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L’enquête

Mobilité internationale : annus horribilis pour les étudiants français (pas pour les étrangers qui plébiscitent la France !)

Les Français qui voulaient partir étudier hors d'Europe sont souvent contraints d'abandonner leurs projets. En revanche, du côté des arrivées, la France ouvre grand les portes aux étudiants internationaux.

En 2019, 258.000 étrangers étudiaient en France, selon l'Unesco, soit 10 % des étudiants.
En 2019, 258.000 étrangers étudiaient en France, selon l'Unesco, soit 10 % des étudiants. (iStock)

Par Florent Vairet

Publié le 15 oct. 2020 à 11:29Mis à jour le 20 oct. 2020 à 12:30

Déjà avant le confinement, on notait une hausse de 20 % de candidatures d'étudiants internationaux souhaitant faire un échange académique en France pour l'année 2020-2021, selon Campus France, la plateforme qui centralise la quasi-totalité des demandes pour venir étudier en France. A l'Essec, l'augmentation était même de 50 %. Sept mois après la clôture des candidatures que sont devenus ces dossiers ? La pandémie a dissuadé beaucoup moins de jeunes que prévu de venir étudier dans l'Hexagone. La trajectoire n'est pas du tout mauvaise, reconnaît Alexandre Nominé, directeur des relations internationales des Mines Nancy. « On attend de voir le second semestre, mais au pire, ce sera pour notre école d'ingénieurs pareil que l'année 2019-2020. » Sciences Po, où les internationaux représentent habituellement la moitié des promos de masters, enregistre même une légère hausse de 1 à 2 %. A Skema, c'est carrément champagne avec +15 % d'étudiants internationaux ! Un constat pour le moins inattendu pour une année marquée par la fermeture des frontières.

Tous les établissements ne traversent pas la même situation. L'EM Strasbourg a, par exemple, refusé l'accueil des étudiants non européens ce semestre. Avec l'incertitude sanitaire internationale, les nouvelles inscriptions de ces étudiants à Montpellier Business School sont en baisse de plus de 10 %. Un recul cependant bien moins important qu'attendu, fait savoir l'école. Au niveau national, les chiffres sont en train d'être consolidés mais la baisse par rapport à l'an passé ne devrait être « que » de 25 %, selon Campus France.

Les visas étudiants passent en priorité

Un quart d'étudiants internationaux en moins n'est pas négligeable, mais le chiffre est à mettre en perspective avec la situation d'autres pays. Les mobilités sont quasiment à l'arrêt en Australie (442.000 étrangers accueillis dans l'enseignement supérieur en 2019 contre 40 par mois actuellement !), en Nouvelle Zélande, au Canada, aux Etats-Unis ; et très perturbées en Allemagne. Pourquoi la France se distingue-t-elle ? Unanimement, les établissements d'enseignement supérieur louent le travail des ministères de l'Enseignement supérieur et des Affaires étrangères. « Au 15 août, la France était le seul pays autorisant la venue des étudiants internationaux, même ceux issus de pays en alerte rouge, à condition de suivre un protocole sanitaire », assure Béatrice Khaiat, directrice générale de Campus France.

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Concernant les demandes de visas, la France a fait le choix de prioriser celles des étudiants et des chercheurs. Le travail de communication entrepris auprès des universités étrangères a été bénéfique pour les écoles françaises et « les étudiants internationaux ont fait massivement le choix de la France, et non ailleurs en Europe », pense savoir un responsable de Skema. « Certains sont même venus sur des vols de rapatriement, comme ce fut le cas sur un Moscou-Paris cet été dans lequel il y avait beaucoup d'étudiants russes », souligne Alexandre Nominé. « Le slogan, La France vous accueille, de Campus France n'était pas qu'un slogan », conclut Vanessa Scherrer, directrice des affaires internationales de Sciences Po. Et d'ajouter : « Un signe politique fort qui a contribué à convaincre les étudiants de rejoindre la France en cette période particulière et qui marquera sans doute dans le long terme. »

