet et n'a rien eu à débourser. Elle a mené sa formation sur son temps de travail, au rythme d'une semaine par mois, ce qui était très confortable financièrement bien que compliqué car il a fallu jongler entre travail et études.

Réorganiser sa vie

Pour Valérie, la question financière a été très délicate. Elle a commencé par prendre un congé sans solde avant d'opter pour une rupture conventionnelle mais sans pouvoir toucher le chômage tant qu'elle est étudiante. « Il fallait que je rende mon appart, que je retourne chez mes parents, que je me remette en mode étudiante à 36 ans. Ca a été assez traumatisant de perdre mon indépendance financière, presque humiliant », raconte-t-elle. « Les reconversions professionnelles arrivent généralement autour de 40 ans, un âge où on a un statut, un mode de vie, et remettre tout ça en cause aux yeux de la société est difficile, particulièrement pour les hommes », remarque Margaux Terrou, présidente du cabinet de conseil en égalité professionnelle Her'oes and associates.

Reprendre ses études, passeport pour une nouvelle vie

Reprendre ses études, passeport pour une nouvelle vie©Anaïs Lefebvre pour les Echos Week-End

Outre des conditions économiques adéquates, une reprise d'études nécessite généralement une réorganisation familiale et personnelle. « Les horaires sont différents, on est souvent amené à travailler le soir et le week-end, il peut y avoir des trajets si la formation est éloignée du lieu d'habitation. Il y a tout un aspect organisationnel qu'il ne faut pas négliger », souligne ainsi Elodie Chevallier. C'est l'une des raisons pour lesquelles certains optent pour étudier à distance, à l'image de Rémy. Il s'est félicité d'avoir fait ce choix, au départ pour des raisons familiales et logistiques, lorsqu'il a démarré sa formation… en plein confinement. « C'est très bien tombé. Et même si nous étions tous les trois, avec ma femme et ma fille, à la maison, j'ai pu m'isoler pour travailler », dit-il.

Un temps pour soi

Il est encore trop tôt pour savoir si le confinement, propice à l'introspection, mènera à une hausse des reconversions professionnelles et des reprises d'études. Pendant cette période, un Français sur deux s'est interrogé sur le sens de son travail, voire sur son utilité, selon un sondage YouGov réalisé pour Monster fin avril. « Statistiquement, ce n'est pas dans les périodes de chômage que les gens changent le plus de métier », rappelle Sophie Denave. Les conséquences économiques et sociales de la pandémie pourraient donc freiner ou étouffer dans l'oeuf des aspirations nées pendant le confinement.

La reprise d'études est une expérience un peu à part, un temps dans une vie que l'on se donne et qui nous fait grandir

Pour ceux qui avaient déjà sauté le pas, le bilan est généralement positif. « Ce fut une année à la fois riche et fatigante. Il y avait des matières qui me passionnaient, d'autres moins. J'ai eu beaucoup de travail, beaucoup de stress mais je me suis aussi fait des supers copains car nous avons souvent travaillé en groupe. Au final, c'était une très bonne expérience », relate Pauline. De son côté, Nelly assure avoir « zéro regret ». Elle fait même des envieux parmi ses amis, dont beaucoup traversent des périodes difficiles au travail. « Quand je leur ai annoncé que j'allais faire un CAP en pâtisserie, beaucoup avaient des étoiles dans les yeux », se souvient-elle.

« La reprise d'études est une expérience un peu à part, un temps dans une vie que l'on se donne et qui nous fait grandir », observe Elodie Chevallier, qui intervient dans un master 2 où de nombreux étudiants sont dans cette situation. « Dans leurs mémoires de fin d'année, il y a toujours un petit passage personnel. On y lit que la formation est une pause dans la vie professionnelle, où l'on travaille pour soi : on se nourrit de connaissance, on fait de nouvelles rencontres, on se dépasse », rapporte cette chercheuse-consultante. « En somme, c'est une petite parenthèse ultra-ressourçante. »

Etudier à distance : une méthodologie particulière

Les universités françaises comptent environ 50.000 étudiants à distance. « Nous n'avons pas de statistiques officielles, mais entre la moitié et un tiers de ces étudiants serait en reprise d'études. Le profil type est une personne entre 30 et 40 ans, qui revient aux études dans une optique de reconversion ou de progression dans son parcours professionnel », indique Jean-Marc Meunier, président de la Fédération interuniversitaire de l'enseignement à distance (Fied). « Beaucoup y viennent davantage pour des questions de disponibilité que d'éloignement géographique », précise-t-il. Si c'est plus pratique pour s'organiser, étudier à distance présente des défis. « La principale difficulté qu'évoquent nos étudiants est le sentiment de solitude face à leurs études. Etudier à distance demande une méthodologie spécifique, une certaine proactivité dans la recherche d'interactions et le développement de compétences propres au travail collaboratif en ligne », souligne Jean-Marc Meunier. Des compétences qu'il serait bon, selon lui, de diffuser plus largement pour mieux répondre à l'essor du télétravail.

Deux dispositifs pour financer une reprise d'études

Le Compte personnel de formation (CPF), qui recense les droits acquis tout au long de la vie active (500 euros par année de travail dans la limite de 5.000 euros), peut être utilisé pour suivre une formation, qualifiante ou certifiante, mais aussi pour être accompagné dans une validation des acquis de l'expérience, réaliser un bilan de compétences, créer ou reprendre une entreprise. Le CPF a remplacé le droit individuel à la formation (DIF) et les salariés doivent inscrire les heures acquises au titre du DIF avant le 31 décembre 2020 pour pouvoir les conserver.

Le projet de transition professionnelle (PTP), qui a remplacé le congé individuel de formation (CIF), permet à un salarié de s'absenter de son poste afin de suivre une formation pour se qualifier, évoluer ou se reconvertir. La formation n'a pas besoin d'être en rapport avec l'activité du salarié, mais celui-ci doit demander l'accord de son employeur (qui peut le différer de neuf mois maximum). Le salarié conserve une certaine rémunération tout au long de la formation.

Jessica Berthereau

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