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L’enquête

Quand le service civique vire au salariat déguisé

L'engouement pour le service civique ne se dément pas à travers les années et le gouvernement vient de lui dédier une part de son plan de relance. Mais ce contrat qui permet à plus de 140.000 jeunes par an de s'engager pour l'intérêt général s'apparente parfois à du salariat déguisé pour des structures à but non lucratif en perpétuel mal de financements.

Après 10 ans d'existence, Le service civique accueille 140.000 jeunes chaque année. Le gouvernement a annoncé un objectif de 100.000 contrats supplémentaires d'ici la fin 2021.
Après 10 ans d'existence, Le service civique accueille 140.000 jeunes chaque année. Le gouvernement a annoncé un objectif de 100.000 contrats supplémentaires d'ici la fin 2021. (NICOLAS MESSYASZ/SIPA)

Par Florent Vairet

Publié le 21 sept. 2020 à 19:12Mis à jour le 24 sept. 2020 à 10:31

« J'ai travaillé parfois jusqu'à 50 heures par semaine ». Pour son service civique, Romain* n'a pas lésiné sur ses efforts, mais beaucoup bosser n'était pas un problème. Le jeune homme de 23 ans a appris à bûcher, que ce soit à Sciences Po, ou dans son apprentissage effectué au sein d'un grand groupe. Son CV est calibré pour mener une brillante carrière dans un groupe du CAC 40, seulement quand vient la fin de sa vie étudiante, Romain sait qu'il ne veut pas travailler pour une grande entreprise. Son envie : découvrir le milieu associatif et retarder par la même occasion son entrée sur le marché du travail, Gen Z oblige. D'une oreille, il s'intéresse alors au service civique, un engagement volontaire de 6 à 12 mois. « J'ai vu à ce moment-là des missions super intéressantes, certaines à l'étranger, et même une qui proposait de participer à une expédition sur les pôles », se rappelle-t-il. Ni une, ni deux, il se plonge dans ce nouveau projet. Après plusieurs entretiens, il décroche un contrat dans une association culturelle.

Un an plus tard et un service civique terminé, son investissement a payé. Cette expérience lui a permis de décrocher un poste de manager - en CDI - dans une association qui lutte contre la précarité. Comme lui, Amandine*, 25 ans, s'est servi du service civique comme d'un tremplin professionnel. Pour elle, ce sera la musique. D'ailleurs, elle n'a pas eu d'autres choix que de passer par ce type de contrat. En mars dernier, là voilà débarquée sur le marché du travail au même moment où les perspectives d'embauche de ce secteur étaient au plus bas. Pire que d'ordinaire, c'est dire. « Plusieurs opportunités d'emploi, de CDI et même de CDD, se sont presque instantanément refermées du fait du confinement »,  raconte-t-elle. Que faire alors quand on a 25 ans et que son rêve de carrière s'évanouit ?

Un service civique ne peut se substituer à un stage ou un emploi

En dépit de quelques offres d'emploi aux salaires alléchants dans d'autres secteurs, elle s'intéresse au service civique. Bingo, son master d'une école de commerce classée dans le top 3 fait mouche et elle intègre un label de musique. Ravie. « J'apprends beaucoup et je participe à toutes les réunions. L'organisation s'est pas mal développée mais n'a pas pu recruter, ma tutrice de service civique me délègue les missions qu'elle n'a plus le temps de faire. Je suis son assistante », se réjouit la jeune diplômée.

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Romain et Amandine ne sont pas les seuls à avoir succombé aux attraits du service civique. 450.000 jeunes ont opté pour ces contrats depuis leur création en 2010, avec une hausse de +52 % entre 2016 et 2019. Un franc succès. Et les principaux concernés semblent satisfaits. 82 % le recommanderaient à un ami, d'après un sondage Ifop publié en 2019.

L'évolution du nombre de contrats signés depuis le lancement du service civique en 2010.