Si la situation est inespérée pour les étudiants étrangers, elle est déprimante pour leurs camarades français. « Un en Suède, un en Allemagne, deux en Italie, un en Pologne et un en Espagne, nous n'avons envoyé pour l'instant que six étudiants à l'international », détaille Alexandre Nominé des Mines Nancy. Une baisse de 90 % par rapport à la même période un an plus tôt. « Nous avons géré depuis ce printemps au cas par cas les étudiants dont les universités étrangères retenues ne pouvaient plus les accueillir, explique Alain Ouvrieu, directeur des Relations Internationales du Pôle Universitaire Léonard De Vinci. Et les plans B trouvés ont, pour la plupart, échoué. » Dans cet établissement regroupant une école d'ingénieurs et de commerce, le portefeuille de partenaires, qui se situaient à 60 % hors d'Europe, a basculé en trois mois à 90 % vers l'Europe. A Audencia, les étudiants se sont tournés vers le Vieux Continent à plus de 50 % contre 25 % par le passé. « Les annulations concernent surtout les destinations hors Europe, confirme M'Hamed Drissi, président de la commission Relations internationales à la Conférence des grandes écoles. A noter que les échanges en double diplôme ont été, eux, au maximum conservés, sauf aux Etats-Unis. »

Du côté des universités, le recentrage se fait également sur l'Europe. Si pour l'heure, il est trop tôt pour dresser un bilan définitif (car parfois des départs s'annulent ou sont rendus possibles à la dernière minute), la baisse des mobilités de ces étudiants universitaires serait, selon nos informations, comprise entre 20 et 50 %.

Vers moins d'études à l'international, même après le Covid

Certains étudiants ont simplement préféré refuser le départ. Sans doute la peur d'être isolé dans un pays inconnu, de ne pas vivre l'expérience aussi intensément qu'espéré, ou pire, l'impossibilité de rentrer. A l'EDC Paris Business School, 65 % des étudiants ont reporté à l'année prochaine leur mobilité. L'incertitude sur les frontières ne rassure pas les élèves, et encore moins les parents, entend-on à l'ESTP. « Quand des demandes d'annulation de la part d'étudiants se sont présentées, nous les avons systématiquement acceptées », assure Vanessa Scherrer de Sciences Po, avant de préciser qu'il leur était proposé un échange, en distanciel, ou alternativement à Sciences Po. Mais suivre des cours en anglais en horaire décalé depuis la France, certains s'interrogent et préfèrent attendre un moment plus opportun.

Après des années d'internationalisation menée tambours battants, les établissements d'enseignement supérieur sont incités à expérimenter la mobilité… virtuelle. A l'Esiea, plusieurs étudiants ont effectué leur stage technique à l'international entièrement à distance : en laboratoire de recherche au Brésil, à Tokyo et à Bangkok, en entreprise à Amsterdam. « Le retour des maîtres de stage est positif, celui des étudiants également », affirme Susan Loubet, directrice des relations Internationales de l'école. « Ce travail à distance dans un contexte international et multiculturel prépare nos étudiants au monde du travail de demain, c'est indéniable. »

La crise sanitaire ne fait qu'accélérer un processus de transformation digitale qui était bien déjà enclenché. « Face au réchauffement climatique, causé en partie par le trafic aérien, l'enseignement supérieur doit déployer imagination et créativité pour faire de l'international autrement », ajoute Susan Loubet. Le nouveau cycle du programme européen Erasmus +, finance pour la première fois les mobilités dites « virtuelles ».

Continuer de partir pour penser de manière mondiale

Sans compter la demande d'une partie, la plus écolo, des étudiants : rationaliser les déplacements à l'international qui représente souvent une partie importante du bilan carbone d'une école. A l'Essec, où la volonté est de réduire de 25 % l'empreinte carbone, le sujet de la mobilité internationale est posé. « On travaille actuellement avec les étudiants pour voir comment limiter les déplacements intercampus », témoigne Anne-Claire Pache chargée de la stratégie et de l'engagement sociétal de l'Essec. « Il ne sera par exemple plus question de partir trois fois à Singapour dans sa scolarité. On va également questionner les voyages d'études à l'autre bout du monde. » Pour autant, il n'est pas question de limiter l'international à du « online ». La réflexion s'oriente davantage vers un renforcement de la logique européenne, avec un recours accru au train. Sciences Po dit mettre l'accent sur les mobilités de long terme (un an obligatoire) au lieu de multiplier les expériences par sauts de puce.

Pas question donc de renoncer à l'international. « Il faut que les étudiants continuent de partir, qu'ils voient autre chose, martèle Alexandre Nominé. Un monde qui se referme n'est pas rassurant pour l'avenir. Il faut une génération qui soit ouverte sur l'international car l'enjeu post-Covid sera environnemental et donc global. »

Florent Vairet

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