Ce patron de cliniques à Amiens a tiré la sonnette d'alarme dès le 26 septembre via un courrier au directeur de l'Agence régionale de santé des Hauts-de-France et à la préfecture de la Somme. « Nous craignons que la deuxième vague soit beaucoup plus difficile à maîtriser que la première , écrit Stéphan de Butler d'Ormond, PDG du groupe de santé Victor Pauchet. Certains personnels, durement éprouvés, envisagent de se désengager de leur vocation en cas de deuxième vague et nous manquons de personnels qualifiés depuis des années. »
La pénurie de soignants est plus que jamais le premier sujet de préoccupation des dirigeants d'hôpitaux et de cliniques. Et l'augmentation de 183 euros net accordée en juillet, que tous les personnels toucheront à partir de mars prochain, ne semble pas suffisante pour changer la donne. Même Martin Hirsch, le directeur général de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris, a dû solennellement appeler ses troupes, le 5 octobre, à renoncer à prendre des congés à la Toussaint.
Avec la deuxième vague de Covid-19, ce n'est pas tant les masques, les surblouses ou les médicaments qui manquent dans les établissements de santé que les médecins, les infirmières et les aides-soignantes. Et pour cause : les unités de réanimation, qui accueillent les malades les plus graves du coronavirus, exigent des effectifs particulièrement nombreux. Il faut compter en moyenne une infirmière pour deux malades en lits de réanimation, contre une infirmière pour dix à quatorze patients dans les autres services. « Les patients en réanimation requièrent des soins permanents et une surveillance continue , confirme Estelle Gajewski, infirmière aux urgences de l'hôpital d'Epernay. Ce sont des services qui ne peuvent pas tourner à plein avec des postes vacants, contrairement à ce qui se pratique parfois ailleurs à l'hôpital. » En outre, la formation d'une infirmière aux métiers de la réanimation prend au moins deux mois et le turn-over est bien plus fort que dans d'autres services.
Durant la première vague, la déprogrammation massive des opérations non urgentes avait permis de réaffecter en catastrophe quelque 2 000 médecins anesthésistes-réanimateurs et 6 000 infirmières vers les services de réanimation. La mise à l'arrêt de pans entiers de l'activité des hôpitaux avait libéré des milliers de lits, salles et respirateurs, habituellement affectés aux blocs opératoires ou aux soins intensifs. Sans oublier l'évacuation en TGV et par avions de 660 malades du Grand Est et d'Ile-de-France vers des régions moins touchées. Au total, ces redéploiements exceptionnels avaient permis à la France d'aligner quelque 10.705 lits de réanimation au pic de la crise sanitaire mi-avril, dont 7 000 occupés par des malades du Covid.
Cette fois, les hôpitaux et cliniques sont censés accueillir les malades du Covid tout en maintenant leurs autres activités. C'est donc avec sa capacité habituelle de 5 000 lits de réanimation que la France aborde la deuxième vague. « Paradoxalement, nous risquons d'avoir moins de moyens hospitaliers à la disposition des malades du Covid en octobre qu'en mars », a justement pointé Philippe Juvin, le chef du service des urgences de l'hôpital Pompidou sur France Inter, le 24 septembre.
Victimes collatérales
Et encore, ces 5 000 lits ne pourront pas être réservés aux seuls malades du coronavirus. « Outre les urgences courantes comme les accidents de la route, il y a de nombreuses opérations de chirurgies cardiaques, de cancers, de greffes ou de neurochirurgies qui nécessitent des passages en lits de réanimation , souligne Jacques Léglise, président de la Fédération des hôpitaux privés à but non lucratif. Or nombre de ces interventions, qui ont été reportées au printemps dernier pour laisser la place aux malades du Covid, sont aujourd'hui devenues urgentes. » En temps normal, environ 85 % des lits de réanimation sont d'ailleurs occupés. Ce qui explique pourquoi le seuil de 30 % de lits de réanimation mobilisés par des malades du Covid par rapport aux capacités habituelles - franchi dès la fin septembre en Provence-Alpes-Côte d'Azur et en Ile-de-France - est déjà considéré comme un seuil d' « alerte maximale » par le ministère de la Santé. « Concrètement, au fur et à mesure que les cas de Covid augmentent dans les services de réanimation, cela déshabille les effectifs des autres services , relève Christophe Prudhomme, médecin urgentiste et responsable de la CGT Santé. Cela oblige les hôpitaux à repousser d'autres activités, de manière plus ou moins assumée, et cela crée des tensions en interne. »Le 1 er octobre, un collectif de médecins s'est même alarmé publiquement de la dégradation de la prise en charge des malades souffrant de cancers, d'insuffisance cardiaque, hépatique, rénale ou pulmonaire. Des victimes collatérales de la crise sanitaire.
« Nous risquons d'avoir moins de moyens pour les malades du Covid-19 en octobre qu'en mars. »
Philippe Juvin, chef du service des urgences de l'hôpital Pompidou, à Paris.
(Thomas Samson/AFP)
La région a déjà dépassé à la fin septembre le seuil d'alerte par rapport aux capacités habituelles d'accueil.
(SOURCES : ARS, INSTITUT PASTEUR (AU 25 SEPTEMBRE))