L’enseignement professionnel toujours dévalorisé en France, selon l’OCDE

Thibaut Cojean Publié le
L’enseignement professionnel toujours dévalorisé en France, selon l’OCDE
La voie professionnelle reste dévalorisée dans le système éducatif français. // ©  DEEPOL by plainpicture
Dans son dernier rapport Regard sur l'éducation, l'OCDE dresse un bilan très mitigé concernant les politiques d'éducation en France. L'Organisation choisit de se pencher sur la situation de l'enseignement professionnel en France et relève une filière défavorisée, offrant peu de perspectives et soumise aux inégalités, alors même que le confinement a mis en avant de nombreux métiers issus de cet enseignement.

Carton rouge pour la France ! Le dernier rapport Regards sur l’éducation de l’OCDE, publié début septembre 2020, affiche un bilan assez sombre pour les politiques d’éducation de la France. Dans différents secteurs éducatifs, il pointe du doigt le retard de l’Hexagone, et incite à prendre des mesures importantes pour y remédier.

Pour cette édition, l’OCDE a choisi de faire la lumière, entre autres, sur l’enseignement professionnel. "Il y a eu une prise de conscience, pendant le confinement, que les métiers issus des filières professionnelles étaient en première ligne", explique Eric Charbonnier, analyste à la direction de l’éducation et des compétences de l’OCDE, et co-auteur du rapport.

L'enseignement professionnel parent pauvre en France

Si la part d’élèves du secondaire inscrits dans une filière professionnelle correspond à peu près à la moyenne (39% en France contre 42% dans l’OCDE), le faible développement de l’alternance saute aux yeux. En France, 25% d’entre eux sont en alternance, contre 34% en moyenne dans l'OCDE. La préparation d’un bac professionnel en alternance en France est même très rare (8%), alors qu’elle reste majoritaire en CAP (53%). "En France, il y a une défaillance dans l’apprentissage qui est moins développé que dans les autres pays, alors que les débouchés sont meilleurs après une formation en apprentissage", constate Eric Charbonnier.

Il y a eu une prise de conscience, pendant le confinement, que les métiers issus des filières professionnelles étaient en première ligne (E. Charbonnier, OCDE)

Un autre problème concerne la poursuite d’études après un bac professionnel ou un CAP. "Il y a moins de perspectives d’avenir en France alors qu'en Allemagne, par exemple, on peut aller jusqu’au master après le lycée professionnel", ajoute l'analyste.

Selon lui, "les filières professionnelles ne sont pas suffisamment valorisées en France". L’OCDE fait d'ailleurs le constat d’une "orientation par l’échec : ce sont les élèves en difficultés qui vont dans la voie professionnelle". La revalorisation était pourtant le mot d’ordre du ministère de l’Education nationale lorsqu’il a lancé sa réforme de la voie professionnelle en 2018. "Cette réforme veut renforcer l’apprentissage, ce qui va dans la bonne direction, Mais il faut aussi renforcer l’exigence, notamment en maths et en français", estime Eric Charbonnier.

En plus d’apprendre un métier, ces formations doivent en effet donner aux élèves les atouts pour "être flexibles" et s’adapter à des professions qui vont évoluer. "Il faut vraiment y réfléchir, invite l’analyste, car la crise a montré que l’on a besoin de ces métiers", rappelle l'analyste.

Les inégalités renforcées pendant le confinement

Autre argument pour renforcer la formation professionnelle française : la réduction des inégalités. En l’état actuel, "ce sont souvent les élèves défavorisés" qui suivent ces formations, moins prometteuses pour l’avenir que les filières générales.

Le rapport s’arrête d’ailleurs sur les conditions de l’enseignement à distance observées pendant le confinement. Si la France n’affiche pas un mauvais bilan par rapport à ses voisins (13 semaines de fermeture des établissements contre 14 en moyenne), l’OCDE se montre attentive car "on sait que les crises aggravent les inégalités", rappelle Eric Charbonnier.

Ce sont les élèves en difficulté qui vont dans la voie professionnelle.

Or, "c’est un sujet encore plus important en France car c’est déjà un pays inégalitaire", comme l'a montré le dernier rapport Pisa. L’OCDE rappelle que l’enjeu est de "réduire la fracture sociale et les inégalités aggravées" pendant le confinement, et recommande pour cela de "tirer bénéfice des dispositifs existants, comme les heures personnalisées ou les devoirs faits, et d’adapter la pédagogie aux élèves en difficultés”.

La rémunération des enseignants dans le viseur

Enfin, parmi les autres sujets traités, l’OCDE fait état du grand retard pris par la France dans la rémunération des enseignants. Le constat de l’organisation est sans appel : dans les pays de l'OCDE, "entre 2005 et 2019, les salaires statutaires des enseignants ayant 15 ans d’expérience [...] ont augmenté en moyenne de 5% à 7%. En France, les salaires des enseignants à ces niveaux ont baissé entre 2% et 5%."

Offrir une progression de carrière plus rapide aux jeunes enseignants en augmentant les salaires. En 2e partie de carrière, intervenir sur d'autres leviers tels la mobilité

Au-delà des chiffres, dont il est souvent rappelé qu’ils ne sont pas bons, l’OCDE s’intéresse à la façon dont sont faites les réformes. "On parle toujours d’augmenter tous les enseignants en même temps, observe Eric Charbonnier, ce qui rend très complexe une réforme car on n’aura jamais le budget pour 900.000 personnes." Il recommande de prendre exemple sur d’autres pays et de faire des choix. Rappelant que l’écart de salaire de rémunération entre la France et les autres pays est plus important en début qu’en fin de carrière, il propose par exemple, d’"offrir une progression de carrière plus rapide aux enseignants, et en deuxième partie de carrière, de jouer sur d’autres leviers comme la mobilité".

Plus généralement, l’OCDE considère que "la discussion sur salaire doit être globale, comprenant la formation et le temps de travail devant les élèves. Il faut aider les enseignants à entrer dans le 21e siècle et rendre leur métier attractif."

Thibaut Cojean | Publié le