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Critique

Education intelligente et technologies artificielles

En matière d'enseignement, la révolution numérique ne révolutionne, en réalité, pas grand-chose. Bien encadrés, les nouveaux outils technologiques peuvent compléter, sans jamais remplacer.

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(iStock)

Par Julien Damon (sociologue, chroniqueur aux « Echos »)

Publié le 9 oct. 2020 à 11:00

Les techno-prophètes de la Silicon Valley et des plateaux de télévision vendent du rêve ou du cauchemar. C'est selon. Mais, si on prend le cas de l'éducation, ils trompent largement. Leurs utopies sonnent faux. Alors qu'ils devaient disparaître, les manuels scolaires et les amphithéâtres s'utilisent toujours. Aujourd'hui, d'ailleurs, les élèves, confinés derrière leurs écrans pour cause de Covid, regrettent les interactions traditionnelles.

Malaise dans la disruption

Spécialiste des fameux MOOC (« massive open online courses », cours en ligne ouvert aux masses), Justin Reich les étudie depuis des années au MIT. Il revient sur les prophéties excessives en termes de disruption. Le mot, désignant un futur meilleur par rapport à un passé confit, figure dans le lexique à la mode. Douchant l'enthousiasme des promoteurs charismatiques des outils digitaux à l'école, Reich soutient que ces technologies ne sont pas forcément innovantes. Depuis des décennies, on imagine qu'elles pourraient tout changer. En réalité, elles ne sauraient réinventer des siècles de pédagogie.

Pour apprendre à écrire, l'écran ne remplacera jamais le crayon. Par ailleurs, la supposée démocratisation du savoir par l'enseignement en ligne relève du mythe. Notre expert souligne l'effet Matthieu des edtechs . Ces technologies de l'éducation profitent disproportionnellement aux plus favorisés. Plus qu'elles ne la réduisent, elles entretiennent la fracture numérique , en formation initiale comme en formation continue. Reich remémore les prédictions d'un Clayton Christensen, l'un des papes de ladite disruption, qui expliquait, au tournant du millénaire, que la moitié des universités allaient fermer. Dans des niches d'activités, MOOC et compagnie changent un peu la donne. Mais le bouleversement d'ensemble qui était attendu n'a pas eu lieu. Sceptique, Reich ne jette pas le bébé digital avec l'eau du bain éducatif. Les bonnes recettes consistent à intégrer, à la marge, les technologies performantes au sein des vieilles pédagogies qui ont fait leurs preuves (on peut penser au calcul mental, par exemple). Les MOOC sont intéressants dans des cycles supérieurs, en comptabilité ou en informatique.

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Bonne nouvelle pour les enseignants, ce qui compte, ce sont le soutien et le contact humain. Pas la qualité d'un algorithme ou d'une interface. Aussi personnalisés soient les programmes et les capacités d'adaptation, l'éducation demeurera toujours une alchimie en classe. Reich plaide donc pour de l'humilité chez les pédagogues, de l'évaluation des performances éducatives des technologies et moins de grandiloquence dans les annonces faites par tous ceux qui imaginent « disrupter » l'enseignement.

Digérer et contrôler l'IA

Sans compter parmi les oracles de la disruption, Darrell West, directeur du Centre pour l'innovation technologique de la Brookings Institution, estime depuis des années que les nouvelles technologies ouvrent des possibilités non fantasmées de mutations radicales. Il se penche cette fois-ci, avec John Allen, président de la Brookings Institution, sur l'intelligence artificielle (IA), sous quelques coutures (mobilité, santé, défense, éducation). Non pas pour en faire l'annonce initiatique ou apocalyptique, mais pour en évaluer la pertinence et la portée dans la conduite des affaires publiques. Dans le domaine éducatif, elle est généralement parée de toutes les vertus, assurant le savoir encyclopédique pour tous et la formation tout au long de la vie. Technologie multifacette qui a la possibilité de s'adapter, reposant sur l'abondance des données et la puissance des algorithmes, elle promettrait des recrutements optimaux d'enseignants et d'étudiants, l'individualisation des services, l'aide aux élèves en difficulté, la protection contre la violence (nous sommes aux Etats-Unis). Mais pourquoi pas ?

West et Allen analysent les conditions pour de telles réalisations : amélioration de l'accès aux ressources électroniques, augmentation des compétences informatiques basiques, évaluation des algorithmes afin qu'ils ne renforcent pas les disparités qu'ils prétendent gommer. Cependant, le feu d'artifice des innovations et des applications, noyé dans le discours pontifiant des évangélistes de l'IA, ne résout rien des problèmes éducatifs basiques. Le discours sur l'IA enchantée nourrit même maintenant un « techlash » chez les Américains qui se disent à son égard, d'abord, ignorants et méfiants. West et Allen livrent, afin d'être positifs et concrets, un ensemble de propositions sensées : développement de classes inversées (savoirs ingurgités à la maison, discussions en classe), révision de la formation des enseignants , standardisation des systèmes d'information et des bases de données, davantage d'autonomie pour les établissements.

Toutes ces analyses s'avèrent, au final, raisonnablement technophiles. A rebours d'une certaine esbroufe contemporaine, elles rappellent que les technologies, aussi puissantes et nouvelles soient-elles, doivent demeurer au service de la relation éducative humaine.

Julien Damon, chroniqueur aux « Echos », est professeur associé à Sciences Po.

Justin Reich, « Failure to Disrupt. Why Technology Alone Can't Transform Education », Harvard University Press, 2020, 312 pages.

Darrell West, John Allen, « Turning Point. Policymaking in the Era of Artificial Intelligence », Brookings Institution Press, 2020, 277 pages.

Julien Damon

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