Anéa a fière allure dans son uniforme d’hôtesse Air France, quand elle arpente les couloirs de l’aéroport Paris-Charles-de-Gaulle, à Roissy. « Pour moi, c’est la consécration d’avoir réussi à intégrer une compagnie aussi prestigieuse », explique cette jeune femme de 24 ans, affectée aux moyen-courriers et qui termine sa qualification en alternance.

Jamais elle n’aurait pu imaginer cela, il y a encore deux ans. Elle était alors agent d’escale avec le seul bac en poche, et son niveau d’anglais était très loin des 720 points sur 990 exigés au test du Toeic pour briguer ce genre de poste.

« J’étais nulle, je n’arrivais pas à me lancer, j’avais peur de faire des erreurs », se souvient cette Réunionnaise installée en région parisienne. C’était avant que la mission locale de Gonesse (Val-d’Oise), à proximité de l’aéroport, ne lui propose de participer au programme Envol Pro, financé par l’Agence Erasmus + France.

Au contact de la clientèle dans un pays étranger

Ce dispositif lui a permis de travailler 35 heures par semaine pendant tout un trimestre à la réception de l’hôtel Regency de Bristol, en Angleterre. Elle a désormais un niveau d’anglais courant (B2) qui lui permet d’envisager une belle carrière. « Pourquoi pas devenir cheffe de cabine, puis cheffe principale ! », rêve-t-elle.

Depuis 2016, plus de 80 jeunes peu qualifiés (du CAP à bac + 2) ont pu, comme Anéa, partir au Royaume-Uni, mais aussi en Irlande, en Espagne ou à Malte. Objectif : acquérir la compétence linguistique qui leur manquait pour travailler dans la zone aéroportuaire de Roissy.

Après un mois de préparation (cours intensifs d’anglais sur quatre jours, sensibilisation à la culture du pays…), les stagiaires sont « lâchés » douze semaines à l’étranger au contact de la clientèle, dans le commerce, un établissement hôtelier ou un restaurant. Ces mobilités à l’étranger sont prises en charge par les fonds européens d’Erasmus +, à raison de 4 000 à 5 000 € par personne.

Très bon taux de retour à l’emploi

Avant le baptême du feu, les candidats au départ passent tous par un comité de sélection composé des partenaires d’un consortium spécialement bâti pour les besoins du projet. On y trouve des représentants des entreprises employeuses, mais aussi de l’agence Pôle emploi de la zone aéroportuaire, qui délivre aux jeunes l’indispensable « attestation d’inscription en stage de formation » (AISF).

À Roissy, le programme « Envol Pro » donne des ailes à la jeunesse

« On ne retient pas ceux qu’on mettrait en difficulté en raison d’un niveau trop faible. Mais lorsque la motivation est là, on peut prescrire une formation intermédiaire en anglais, pour que la personne puisse intégrer plus tard le dispositif », souligne Stéphanie Hullot, responsable du pôle compétence de Paris-Charles-de-Gaulle Alliance.

Avant de partir, les jeunes sont tenus de formuler un projet professionnel en lien avec les métiers dits de l’accueil, dans le secteur aérien, l’hôtellerie-restauration, la vente, ou le tourisme. La formule fait des miracles, avec un taux de retour à l’emploi ou à la formation de 86 %.

Un contrat moral fort avec les entreprises partenaires

L’implication des entreprises y est pour beaucoup. Air France et une dizaine d’autres compagnies aériennes ont signé des lettres d’engagement pour embaucher tous ceux qui atteindraient le niveau requis. Il s’agit là d’un contrat moral indispensable, souligne Thierry L’Aot, responsable développement du département aérien chez AKTO, mandaté avant la crise pour fournir 2 000 personnels par an aux compagnies aériennes. Le secteur a certes été durement frappé, mais les recrutements, liés aux départs en retraite, vont reprendre.

→ À LIRE. Les jeunes Espagnols, champions de la mobilité, le doivent à Erasmus

« Si on ne lie pas directement la formation à l’emploi, on crée du désespoir social sur des territoires fragiles où il y a déjà une perte de confiance dans le système », explique-t-il. Cet expert de la stratégie d’emploi, de formation et de qualification note les bénéfices de l’expérience à l’étranger, outre l’acquisition de compétences linguistiques : « Beaucoup reviennent regonflés à bloc, après trois mois où on ne les a plus regardés comme des jeunes de banlieue au chômage, mais comme des Français qui se réalisent dans un projet. Cela leur fait un bien fou d’être un temps extrait de cette cocotte-minute sociale. Ils relèvent la tête. »

Brian, lui, a trouvé sa vocation un peu par hasard. Orienté par la mission locale de Villepinte (Seine-Saint-Denis), il a été membre de la toute première promotion, en 2016. À 25 ans, il a travaillé à Brighton, dans le sud de l’Angleterre, dans un authentique coffee-shop.

Vice-champion de France de latte art

Là-bas, il a appris les rudiments du latte art, qui consiste à dessiner une rose, un cœur, ou encore un cygne dans le café au lait. « Ça a été une révélation, j’ai travaillé dur, et au final, ça m’a ouvert des portes », raconte le jeune homme qui s’est classé vice-champion de France de la discipline en 2018 et 2019.

Aujourd’hui assistant manager au Starbucks du terminal 2F, il souligne que rien n’aurait été possible sans la maîtrise de l’anglais. « J’étais très mauvais à l’école, je partais de rien. C’était très rassurant pour moi de tout reprendre depuis le début, sans préjugé sur mon niveau. Aujourd’hui, l’anglais est ma langue de travail que j’utilise au quotidien », explique-t-il.

Dans l’aéroport de Roissy, le barista est le seul à porter le tablier noir, parmi les cinq cafés de son enseigne. La marque de son excellence dans la confection, comme dans la dégustation. À son tour de former les jeunes. Il peut espérer bientôt prendre des responsabilités, diriger sa propre équipe, toujours dans la langue de Shakespeare.