Pour la première fois de son histoire, l’Ecole nationale de la magistrature (ENM) ne sera pas dirigée par un magistrat. Le ministre de la justice, Eric Dupond-Moretti, a annoncé, lundi 21 septembre, avoir choisi une avocate, Nathalie Roret, l’actuelle vice-bâtonnière du barreau de Paris, pour diriger la prestigieuse école de Bordeaux. C’est également la première femme appelée à la tête de l’ENM, alors que les deux tiers des magistrats sont des femmes.
M. Dupond-Moretti sait bien que son geste ne sera pas interprété comme une volonté d’apaisement dans le contexte actuel. La tension entre le garde des sceaux et la magistrature a grimpé au cours des derniers jours autour de l’enquête disciplinaire demandée par le ministre contre trois magistrats du Parquet national financier dans l’affaire des fadettes. Vendredi, les deux principaux syndicats de magistrats avaient signé une lettre commune adressée au président de la République pour dénoncer dans cette procédure une « atteinte inédite à l’indépendance de la justice » et une « tentative de déstabilisation, menée dans le but de disqualifier le Parquet national financier ».
Pour l’heure, il est difficile de savoir si cette nomination de rupture a été décidée pour les symboles qu’elle véhicule ou si elle est annonciatrice de profonds changements dans la formation des magistrats. Elle constitue, en tout cas, un palier supplémentaire dans le rapport de force que le garde de sceaux, nommé le 6 juillet dans le gouvernement de Jean Castex, entend engager avec la magistrature.
Dans le cadre du bâtonnat qu’elle partage actuellement avec Olivier Cousi, Nathalie Roret, 56 ans, était chargée du barreau pénal. Début 2020, pendant la grève des avocats contre la réforme des retraites, elle a été en première ligne, avec le Conseil national des barreaux, dans les tentatives de dialogue avec le ministère de la justice.
L’ENM régulièrement critiquée par Eric Dupond-Moretti
Associée du bâtonnier Jean-René Farthouat jusqu’à la mort de celui-ci, en janvier, elle est depuis indépendante. Mme Roret s’était spécialisée en droit pénal des affaires, notamment en matière de responsabilité environnementale et sanitaire. Elle est, par ailleurs, spécialiste des modes alternatifs de règlement des différends, comme la médiation, une pratique que le ministère de la justice souhaite développer avec volontarisme depuis de nombreuses années.
« Je mesure l’honneur qui m’est fait, a réagi l’avocate sur son compte Twitter après l’annonce de sa nomination. Je le vis comme une mission majeure dans l’intérêt de la justice et des justiciables, qui permettra de renforcer le lien entre avocats et magistrats. » Il se trouve que, de part et d’autre de la barre, les deux professions de robe ont tendance depuis plusieurs années à s’accuser mutuellement d’une dégradation de leurs relations. L’encombrement des juridictions et les délais des procédures n’y sont forcément pas étrangers.
Il vous reste 61.05% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.