Le livre. Il serait dommage que ce livre pertinent, pugnace et argumenté soit une victime collatérale de la pandémie de Covid-19. Paru avant les vacances d’été, il est en effet passé quasiment inaperçu. Pourtant, le manuscrit achevé avant le début de la crise sanitaire n’en garde pas moins son actualité. Professeur de pharmacologie à l’université de Bordeaux et pionnier en France de l’épidémiopharmacologie, qui analyse les effets des médicaments en population, Bernard Bégaud dénonce la situation d’incurie qui prévaut dans le monde et singulièrement en France en matière de médicament.
Son livre présente à la fois une évaluation du coût de l’usage injustifié ou non conforme des médicaments en France – que l’auteur estime de l’ordre de 10 milliards d’euros par an après un calcul détaillé dans une annexe – et un décryptage de plusieurs crises sanitaires au cours des trente dernières années illustrant la dégradation de la manière dont le médicament et son marché sont régulés en France. Scandale des coupe-faim – dont le Mediator –, campagne de vaccination contre l’hépatite B avec laquelle « la santé publique passe au privé », anxiolytiques et somnifères, fiasco de la nouvelle formule du Lévothyrox… A chaque fois, Bernard Bégaud est mordant mais rappelle à quel point il est difficile et impopulaire, surtout auprès des autorités, de garder une démarche appuyée sur les faits scientifiques.
Au fil des ans, il a fait part aux ministres de la santé de ses calculs sur la gabegie liée aux dépenses non justifiées de médicaments. « Oui, oui, peut-être, mais tout cela me paraît très exagéré ! », s’est-il par exemple entendu répondre par Marisol Touraine. « Cette fin de non-écouter est devenue la réponse constante à une information ou un résultat qui dérange », regrette-t-il.
Une lucidité amère
Sur le sujet toujours brûlant des liens et des conflits d’intérêts, l’auteur relativise la pertinence de la base de données Transparence Santé, « conçue pour être avant tout le confessionnal des “classes moyennes”, des petits péchés. Pour ce qui est important, quand des sommes colossales sont en jeu, il n’y a évidemment plus de contrat, plus de déclaration, cela se “passe ailleurs”. »
Au moment où le prix des futurs médicaments et vaccins contre le SARS-CoV-2 font déjà l’objet de négociations, il est salutaire de lire ce rappel d’une tendance lourde depuis les dix dernières années : « Dans le meilleur des cas (pour la start-up et l’industriel), la molécule convoitée est issue de travaux financés par des universités ou des organismes de recherche, bref par des fonds publics. Ainsi, dans une sorte de parcours circulaire assez cynique, l’Etat – au sens large, c’est-à-dire les citoyens – achète très cher un médicament dont il a, en bonne part, financé l’innovation. » D’autant que Bernard Bégaud rappelle que « le système de fixation du prix des médicaments qui prévaut aujourd’hui est une machine à perdre pour les Etats, une foreuse de trous pour les systèmes de remboursement de soins. » Une lucidité amère mais nécessaire.
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