Publicité

Les études des enfants de grandes familles : incarnation de l'iniquité des chances

L'école française est plus inégalitaire que dans la plupart des pays développés, selon l'OCDE. On pourrait égrener une multitude de chiffres attestant du peu de mobilité sociale offerte par notre système éducatif. Une autre piste de démonstration est de s'intéresser aux parcours des progénitures des grandes familles françaises.

Eleves de l'école Polytechnique
Eleves de l'école Polytechnique (jacques witt-pool/REA)

Par Florent Vairet

Publié le 24 sept. 2020 à 18:10

Commençons par un premier exemple : Patrick Drahi, puissant patron d'Altice (SFR, BFMTV, etc.). Il est né dans une famille de la classe moyenne. Ses deux parents étaient professeurs de mathématiques. Le jeune Drahi réussit à intégrer l'Ecole polytechnique et, par-delà, à s'arracher à son milieu en devenant l'une des plus grandes fortunes du pays. L'illustration parfaite de l'ascension républicaine, me direz-vous. Intéressons-nous maintenant à ses bambins. Trois de ses enfants sont passés par l'Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), l'un des meilleurs établissements du monde (14e au classement QS 2020). Le quatrième a seulement fait HEC Lausanne, une très bonne université, mais moins reconnue. De quoi tout de même faire la fierté de leur père.

Pour ne pas être taxé de mauvais joueur en citant un patron de la presse concurrente, étudions le cas de Bernard Arnault (PDG de LVMH, propriétaire des « Echos »). Sur ses cinq enfants, un a intégré le MIT, deux sont polytechniciens… comme lui. A cette lignée de jolis diplômes, il faut ajouter celui du père de Bernard Arnault, qui était, lui, centralien. Centrale Paris, d'où aurait pu être diplômé un autre capitaine d'industrie, Serge Dassault, si ce dernier n'avait pas refusé d'y entrer pour retenter sa chance l'année suivante au concours et décrocher Polytechnique. Pari réussi. Diplôme de l'X en poche, il ajouta celui de l'école Sup'Aéro, qui a formé, avant lui, son père, Marcel Dassault. Parmi les enfants de Serge Dassault, un seul réussit brillamment ses études en intégrant l'Ecole de l'air, l'une des cinq grandes écoles militaires.

Allez, encore un exemple. Avant d'être la brebis galeuse du capitalisme français, Carlos Ghosn, diplômé de l'X et des Mines, fut un brillant papa. Ses quatre enfants ont tous suivi les cours de Stanford.

N'en déduisons pas que ces étudiants sont moins méritants

Publicité

Un tout dernier pour la route ? Jean-Paul Agon, diplômé de HEC, est PDG de L'Oréal depuis quinze ans. Sur ses trois enfants, on compte une diplômée de Sciences Po Paris et un de l'université américaine Johns-Hopkins. Vous me direz, sur trois enfants, ce n'est pas si étonnant que certains réussissent. Une seule question en guise d'objection : sur une fratrie de trois enfants d'une famille de milieu populaire, combien font Sciences Po ou l'X ?

Alors, que prouvent ces exemples ? Il ne faudrait surtout pas tirer de conclusions hâtives qui laisseraient à penser que ces illustres pères ont ouvert les portes des écoles les plus sélectives du monde à leurs enfants. La plupart de ces établissements s'intègrent sur la base de concours, réputés inviolables. Il ne faudrait pas non plus déduire que ces étudiants sont moins méritants. Lesdits concours sont difficiles à obtenir, il faut bûcher pour les réussir, même pour un « fils/fille de ». En revanche, cette énumération donne une idée symbolique de la reproduction sociale à l'oeuvre dans notre pays. Le bagage culturel, académique et financier est un atout incommensurable au moment de passer la barre d'admission de ces grandes écoles. Dans une famille où les parents ont fait des études, connaissent les rouages de l'économie, peuvent financer des conditions confortables d'études, le marchepied est précieux (pour ne pas dire crucial) et explique en grande partie qu'il y ait, à Polytechnique, deux tiers d'enfants de cadres supérieurs contre 1 % d'ouvriers. Selon l'étude Pisa de l'OCDE, les Français dont les parents sont diplômés ont quatorze fois plus de chances d'avoir un diplôme.

Florent Vairet

Publicité