L'évolution du nombre de contrats signés depuis le lancement du service civique en 2010.Service Civique

Delphine a également adoré le sien effectué dans l'enseignement. Plusieurs amis à elle ont d'ailleurs fait le même choix. « Tous disent que c'est généralement beaucoup plus qu'un stage, car il y a vraiment du boulot dans les associations qui n'ont généralement pas d'argent… On est loin d'un emploi fictif, et ça ressemble en fait plutôt à un vrai job ! ». Un constat qui serait réjouissant pour n'importe quel salarié, mais qui interpelle dans le cas du service civique. Ce contrat, financé aux trois quarts par l'Etat, n'est pas censé remplacer un emploi.

Si on nous enlève les services civiques, on ne peut plus fonctionner

Romain, Manager dans une association

Car la réflexion menant à la création du service civique est profondément différente de celle d'un poste de salarié, stagiaire ou même d'un bénévole. Comme le rappelle la plaquette de présentation à l'adresse des candidats : «Les volontaires en service civique interviennent en complément de l'action des salariés - y compris les emplois étudiants - agents publics, stagiaires, sans s'y substituer comme le rappelle expressément l'article L120-1 du Code du service national» .

De leur côté, les actuels ou ex-volontaires sont formels. Dans son service civique, Romain secondait son directeur. « J'étais indispensable pour la structure. » Désormais en responsabilité dans sa nouvelle association qui lutte contre la précarité, il constate l'indispensable rôle joué par les jeunes volontaires. « Si on nous les enlève, on ne peut plus fonctionner », confesse-t-il.

Ce constat se retrouve aussi dans des administrations publiques. Dans l'une des préfectures de la région Sud par exemple, les jeunes en service civique sont en charge de former le public aux démarches en ligne, un travail crucial que les agents d'accueil n'ont pas le temps d'effectuer.

Rémunérés 580 euros par mois (dont seulement 108 euros payés par la structure d'accueil), les services civiques sont une aubaine. « En tant que BAC+5, j'aurais coûté autour de 65.000 euros pour l'employeur, charges patronales comprises, alors que je lui ai coûté environ 1.000 euros sur l'ensemble de mon contrat qui a duré 10 mois », calcule Romain.

La marge d'initiative accordée au volontaire est un élément fondamental du service civique

Contactée par les Echos START, la présidente de l'Agence du service civique se dit très étonnée par ces témoignages. « Le jeune en service civique doit avoir une marge d'initiative dans sa mission », martèle Béatrice Angrand en poste depuis 2019. Elle préfère souligner les autres éléments fondamentaux qui font la spécificité du service : « le jeune doit être accompagné par un tuteur qui est formé à cet effet, c'est une obligation légale. Il doit l'aider à définir son projet d'avenir ; le jeune doit suivre une formation civique et citoyenne. Aussi, il ne peut être recruté sur ses compétences, mais uniquement sur sa motivation ». Si les personnes interrogées dans le cadre de cet article confirment que les premiers points sont respectés, il n'en est rien pour les deux derniers.

La différence entre les objectifs formellement affichés et le terrain ne s'arrête pas là. Béatrice Angrand insiste aussi sur l'absence obligatoire de lien de subordination entre le volontaire et la structure. Mais dans son témoignage, Amandine insiste pour sa part sur le fait qu'elle est explicitement placée sous l'autorité de sa tutrice de service civique. « En tant que quasi-assistante, je ne prends pas d'initiative sur mon poste, je dois toujours en référer à ma tutrice », témoigne-t-elle.

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Amaury qui a réalisé une mission de coopération internationale à Montréal dans le cadre de son service civique ne considérait pas avoir occupé un emploi, mais plutôt un stage. « J'ai parlé à mon tuteur du fait que j'effectuais un véritable travail et il m'a bien dit de faire attention à mes horaires, et m'a répété que j'étais là pour apprendre », témoigne-t-il. Stage ou service civique, ce dilemme ne l'a pas empêché de littéralement « adorer » son service civique. « Il a m'a été bénéfique à la fois sur le plan personnel et professionnel », explique celui qui travaille désormais au service communication de la Commission européenne.

