C’est la plus grosse académie de France en termes de public accueilli mais d’ordinaire, ce n’est pas vers elle que les regards convergent quand il est question d’incivilités ou d’atteintes à la laïcité. Depuis le 16 octobre, pourtant, les projecteurs sont braqués sur Versailles, son million d’élèves et ses 78 000 enseignants, dont l’un d’eux, Samuel Paty, a été retrouvé décapité à 300 mètres de son établissement. Un collège réputé « sans problème » dans une commune, Conflans-Saint-Honorine (Yvelines), elle aussi « sans problème ».
Y a-t-il eu des signes avants-coureurs ? A l’échelle de l’académie, les signalements sont réguliers : Versailles figure, avec Créteil, Grenoble, la Normandie, Toulouse et Nice, parmi les six académies rassemblant plus de la moitié (53 %) des 935 atteintes à la laïcité recensées entre septembre 2019 et mars 2020, selon les chiffres du ministère de l’éducation.
Combien, précisément, concernent Versailles ? Sollicité, le rectorat garde le silence. Depuis l’assassinat de Samuel Paty, l’académie dirigée par Charline Avenel n’a communiqué qu’une seule fois, à l’écrit, pour assurer que le « soutien [de l’enseignant] par sa hiérarchie a été concret et constant ». Interrogées, les préfectures du Val-d’Oise et des Yvelines n’ont pas livré de détails. Rue de Grenelle, on ne livre pas de bilan académique, mais on indique que « le nombre de signalements [à Versailles] est à l’image de l’évolution nationale : stable depuis trois ans ». « Pas de baisse ni de hausse significative », souffle-t-on dans l’entourage du ministre de l’éducation Jean-Michel Blanquer.
Il n’empêche : dans cette académie où se côtoient des zones très riches et d’autres particulièrement défavorisées, le phénomène est scruté de près. Et encore plus dans le département des Yvelines où se multiplient les inspections d’enfants instruits à domicile. Dans des villes comme Trappes, Mantes-la-Jolie ou encore Les Mureaux, ce choix d’enseignement aurait plus que doublé en deux ans. Autre phénomène jugé alarmant : celui des élèves non scolarisés – ni à l’école, ni à la maison –, sans que l’institution soit en mesure de le quantifier. En 2017, l’alerte était venue des établissements privés hors contrat, pas tous musulmans, qui, à Versailles comme ailleurs, ont vu leurs contrôles renforcés.
« L’école ne peut pas tout »
Dans les cercles d’enseignants, on parle de ces « signaux » avec prudence. C’est une sortie scolaire durant laquelle des jeunes filles n’ôtent pas leur voile, « arguant qu’elles ne sont pas dans l’enceinte de leur lycée », raconte Florent, enseignant à Sarcelles (Val-d’Oise). Des paroles « un peu limites » entendues lors d’une séquence sur la liberté d’expression et qui ont nécessité de sa part un « recadrage immédiat », dit-il. C’est un parent d’élève qui a laissé un message au collège pour dire que son enfant ne « fera pas le contrôle [sur l’islam] », au motif que « l’islam, ce n’est pas [leur] religion », raconte Christine Guimonnet, enseignante à Pontoise (Val-d’Oise) et porte-parole de l’Association des professeurs d’histoire-géographie. Ou encore un lycéen qui lui a dit, en 2019, qu’il n’en avait « rien à faire » des cours sur les droits des femmes.
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