L'illusion de l'absence de subordination

La présidente de l'Agence du service civique rappelle qu'en cas d'abus, les jeunes peuvent simplement envoyer un mail à l'agence qui fera le nécessaire pour rectifier la situation. Mais comme Amaury, aucune des personnes interrogées n'était dans l'optique de se plaindre de sa charge de travail. « J'en suis satisfait car j'ai l'impression de faire partie entièrement de mon organisation », tient à souligner Amandine, avant de nuancer : « même si évidemment le salaire n'est pas au niveau de ce que je pourrais espérer. »

Comment la situation pourrait-elle en être autrement ? Les jeunes découvrent un milieu professionnel dans lequel ils ont pleinement envie de prendre part plutôt que de se sentir complémentaire, voire superflu. De l'autre côté, comment imaginer qu'une entreprise à but non lucratif, souvent en perpétuelle recherche de financements, qui reçoit un jeune (qui dans 43 % des cas a le niveau BAC, et 32 % un niveau de diplôme supérieur) ne profite pas de ce talent pour développer la structure tout en l'intégrant dans l'organigramme. « Quand un jeune diplômé intègre une entreprise, il est évident qu'il va s'inscrire dans une hiérarchie », estime Stéphane Carcillo, chef de la division emploi et revenus à l'Organisation de Coopération et de Développement (OCDE). « Quant à l'absence de subordination, je ne comprends pas la logique : toute structure doit être organisée autour de liens de subordination. »

100.000 services civiques supplémentaires sur 2020 et 2021

Même incompréhension quant à l'absence de critères de compétences du candidat lors du recrutement. Le « match » entre les besoins de la structure accueillante et les candidats paraît incontournable, voire nécessaire. Romain se rappelle avoir passé un entretien pour une mission d'élaboration de partenariat entre une commune française et sénégalaise. « En sortant de l'entretien et alors que j'étais diplômé de Sciences Po, j'étais loin d'être sûr de pouvoir correspondre au poste tellement la mission exigeait de compétences ».

Malgré ces incohérences, faut-il s'indigner que des services civiques se transforment en salariat déguisé ? Pour l'économiste Stéphane Carcillo, le débat est ailleurs. Pour lui, les vraies questions sont de savoir si les tâches effectuées ont un aspect d'intérêt général ou non. A quoi sert le demi-milliard d'euros consacré au service civique : une meilleure insertion professionnelle des jeunes ? Est-ce que ça a changé certaines de leurs valeurs ? Est-ce qu'on sait comment cette expérience est valorisée par les bénéficiaires ? « Malheureusement, il n'existe pas d'études statistiques d'ampleur sur le service civique qui permettrait d'évaluer les objectifs », déplore le chef de la division emploi et revenus à l'OCDE qui plaide pour le développement d'un accompagnement des jeunes en besoin effectués par Pôle emploi et ses opérateurs au sortir du service civique.

De son côté, l'Agence du service civique fait régulièrement des sondages auprès des volontaires. Elle contrôle aussi les entreprises pour s'assurer que le jeune évolue bien dans le cadre imposé par le service civique. Pour 1.036 contrôles effectués en 2018, combien de cas positifs ? La présidente de l'Agence refuse de donner le chiffre exact, se contentant de préciser : « plus de dix ». Elle préfère noter l'engouement récent pour ce contrat. De juin à août 2020, elle dénombre +15 % de nouveaux inscrits sur leur site, comparé à la même année. Voilà qui tombe bien, le plan de relance présenté par le gouvernement prévoit 100.000 services civiques supplémentaires sur 2020 et 2021. « La reconnaissance du succès de ce contrat », préfère conclure Béatrice Angrand.

* Les prénoms ont été modifiés.

À noter

Portrait-robot du jeune en service civique :- 61 % des femmes/39 % des hommes

- 24 % n'ont pas le BAC, 43 % ont juste le niveau BAC, 32 % ont un diplôme de l'enseignement supérieur

- 40 % sont des demandeurs d'emploi, 32 % des étudiants, 24 % des inactifs et 4 % des salariés

Florent Vairet

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